dopage
Fait d'administrer, d'inciter à l'usage, de faciliter l'utilisation, en vue d'une compétition sportive, de substances ou de procédés de nature à accroître artificiellement les capacités physiques d'une personne ou d'un animal ou à masquer leur emploi en vue d'un contrôle. (Synonyme : doping.)
Historique
Depuis toujours, l'homme a utilisé des substances dans le but d'augmenter ses capacités physiques. En observant le comportement des animaux ou en testant lui-même par approches successives les produits que lui offrait la nature, il s'est constitué une pharmacopée ; il a ainsi découvert empiriquement les vertus de certaines plantes pour lutter contre l'anxiété, diminuer la fatigue et la fièvre ou augmenter la vigilance. Parfois, il a été amené à consommer de la chair d'un animal particulier, espérant ainsi en acquérir les qualités physiques : ainsi, à l'occasion des Jeux de la Grèce antique, les sauteurs consommaient de la viande de chèvre (remarquable pour ses bonds) et les lutteurs de la viande de taureau (impressionnant pour sa puissance).
Naissance du dopage
Avec l'avènement du sport moderne au xixe s., on observe rapidement l'utilisation par des sportifs de produits naturels ou chimiques, le plus souvent associés en cocktails, dans l'objectif d'améliorer artificiellement leurs performances. Les chroniques sportives des journaux de l'époque en font état : c'est ainsi que l'on apprend qu'un cycliste, Arthur Linton, vainqueur de l'épreuve Bordeaux-Paris, en 1896, est mort quelques jours plus tard à la suite de l'ingestion d'un mélange de stupéfiants.
En 1904, pour la première fois, l'idée de dopage et l'idée de tricherie se trouvent associées : lors du marathon olympique de Saint Louis, Fred Lorz franchit le premier la ligne d'arrivée, mais on découvre ensuite qu'il a parcouru sept kilomètres de la course en voiture après avoir, victime de crampes, subi une piqûre de strychnine et bu force cognacs (!).
Premières prises de conscience
Mais, si la pratique du dopage (ou plutôt du « doping », puisque que c'est le mot qui sera utilisé jusque vers 1970) existait depuis longtemps, son usage n'était interdit par aucune loi et les accidents fréquents qu'il provoquait étaient souvent mis sur le compte d'un épuisement naturel ou de « coups de chaleur ». C'est la répétition de ces accidents et leurs observations directes qui incitent certains médecins encadrant des équipes du Tour de France à se réunir, à partir de 1960 pour trouver des solutions. Au congrès d'Uriage en 1963, un consensus se dégage en faveur d'une loi, qui sera finalement votée en 1965.
En 1966, un premier contrôle antidopage est organisé à l'issue d'une étape du Tour de France.
En 1967, la mort de Tom Simpson (1937-1967) sur les pentes du mont Ventoux, lors du Tour de France, frappe l'opinion publique et marque le début d'une prise de conscience. L'autopsie décèlera des traces d'amphétamines, sous l'effet desquelles le cycliste britannique est allé au-delà de ses limites physiques.
Parallèlement à ces pratiques empiriques et encore artisanales car élaborées par des personnes ayant un rapport souvent éloigné avec le monde médical, durant une période s'étendant des années 1960 à la fin des années 1980, se développe dans certains pays une forme de dopage beaucoup plus systématique et scientifique, prise en charge par des médecins et des biochimistes. C'est notamment le cas dans les pays du bloc de l'Est, où une filière de production de champions très élaborée est mise en place en vue d'obtenir des résultats sportifs servant la propagande politique.
La médicalisation du dopage
L'effondrement du monde communiste met fin à cet épisode de l'histoire du dopage, tandis que les progrès des biotechnologies (synthèse des hormones telles l'érythropoïétine [EPO] ou l'hormone de croissance) en inaugurent un autre : on voit ainsi arriver dans l'entourage des athlètes un panel médicalisé de biologistes, de pharmaciens et de biochimistes, dans un monde sportif marqué par la professionnalisation et l'accentuation des enjeux économiques liés au sport.
Cette dernière période est balisée par quelques scandales retentissants, qui ne doivent pas néanmoins dissimuler un phénomène plus large qu'on ne saurait réduire à ces quelques cas médiatisés :
– en 1988, le premier sport olympique, l'athlétisme, est éclaboussé ; le champion olympique du 100 m, le Canadien Ben Johnson, est convaincu de dopage et disqualifié ;
– en 1991, le champion de football argentin, Diego Maradona est contrôlé positif à la cocaïne ;
– en 1997 débute l'« épidémie » de dopage à la nandrolone ;
– en 1998, le Tour de France est ébranlé par l'exclusion de la compétition des équipes Festina et TVM, pour usage de produits dopants ;
– en 1999, le sauteur en hauteur cubain Javier Sotomayor (né en 1967) et la sprinteuse jamaïcaine Merlene Ottey (née en 1960) sont suspendus pour contrôles positifs, respectivement à la cocaïne et à la nandrolone ;
– en 2000, des contrôles urinaires et sanguins de dépistage de l'érythropoïétine sont mis en place avant et pendant les jeux Olympiques : certains athlètes américains sont contrôlés positifs. À la suite des jeux Olympiques, le comité olympique italien fait état de taux d'hormones de croissance anormaux constatés sur certains sportifs au sein de leur délégation olympique ;
– en 2001, de nouveaux cas de dopage sont décelés parmi les athlètes qui préparent les championnats du monde d'Edmonton ;
– en 2002, à l'occasion des Jeux de Salt Lake City, de nouveaux cas de dopages sont avérés (notamment dans les épreuves de ski de fond). Le produit utilisé est ici une hormone peptidique aux effets identiques à ceux de l'EPO, la darbepoiétine alpha. Les Jeux Paralympiques, qui font suite à ces Jeux d'hiver, révèlent des cas de dopage en handisport ;
– en 2006, le vainqueur du Tour de France, l'Américain Floyd Landis, est convaincu de dopage et disqualifié ;
– en 2007, les médailles olympiques obtenues par l'athlète américaine Marion Jones aux jeux de 2000 lui sont retirées à la suite de ses aveux (→ médecine du sport ;
– en 2012, les victoires du cycliste américain Armstrong remportées à partir du 1er août 1998 lui sont retirées, y compris ses sept victoires dans le Tour de France (→ sport.)
La lutte contre le dopage
Lois et organismes de lutte antidopage
La France est un des rares et des premiers pays au monde à s'être doté d'un arsenal juridique visant à combattre ces pratiques. Outre la réglementation de la pratique sportive au sein des clubs et associations (loi sur le sport du 16 juillet 1984, remplacée récemment par la loi du 6 juillet 2000), des lois ont été édictées concernant le dopage proprement dit. La première loi (« loi Herzog ») date de 1965. Elle présentait l'inconvénient de ne punir que le sportif contrôlé positif à l'arrivée d'une compétition.
Cette loi a été remplacée par celle du 28 juin 1989 (« loi Bambuck »), plus complète, qui a prévu d'étendre les sanctions à l'entourage du sportif ayant aidé au dopage, a mis en place les contrôles inopinés réalisés à l'improviste en dehors des compétitions et a créé la Commission nationale de lutte contre le dopage (CNLD). Les difficultés rencontrées pour l'application de cette loi ont amené à la remplacer par la loi du 23 mars 1999 (« loi Buffet ») relative à la prévention de la santé du sportif et à la lutte contre le dopage. L'accent y est mis sur le suivi médical du sportif et sur la prise en charge médicalisée des sportifs dopés. Cette loi met en place également le Conseil national de prévoyance et de lutte contre le dopage, qui a pour mission d'analyser les pratiques du dopage et de proposer une harmonie des décisions et sanctions en fonction des fédérations.
Les différents contrôles réalisés dans le cadre de cette loi nécessitent la mise en œuvre d'une procédure complexe : mise en place des matériels de prélèvement, désignation d'un médecin préleveur assermenté, contrôle et prélèvement, transmission des échantillons prélevés de façon anonyme au Laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD), diffusion des résultats aux fédérations concernées et au ministère chargé des sports.
L'instruction des affaires est menée dans le strict respect des droits de la défense, qui a le pouvoir en particulier de demander la contre-expertise des échantillons et de faire appel des décisions prises auprès des instances de recours nationales et internationales (tribunal arbitral du sport à Lausanne).
À l'échelon international, le Comité international olympique a créé, dès 1967, une structure antidopage, la Commission médicale du CIO, qui met en place un service de contrôle médical dès les jeux Olympiques suivants (Grenoble et Mexico, 1968). Son rôle s'est élargi à toutes les questions liées à la protection de la santé des athlètes. En 1999, à l'initiative du CIO, l'Agence mondiale antidopage (AMA) a été créée pour s'attaquer plus efficacement au problème du dopage en harmonisant les méthodes et les mesures de lutte. Outre le CIO, les fédérations internationales de sports et les athlètes, les gouvernements jouant un rôle actif dans la lutte contre le dopage y sont représentés. L'AMA a également invité des organisations intergouvernementales telles qu'Interpol, le Programme des Nations unies pour le contrôle international des drogues et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) à participer en tant qu'observateurs. D'autre part le Code antidopage du mouvement olympique a établi la liste des classes de substances interdites et méthodes interdites.
Le Conseil de l'Europe a pris aussi des mesures destinées à lutter contre le dopage. Un premier texte a été adopté en 1967, auquel a fait suite la Charte européenne contre le dopage, en 1984. Enfin, en 1989, a été signée, à Strasbourg, la Convention contre le dopage, qui dépasse largement le cadre européen, puisqu'en 2000, 34 pays l'avaient ratifiée. Ce forum international (l'Unesco et l'OMS y sont représentées) constitue une interface entre les États et le mouvement sportif.
Les substances proscrites
Les « potions magiques » de l'Antiquité et les autres décoctions traditionnelles de plantes médicinales ont, à l'heure de la lutte antidopage, depuis longtemps été remplacées par des succédanés de synthèse produits par l'industrie pharmaceutique. Aux premiers produits dopants, presque exclusivement constitués d'excitants de type amphétaminique, ont succédé d'autres stimulants ou anabolisants, puis des substances naturellement produites par l'organisme comme la testostérone ou certaines hormones peptidiques, et diverses méthodes de dopage consistant, par exemple, à modifier la composition du sang pour accroître ses capacités de transport d'oxygène et d'anhydride carbonique.
La liste des classes de substances et procédés proscrits a été définie par le Comité international olympique, qui a convaincu les instances gouvernementales et sportives de l'adopter. Cette liste distingue cinq grandes catégories de substances interdites :
– les stimulants (amphétamines, cocaïne, éphédrines, par exemple) ;
– les narcotiques (héroïne, méthadone, morphine, par exemple) ;
– les anabolisants (testostérone et dérivés synthétiques [nandrolone, par exemple] et produits non stéroïdiens [clenbutérol, par exemple]) ;
– les diurétiques et produits masquants (substances utilisées pour fausser les contrôles antidopage) ;
– les hormones peptidiques (érythropoïétine [EPO], hormone de croissance [hGH], par exemple).
Elle proscrit aussi deux méthodes de dopage :
– le dopage sanguin (administration de sang ou de produits apparentés à un athlète) ;
– les manipulations pharmacologiques, chimiques ou physiques (usage de méthodes et de substances tentant de modifier la validité des échantillons d'urine utilisés dans les contrôles antidopage).
Elle soumet à certaines restrictions diverses substances comme l'alcool, les cannabinoïdes (marijuana, haschich), les anesthésiques locaux, les corticostéroïdes et les bêtabloquants.
Selon les produits (parfois utilisés en « cocktails ») qu'il prend, l'athlète qui se dope cherche à diminuer les effets de la fatigue et de la douleur ou son poids, à augmenter sa masse musculaire ou son taux d'oxygénation du sang, à lutter contre les inflammations causées par la mise en « surchauffe » de son organisme ou à masquer l'utilisation d'autres produits.
Un combat de longue haleine
Au cours des trente dernières années, les pratiques de dopage se sont constamment modifiées et, à mesure que se perfectionnaient les méthodes de détection, la nature et les formes d'utilisation des produits dopants se diversifiaient. Cette sophistication du dopage a amené la communauté sportive à accroître le nombre des contrôles et la sévérité des sanctions. Mais ces mesures sont loin d'avoir eu l'effet attendu. Sans parvenir à mettre fin au dopage, elles ne sont, parfois, pas même comprises du public, qui considère qu'elles mettent le champion dans l'impossibilité de se soigner, et elles ont engendré des réactions de défense, qui, dépassant le milieu sportif, vont jusqu'à contester le bien-fondé des dispositions réglementaires de la lutte anti-dopage au nom des principes fondamentaux du droit.
On a pensé longtemps que le dopage était lié aux enjeux générés par la professionnalisation du sport, mais les récents cas constatés dans le sport amateur montrent qu'il est devenu un phénomène de masse aux motivations diverses et complexes qu'il sera donc très difficile d'endiguer. D'autant plus que l'idée selon laquelle il pourrait y avoir un dopage « normal », pour ne pas dire « souhaitable », est tenace dans l'opinion publique sportive, qui voit parfois dans la lutte antidopage une forme de harcèlement exercée sur des champions qui ne penseraient qu'à se soigner. Il y a même certains membres du corps médical pour l'affirmer, y compris au sein des institutions sportives. On le voit, la réussite du combat contre le dopage nécessite qu'une révolution culturelle ait lieu dans les esprits du sportif, de son encadrement et aussi du public.
Effets du dopage sur la santé
Au-delà de l'atteinte qu'il constitue à l'éthique sportive, le dopage est dangereux pour la santé :
– les stimulants ont des effets nocifs sur les systèmes cardiovasculaire et neurologique (troubles psychiatriques) et, en amenant le dépassement du seuil physiologique de la fatigue, conduisent à des asthénies secondaires pouvant aller jusqu'à l'épuisement ;
– les narcotiques, en anesthésiant le « signal d'alarme de la douleur », mettent bien entendu l'organisme en danger ; ils entraînent de surcroît de nombreux effets secondaires et induisent une conduite addictive ;
– la testostérone et les stéroïdes anabolisants provoquent, en usage prolongé, des troubles hormonaux, cardiovasculaires, des modifications hépatiques et des cancers du foie, ainsi que des ruptures répétées des tendons. Chez l'homme, ils induisent des lésions prostatiques, des phénomènes d'impuissance sexuelle ou de stérilité. Chez la femme, ils entraînent une masculinisation importante souvent irréversible (arrêt du cycle menstruel, mue de la voix et apparition de surcharge pondérale). Les stéroïdes anabolisants agissent en outre sur la sphère psychiatrique et peuvent être à l'origine de troubles du comportement ;
– les anesthésiques locaux, utilisés pour pouvoir participer à une compétition malgré la douleur, peuvent en cas de surdosage entraîner des troubles de la conscience, des convulsions et des troubles du rythme respiratoire ;
– les corticostéroïdes, administrés à long terme, entraînent une augmentation des risques coronariens, d'accidents vasculaires et de fractures de fatigue ;
– parmi les effets secondaires des bêta-bloquants on trouve les troubles du rythme cardiaque, le risque de dépression psychique et d'impuissance sexuelle ;
– l'hormone de croissance comporte des effets secondaires nombreux et dangereux (hypertrophie osseuse, hypertension artérielle et insuffisance cardiaque, troubles du métabolisme) ;
– enfin, l'érythropoïétine, en augmentant considérablement la viscosité sanguine, présente des risques d'hypertension et de thrombose par obstruction des vaisseaux aux niveaux pulmonaire et cardiaque.