drogue
(peut-être moyen néerlandais droge, produits séchés)
Substance psychotrope naturelle ou synthétique, qui conduit au désir de continuer à la consommer pour retrouver la sensation de bien-être qu'elle procure.
MÉDECINE
Pour définir la consommation de drogues, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a retenu le terme de pharmacodépendance, qui met surtout en avant les propriétés neurophysiologiques des produits ; toutefois, bien que moins précis, le terme de toxicomanie, renvoyant davantage aux dimensions psychologiques et sociales est plus couramment utilisé. La toxicomanie est un comportement qui se différencie de l'abus occasionnel de toxiques et de la dépendance thérapeutique ; dans ces derniers cas, on parle respectivement d'« usager récréatif » et de « toxicomane ».
En dehors des stupéfiants peuvent être considérés comme des drogues, car ils induisent les mêmes phénomènes de dépendance, l'alcool, le tabac et certains médicaments psychotropes (barbituriques et anxiolytiques en particulier). La distinction entre drogue dure et drogue douce est en partie subjective ; elle constitue cependant pour certains un élément important dans l'évaluation de la gravité d'une toxicomanie.
Historique
Si les conduites toxicomaniaques n'ont été repérées comme phénomène, voire comme fléau social, qu'à des moments précis d'évolution sociale et historique, divers produits modifiant le fonctionnement psychique ont été de tout temps utilisés dans la recherche d'effets tels que le plaisir, la méditation ou la créativité, et les hommes ont très tôt découvert les effets psychogènes de certains végétaux.
Le nom du pavot est mentionné sur des tablettes sumériennes datant de 3 000 à 4 000 ans avant notre ère ; il figure sur des papyrus égyptiens remontant à 1 500 ans avant J.-C. comme remède pour « empêcher les enfants de crier trop fort ».
Usages médicaux et religieux
Les Grecs et les Romains exploitaient couramment les propriétés pharmacologiques de cette plante et en connaissaient les effets toxiques, ainsi qu'en témoignent les écrits de Théophraste (iiie s. avant J.-C.), de Pline et de Dioscoride (ier s.). Galien (iie s.) signale, en la personne de Marc Aurèle, un des premiers cas de toxicomanie. Les drogues n'étaient cependant pas l'apanage des seuls médecins, et leur usage entrait également dans de nombreuses pratiques religieuses de l'Antiquité. La pythie de Delphes et les prêtresses de l'Inde antique officiaient sous l'empire de la drogue ; les Assyriens utilisaient le chanvre indien comme encens ; les Incas considéraient la coca comme un don divin. Les ethnologues ont défini les différentes fonctions des drogues : le caractère magique attribué à leurs effets était un moyen d'accès aux symboles des mythes du groupe ; leur usage codifié ponctuait l'histoire du groupe et renforçait la hiérarchie sociale ; les comportements individuels, les états d'esprit et les rapports interindividuels étaient estompés par la participation collective.
Plus près de nous, en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie, il est d'usage courant d'absorber au cours de cérémonies religieuses diverses substances qui, d'une manière ou d'une autre, agissent sur le psychisme. Certains Amérindiens du Mexique et d'Amérique centrale ingèrent des feuilles séchées de peyotl, sorte de petit cactus qui renferme un hallucinogène puissant, la mescaline. Enfin, dans plusieurs pays économiquement déshérités, des plantes comme le khat ou la coca servent de coupe-faim ou de remontant et procurent une sensation d'évasion à ceux qui les fument ou les mâchent. Les toxicomanies ne correspondent plus à ces rôles dans les sociétés occidentales actuelles.
L’apparition des toxicomanies modernes
En Europe, l'usage des drogues se limita longtemps à la pratique médicale (le laudanum fut introduit par Thomas Sydenham au xviie s.). C'est au xixe s. qu'apparaît l'usage des drogues et qu'à à travers les découvertes scientifiques (extraction des premiers alcaloïdes, meilleure appréciation des effets, utilisation de la seringue hypodermique…) se dessinent les contours des toxicomanies modernes. Les milieux médicaux en développent l'usage, mais s'inquiètent en même temps des abus observés. Les guerres coloniales ne sont pas étrangères à ce phénomène, mais c'est surtout l'obtention chimique de la morphine et son emploi au cours de la guerre de 1870 qui accroissent le nombre des adeptes de la drogue. Le romantisme et son « mal du siècle » créent également un climat favorable à la recherche d'expériences nouvelles : aux États-Unis, la jeunesse se livrait à des éther-parties aux environs de 1830 ; en France, le club des Hachischins réunissait notamment Charles Baudelaire, Théophile Gautier, Eugène Delacroix, Honoré Daumier.
Après les échecs des premières tentatives de contrôle par le biais médical, au début du xxe s., les pays occidentaux, principalement entre les deux guerres, tentent de maîtriser les toxicomanies en réglementant l'usage médical des substances classées, et en établissant des classifications des produits, des usages et des usagers.
Après la Seconde Guerre mondiale s'observent des vagues de consommation (amphétamines au Japon, héroïne aux États-Unis). Parti des États-Unis et plus particulièrement de San Francisco, berceau de la Beat generation, ce phénomène atteint l'Europe au cours des années 1960 : une consommation de groupe, liée au mouvement hippie, se développe dans une démarche visionnaire et contestatrice. Puis les « junkies », très marginalisés, multiplient les expériences à travers une toxicomanie qui associe stimulants et opiacés à des doses massives, par voie intraveineuse de préférence. Au milieu des années 1970, on parle de « nouveaux toxicomanes », qui, se situant entre les anciens junkies très dépendants et les consommateurs épisodiques de haschisch, font un usage important d'héroïne et de cocaïne ou associent drogues et médicaments. En quelques années, le nombre des toxicomanes se multiplie – 25 % des Américains consommaient au moins une fois par mois une drogue illégale en 1979 – puis décroît – ils n'étaient plus que 6 % en 1988, et encore moins en 1996 en ce qui concerne le cannabis et la cocaïne. En 2001, on estimait à 150 millions dans le monde le nombre de personnes consommant régulièrement du cannabis.
Comportements toxicomaniaques actuels
Actuellement, les comportements toxicomaniaques ne se cantonnent plus aux seules zones urbaines ni à certaines catégories sociales ; ils ne sont plus forcément associés à une sous-culture et concernent sans distinction un nombre toujours grandissant de substances toxiques. Ils reflètent davantage des conduites de fuite ; le choix du produit devient secondaire et les populations concernées sont surtout les adolescents et les jeunes adultes. Leurs caractéristiques sont contemporaines des changements sociaux et reflètent l'accélération des échanges internationaux et la diversité des molécules disponibles. Ils posent de nouveaux problèmes de santé, liés aux produits et aux modes de vie.
Aux États-Unis, pour attirer la clientèle des classes moyennes et aisées, les trafiquants proposent une héroïne plus pure que dans les années 1970 ; il y avait, en 1996, 3,6 millions de consommateurs de drogues dures dans ce pays, qui reste le principal marché mondial de la drogue. Cependant, étant donné son caractère semi-clandestin, le processus n'est qu'en partie visible, et donc impossible à appréhender dans toute son ampleur. Seule une approche pluridisciplinaire pourrait apporter les fondements d'une politique de prise en charge et de prévention de la toxicomanie.
Mise en place des législations
La première convention internationale sur les stupéfiants fut signée à La Haye en 1912. Elle stipulait notamment que la production et la distribution d'opium brut devaient être légalement contrôlées, que la fabrication et la vente des stupéfiants tels que la cocaïne, la morphine et autres opiacés devaient être réservées à des fins médicales et étroitement surveillées. Après la guerre de 1914-1918, sous l'égide de la Société des Nations, d'autres conventions et accords allaient être signés tandis qu'était créé un comité central permanent, auquel les gouvernements devaient fournir des statistiques annuelles sur la production d'opium et de feuilles de coca, sur la fabrication, la consommation, les stocks de stupéfiants, etc. En 1935, une convention de la SDN portait sur la répression du trafic illicite des drogues nuisibles, laquelle entra en vigueur en octobre 1939.
En 1946, l'Organisation des Nations unies créait la Commission des stupéfiants, qui compte aujourd'hui 30 membres représentant les pays producteurs d'opium et de coca, les pays fabricants et ceux où le problème de la drogue est crucial. Cette commission exerce notamment des fonctions de surveillance, prépare les projets de conventions internationales, étudie les éventuelles réformes, etc.
Le contrôle international des stupéfiants est codifié par la Convention unique des stupéfiants de 1961, ratifiée par 108 pays. Celle-ci, remplaçant les traités existants, étend le contrôle international à la culture des plantes dont sont tirés les stupéfiants (pavot, cannabis, coca) et comporte un Organe international de contrôle des stupéfiants.
Cependant, les différents pays ont adopté différentes législations en fonction du contexte socioculturel et du mode prédominant de toxicomanie. Devant la montée de la toxicomanie, toutes les législations en vigueur en Europe ont du être modernisées dans les années 1970, et amendées dans le sens d'une sévérité accrue dans les années 1980. D'importantes variations existent entre les pays en matière de répression du trafic de stupéfiants, en matière d'usage ou de possession en vue de l'usage, ou encore sur l'articulation légale soins-répression.
Ainsi, dans les pays de l'Union européenne, si le Luxembourg, la Finlande et la France pénalisent encore – en théorie – l'usage du cannabis, la Belgique en a dépénalisé la détention pour usage personnel, tandis qu'aux Pays-Bas, les possesseurs n'encourent qu'en théorie une peine maximale de trois mois. Les autres pays de l'Union font encourir des peines allant de la sanction administrative à deux ans de prison.
En France, la loi du 19 juillet 1845 pose les principes d'un contrôle, énumère les infractions et fixe les peines. La production, la préparation, la détention, le commerce et la distribution des stupéfiants sont interdits (loi du 12 juillet 1916 et décret-loi du 29 juillet 1939). La loi du 24 décembre 1953 condamne le trafic et l'usage des stupéfiants en société. En 1955, le décret du 11 mai stipule que le juge d'instruction peut ordonner une cure de désintoxication.
La loi du 31 décembre 1970, « relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses » (ne distinguant pas entre drogues dures et drogues douces, cannabis et dérivés), comporte un volet répressif, qui vise le trafic (passible d'une peine de prison à perpétuité), et un volet médical, qui organise la surveillance sanitaire, tout en conservant le caractère délictueux de la consommation (la détention étant assimilée au trafic par la loi) ; elle propose la cure de désintoxication, l'injonction thérapeutique sous le contrôle de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) à la place de l'incarcération et des poursuites. La DDASS se voit également signaler par les services sociaux des cas de toxicomanes qui, demandant spontanément un traitement, sont pris en charge et bénéficient de l'anonymat et de la gratuité des soins. Enfin, la loi du 8 octobre 2002 relative à la « conduite automobile sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants » vise à sanctionner les conducteurs usant de stupéfiants avant de prendre le volant. La peine retenue, qui s'aligne sur celle prévue pour l'alcool, prévoit deux années d'emprisonnement et une amende de 4 500 euros.
Cependant, certains pays, dont la France fait partie, ont ouvert un débat sur une éventuelle légalisation contrôlée de l'usage du cannabis à des fins thérapeutiques. Celui-ci pourrait en effet alléger les souffrances de personnes atteintes de maladies incurables, du sida ou du cancer. En 2001, seul le Canada avait libéralisé la marijuana à usage médical.
Géopolitique des drogues illicites
Les guerres de l'opium, au cours du xixe s., ont montré qu'une nation peut utiliser la drogue à des fins politiques et commerciales contre une autre nation – dans ce cas précis, la Grande-Bretagne contre la Chine ; la propagation massive de l'alcool chez les indigènes d'Amérique, du Nord comme du Sud, est une autre illustration, contemporaine celle-ci, de la drogue comme fléau social.
À partir de la fin des années 1960, la question du trafic de drogue est devenue un enjeu géopolitique réel, qui n'a cessé de croître en importance : émergence de cartels de la drogue de plus en plus puissants ; émergence de narco-États ; problèmes financiers et éthiques liés au blanchiment de l'argent de la drogue. Alors que dans les années 1980 la transformation et l'exportation de drogue se trouvaient aux mains d'organisations criminelles de taille internationale – cartels de la drogue colombiens, mafia et camorra italiennes, triades chinoises… –, la structure du marché de la drogue s'est trouvée bouleversée durant les années 1990. D'une part, la lutte contre ces organisations a en partie porté ses fruits (démantèlement du cartel colombien de Medellín après la mort de Pablo Escobar en décembre 1993, puis de celui de Cali ; arrestation ou reddition de quelques parrains de la mafia et surtout de la camorra napolitaine ; reddition d'un des pivots de la production d'opium et d'héroïne, Khun Sha, en 1996), même si certains groupes importants subsistent (cartels de Cali et de Medellín en Colombie, mafia sicilienne…).
Mais l'énormité des profits réalisés (en 2000, le chiffre d'affaires mondial annuel du trafic de stupéfiants était estimé à 500 milliards de dollars) a attiré une foule de nouveaux producteurs, d'envergure moyenne (Mexique, Birmanie, Brésil, Pakistan…) voire nettement moindre, jusqu'à des entreprises de type familial. Selon l'Organisation mondiale des douanes, les petites quantités exportées par ces nouveaux producteurs dans les années 1995-1996 dépassent au total les records des années 1980, lorsque les grandes organisations monopolisaient le marché (entre 800 et 1 000 tonnes de cocaïne produites en Amérique latine en 1996 contre 500 à 700 tonnes durant les années 1980) ; en outre, la question de la lutte directe contre les trafiquants s'en trouve plus complexe puisque ceux-ci sont bien plus nombreux. On estime ainsi que la culture de la coca occupe en Colombie de 60 000 à 70 000 hectares, auxquels il faut ajouter de 10 000 à 20 000 hectares consacrés au pavot ; ils sont cultivés par peut-être 2 000 à 3 000 familles en plus des organisations non démantelées. Pour compliquer encore la lutte contre la drogue, de nouvelles filières sont apparues, notamment en Afrique et spécialement au Nigeria, durant les années 1990 ; ces réseaux africains sont fondés en général sur des structures familiales ou claniques.
La production ailleurs dans le monde a, elle aussi, vraisemblablement connu une expansion notable, avec l'apparition de nouvelles zones de culture (Géorgie, Afrique…), la transformation de zones de production locale en zones dédiées à la culture d'exportation (Asie centrale, Caucase pour le pavot, Afrique noire pour le cannabis…), et enfin l'extension parfois considérable de zones consacrées depuis longtemps à ce type de culture (au Maroc, les superficies plantées en cannabis sont passées de 30 000 hectares en 1988 à plus de 75 000 en 2000, ce qui correspond à une production annuelle de 100 000 tonnes de cannabis, d'après les statistiques officielles marocaines). La consommation a elle aussi considérablement augmenté, avec notamment l'apparition de nouveaux marchés dans les années 1990 (Japon, Afrique du Sud, Russie, Europe de l'Est…) et l'augmentation de la consommation dans certains pays producteurs (Pakistan, Inde, Chine, Brésil…).
La multiplication des conflits locaux, en faisant échapper certaines zones au contrôle des États, a permis aux trafiquants de développer leurs activités en courant de moindres risques qu'auparavant. En ce qui concerne l'Europe de l'Ouest, les grandes routes internationales qu'emprunte la cocaïne de Colombie passent, à la fin des années 1990, par les Antilles puis l'Europe de l'Est, ou par les îles du Cap-Vert puis l'Espagne ou l'Italie. Pour les autres trafics, les routes utilisées aboutissent le plus souvent en Italie, en Espagne, en Grèce ou en Europe de l'Est ; de cette dernière région, il semble que les drogues parviennent en France via l'Autriche et la Suisse. L'Afghanistan, premier producteur mondial d'opium (77 %) – jusqu'à l'interdiction totale de sa culture par les taliban en juillet 2000, faisant chuter la production à 185 tonnes en 2001 contre 3 276 tonnes en 2000 –, en produisait en 1999 4 600 tonnes, écoulées pour 65 % en Europe, via l'Asie centrale, et notamment le Tadjikistan, où le commerce de la drogue représenterait 60 % du PNB.
Enfin, la lutte contre la drogue coûte très cher. Aux États-Unis, où l'on a enregistré 140 000 morts par surdose entre 1987 et 1996, le budget consacré à la lutte contre la drogue a été en moyenne de 70 milliards de dollars par an, en partie alloués au Drug Enforcement Agency, l'agence antinarcotique américaine, pour la destruction de cultures de coca en Amérique latine. Le coût élevé de cette lutte s'explique essentiellement par sa militarisation ; le Département d'État estimait en effet en 1997 que les trafiquants de drogues sont capables d'utiliser des outils d'une telle sophistication technologique que les pays du tiers monde n'ont pas les moyens économiques et militaires de les affronter avec succès.
Statistiques françaises
Toute comptabilité des populations de toxicomanes est incomplète étant donné le caractère illicite, donc clandestin, de ce comportement ; les chiffres concernent donc uniquement les toxicomanes repérés par des institutions (police, justice, institutions médico-sociales, etc.). Les populations se recoupent en partie et il est difficile d'apprécier la proportion des comptes multiples et des inconnus. En France, depuis 1974, des données chiffrées concernant les toxicomanes suivis à travers les structures de soins spécialisés sont recueillies au dernier trimestre de chaque année par le ministère de la Santé.
En 1996, une enquête trimestrielle a été réalisée par l'Inserm auprès des centres spécialisés dont la participation était volontaire et qui ont garanti l'anonymat des sujets. L'image de la toxicomanie perçue à travers 5 000 dossiers était alors la suivante :
– on compte 3 hommes pour 1 femme ; 78 % des toxicomanes ont moins de 30 ans, dont 10 % moins de 20 ans ; ils sont en grande majorité français (82 %); seul 1 sur 5 environ vit en couple ou est marié (71 % de célibataires) ; la plupart n'ont pas d'enfants (82 %); près de la moitié vivent avec leurs parents ou leur famille ; 1 sur 4 a un logement indépendant et près de 1 sujet sur 10 est sans domicile fixe ;
– les produits par lesquels les toxicomanes ont débuté sont le cannabis (39 %), l'héroïne (21 %), l'alcool (9 %), les médicaments (4 %), les solvants (4 %), la cocaïne (1 %), 1 sujet sur 5 n'ayant pas précisé ;
– parmi les principaux produits utilisés, l'héroïne prédomine nettement (69 %), suivie du cannabis (13 %) ; les médicaments, principalement des barbituriques, concernent 5 % des sujets, l'alcool 4 %, puis les solvants 2 % et la cocaïne 1 %. La polytoxicomanie est fréquente : l'héroïne (79 %) est le produit cité en premier, puis viennent le cannabis (58 %), les médicaments (29 %), l'alcool (26 %), la cocaïne (13 %) et les solvants (5 %). Le LSD a disparu ; ne sont mentionnés ni le crack, ni le PCP ;
– 1 sujet sur 5 environ estime être toxicomane depuis moins de 3 ans et les anciens toxicomanes (durée supérieure à 10 ans) représentent 8 % des cas traités.
D'autres observations révèlent, depuis une dizaine d'années, un vieillissement de la population, une légère diminution du pourcentage de femmes et une moindre marginalité. La gravité des toxicomanies est soulignée par l'association fréquente de drogue, médicament et alcool ainsi que par la fréquence des rechutes.
Mécanismes d'action des drogues
Les drogues sont toutes des psychotropes : elles modifient l'état et le fonctionnement du cerveau en altérant les fonctions normales de différentes structures cérébrales. Selon leurs effets sur le système nerveux central, elles sont classées en trois catégories : les dépresseurs ; les stimulants ; les perturbateurs.
Parmi les dépresseurs figurent les opiacés (opium, morphine et héroïne), qui sont extraits des capsules du pavot. Le groupe des stimulants comprend la cocaïne et les amphétamines, qui accroissent les facultés physiques et intellectuelles du sujet ; le tabac et le khat exercent également des effets excitants. Les perturbateurs du système nerveux central sont les substances hallucinogènes comme le LSD, le PCP (phénylcyclidine, ou poudre d'ange), ou encore la mescaline, extraite des boutons séchés du peyotl (petit cactus qui pousse sur les hauts plateaux mexicains).
La toxicomanie
La toxicomanie est le résultat d'une rencontre entre un produit, une personnalité et un contexte socioculturel ; le risque pour un individu correspond à l'association de l'exposition sociale et individuelle, de sa vulnérabilité physiologique et psychologique et des facteurs liés au toxique. Les études épidémiologiques reconnaissent que certaines caractéristiques sont significativement plus fréquentes parmi les consommateurs chroniques et les toxicomanes que dans la population générale de même âge.
Ainsi les adolescents consommateurs de plusieurs produits psychotropes licites ou illicites (proportion estimée entre 8 et 10 % des adolescents en général) et les jeunes usagers chroniques de solvants associent de façon privilégiée drogue, alcool et médicament ; ils ont connu relativement plus souvent que les autres jeunes des difficultés de scolarité (absentéisme, renvoi) et d'adaptation (fugues, conduites délictueuses), ainsi que des troubles psychosomatiques (difficultés du sommeil, asthme), des accidents et des maladies graves et ont fait davantage de tentatives de suicide. L'alcoolisme du père, la consommation importante de médicaments par la mère, la maladie mentale et les problèmes sociaux dans la famille, la séparation précoce et des défaillances de communication (hostilité ou effacement du père, indifférence ou attitude possessive de la mère) sont significativement plus fréquents pour les usagers réguliers et les toxicomanes.
Ces éléments, ajoutés à l'existence d'une fragilité psychologique individuelle, vont d'autant plus constituer des facteurs de risque de toxicomanie. L'absence d'antécédents pathologiques familiaux et individuels est exceptionnelle chez les toxicomanes avérés. Le rôle des pairs semble réduit à un facteur favorisant la première prise mais n'explique pas la poursuite de la consommation chronique, si ce n'est à travers l'adhésion à une sous-culture où la délinquance est banalisée dans un contexte social défavorisé.
L'interprétation systémique, à partir de travaux cliniques, révèle le rapport étroit entre la pathologie de l'héroïnomane et des dysfonctionnements familiaux, bien qu'il n'y ait pas un profil type chez ces familles. En fait, le toxicomane semble remplir une fonction assez précise dans le maintien de la dynamique familiale et dévoile des perturbations dans les interactions et dans le rôle des différents membres ; le dysfonctionnement repéré dans ces familles implique assez souvent plusieurs générations. L'usage des drogues va détériorer les liens affectifs mais va aussi renforcer la relation de dépendance du jeune envers sa famille. Révélatrice de failles, de tensions, la drogue peut ainsi être utilisée lors du passage vers le statut d'adulte: elle va alors cristalliser l'angoisse des parents et le désir d'autonomie des enfants.
Un grand nombre de cas sont plus ou moins liés à la problématique adolescente: le recours régulier aux toxiques peut apparaître comme une tentative de solution aux difficultés liées à cette période, marquée par des modifications corporelles et psychiques ainsi que par la recréation d'une identité qui intègre de nouvelles expériences, avec une mise à l'épreuve des capacités d'adaptation.
En fait, la toxicomanie peut apparaître comme un symptôme plus ou moins secondaire chez certains sujets ; pour d'autres, elle joue un rôle déterminant, qui défend la personnalité de l'individu contre une déstructuration très grave. L'observation clinique révèle qu'en général plus la toxicomanie est sévère (durée, produits, intensité), plus les facteurs de vulnérabilité personnels ont été déterminants.
Il n'existe pas une personnalité spécifique du toxicomane, mais certains traits se retrouvent avec une plus grande fréquence chez ces sujets : une attirance pour les passages à l'acte, une certaine impulsivité, une importante autoagressivité et des carences imaginaires. Souvent, il apparaît chez eux une pathologie de l'estime de soi, à travers des sentiments de doute et d'anxiété quant à leur identité.
Par ailleurs, plus la drogue occupe une place importante dans le fonctionnement psychique, plus les altérations dans le fonctionnement social et professionnel de l'individu seront importantes ; ces altérations peuvent aller du comportement irresponsable vis-à-vis de l'école ou du travail jusqu'à la détérioration totale des relations sociales et l'isolement complet de l'individu.
Complications médicales
Chroniques ou aiguës, elles sont de plus en plus importantes. Les complications infectieuses liées à l'usage des opiacés par voie intraveineuse sont assez fréquentes (abcès, septicémies, hépatite B et dernièrement sida). Peuvent aussi apparaître des affections bucco-dentaires, des complications rénales, des complications digestives (constipation chronique), ainsi que des problèmes cardiaques et pleuro-pulmonaires, des troubles nerveux et des affections uro-génitales (aménorrhée et syphilis entre autres).
L'usage de solvants entraîne surtout des irritations du nez et de la gorge, des atteintes neurologiques, voire une détérioration des fonctions intellectuelles. La prise prolongée des amphétamines induit des perturbations de l'alimentation et du sommeil ; elle peut entraîner des troubles psychiatriques importants. L'usage de cocaïne occasionne des complications infectieuses, des ulcérations nasales et des troubles de l'appétit ou de la vigilance, selon le mode d'administration. La consommation chronique et prolongée de cannabis peut entraîner des symptômes de fatigue majeure et des difficultés de concentration.
Les complications aiguës qui peuvent survenir après un surdosage comportent généralement un ralentissement respiratoire avec baisse importante de la pression artérielle, œdème du poumon (opiacés), des défaillances cardiaques ou rénales (barbituriques), cyanose ou épilepsie (solvants) ; dans les cas où un coma se produit, l'issue est souvent fatale. Des troubles mentaux peuvent survenir à court ou à long terme : syndrome confusionnel (désorientation, agitation anxieuse, troubles mnésiques, hallucinations, agressivité) et syndrome déficitaire (disparition des intérêts intellectuels, affectifs, relationnels). Un certain nombre d'éléments donnent un caractère suicidaire au comportement toxicomaniaque : la fréquence des overdoses, le nombre important d'accidents liés à l'intoxication, la répétition et l'échec des sevrages, l'association régulière d'alcool, de benzodiazépines et d'autres produits. De plus, le nombre de tentatives de suicide commises par des toxicomanes n'est pas négligeable : 24 % des toxicomanes consultant en centres spécialisés en ont fait au moins une.
Il faut ajouter à ces données le nombre de sujets touchés par le virus VIH : la séropositivité concernait en chiffres évolutifs de 40 % à 60 % des toxicomanes consultants, selon les pratiques plus ou moins importantes d'échange de seringues et de prostitution.
Les risques de léthalité sont mal connus. En France, le service de statistique de la police (OCRTIS) a recensé 358 décès en 1997, survenus principalement chez des héroïnomanes (chiffres probablement très inférieurs à la réalité).
Prise en charge
Dès le début des années 1970 ont été mises en place des institutions spécialisées diversifiées qui correspondent aux quatre moments de la prise en charge (bien que le parcours linéaire soit rarement suivi) : accueil, sevrage, postcure et réinsertion sociale.
Le secteur public intervient surtout au moment du sevrage ; le secteur privé est uniquement associatif. La majorité des centres n'ont pas de modèle de référence thérapeutique exclusif et pratiquent différentes formes de psychothérapie. Ils prennent en compte l'histoire du sujet, favorisent l'expression des sentiments, les émotions et restaurent l'estime de soi du toxicomane, en évitant de pérenniser sa dépendance et de renouer des contacts trop précoces avec le milieu de la drogue. Les communautés thérapeutiques sont peu présentes en France.
Les règles communes sont d'interdire la consommation de drogue et d'alcool ainsi que les comportements violents, de proposer des activités et de susciter des projets en terme d'adaptation socio-économique. Les mesures d'évaluation de l'évolution et de la réussite sont diverses : abstinence, absence de délinquance ou de trouble psychiatrique, projet familial et professionnel.
Prévention
Dans son aspect général, elle concerne l'inadaptation sociale et psychologique (club d'accueil de prévention, équipe éducative, psychiatrie de secteur) et plus spécialement les soins et la réadaptation précoces ; l'information (brochures…) est organisée au niveau départemental par un bureau de liaison de lutte contre la toxicomanie (CDLT) ; des réunions sont organisées par des équipes spécialisées. Le contenu, varié, ne doit ni fasciner ni dramatiser, mais insister sur les différentes causes des malaises des jeunes.
L'information s'adresse en premier lieu aux professionnels responsables des jeunes, au milieu judiciaire et aux bénévoles des associations. L'information directe auprès des jeunes (école, clubs…) est plus limitée et soutenue par les réflexions des adultes, comme le programme d'adultes-relais de l'Éducation nationale.
Vers une redéfinition du terme « drogue »
La plupart des habitants des pays industrialisés appliquent le terme « drogue » de manière restrictive aux substances illicites, telles l'héroïne, la cocaïne ou le haschisch. Mais une approche nouvelle, traduisant autant une évolution des mentalités qu'une reconsidération des différents comportements d'usage des substances psychoactives, permet de prendre en compte la consommation de substances « licites » telles que l'alcool, le tabac, les médicaments psychotropes et les conduites dopantes.