citoyenneté
Situation positive créée par la pleine reconnaissance aux personnes de leur statut de citoyen.
Les questions que pose la notion de citoyenneté sont au croisement de la philosophie, de la politique et du droit. Elles connaissent aujourd'hui un regain d'actualité, autour de l'idée controversée d'une « crise de la citoyenneté ». Une telle formule montre que la citoyenneté doit être étudiée dans une perspective historique. En effet, elle n'a pas de contenu fixé une fois pour toutes : à partir d'un noyau de signification originaire, elle se caractérise plutôt par son incessante mobilité, reflet d'une longue série d'institutions et de conflits sociaux.
Juridiquement, la citoyenneté peut être définie comme la jouissance des droits civiques attachés à la nationalité, c'est-à-dire la jouissance de l'ensemble des droits privés et publics qui constituent le statut des membres d'un État donné qui les reconnaît comme tels. Dans ce sens, le citoyen est celui qui, appartenant à la « cité », dispose de droits (droit de vote, d'éligibilité, d'accès à la fonction publique…), est soumis à des devoirs et doit respecter les lois au nom de l'intérêt général. Par exemple, on dit d'un électeur qui vote qu'il accomplit « son devoir de citoyen ».
Si la définition de la citoyenneté est étroitement liée à celle de la nationalité et originellement à la démocratie, elle s’étend au-delà de la nationalité, de la participation politique et de l’obéissance à la loi : les étrangers résidant par exemple en France bénéficient des mêmes droits économiques et sociaux que les nationaux, ainsi que des mêmes libertés fondamentales, et se doivent aussi d’obéir à la loi. La célèbre formule « citoyens du monde » démontre en outre la volonté de dépasser le cadre national, donnant une dimension universelle au concept.
L'origine antique du concept
Le concept de « citoyen » (politès en grec, civis en latin) naît dans la Grèce, puis la Rome antique, en même temps que la cité (polis, civitas). C'est dans ce cadre qu'émerge l'idée de participation à la « chose publique » (res publica), et que se forme ce que nous appelons encore aujourd'hui la « politique » : c’est-à-dire l’expression de la capacité rationnelle des hommes à organiser leur propre vie en parvenant (par le débat, la décision collective) à un accord réfléchi. Dans la définition célèbre qu'en propose Aristote, trois aspects sont décisifs : la liberté du citoyen, qui lui permet de se déterminer par lui-même ; la référence à un « bien commun » de la cité, supérieur aux intérêts des particuliers ; enfin, l'égalité, qui permet à tous les citoyens de concourir à la formation de la loi et les soumet aussi à ses obligations. En d'autres termes, les mêmes individus sont alternativement « gouvernants » et « gouvernés ». On le voit, une telle notion est potentiellement universelle.
Il faut toutefois formuler immédiatement une série de restrictions. Le concept antique de la citoyenneté n'a de sens, et de portée effective, que dans le cadre de la cité, « communauté » territoriale restreinte rattachée au mythe d'une origine commune.
À cet égard, une différence capitale se fait jour entre la conception grecque et la conception romaine : la citoyenneté grecque, héréditaire (y compris dans les constitutions démocratiques), reste cantonnée dans le cadre original, tandis que la citoyenneté romaine (liée aux institutions aristocratiques hiérarchisant les classes de patriciens et de plébéiens) peut être indéfiniment étendue à mesure que la cité devient le centre d'un empire universel.
De même, dans toutes les cités antiques, la citoyenneté est un privilège réservé à une élite masculine : elle ne concerne que les hommes libres, vivant du travail des esclaves, et les pères de famille (excluant absolument les femmes).
La crise du monde antique marque en Occident le début d'une longue éclipse du citoyen, remplacé par le sujet du prince (laïque ou ecclésiastique), dans le cadre d'une société d'ordres fondée sur les liens d'allégeance, d'homme à homme, et sur l'idée d'un droit divin. C'est dans le cadre limité des villes « bourgeoises » que réapparaît d'abord le citoyen : comme un citadin (allemand : Bürger) organisé en corporations.
L'homme et le citoyen
Le concept retrouve sa légitimité avec les révolutions anglaise et française aux xviie et xviiie s. Affirmant leur volonté de ne plus voir dissociés les droits juridiques et politiques des droits de la personne humaine, les révolutionnaires de 1789 rédigent la célèbre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La référence aux droits de l'homme – qui ont valeur de fondement « imprescriptible » pour les droits du citoyen : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » – entraîne cette fois l'universalité inconditionnelle. Quiconque est homme est aussi virtuellement citoyen, et la notion moderne du citoyen est ainsi à l'origine d'un processus d'émancipation de toutes les « minorités » (au sens politique du terme) : qu'il s'agisse des femmes, des travailleurs économiquement dépendants ou des populations réduites en esclavage ou colonisées. Leur émancipation doit se faire sous la forme d'un accès collectif à la souveraineté politique et d'une jouissance personnelle des libertés individuelles et des libertés publiques, limitées seulement par les nécessités de la coexistence. À la différence de la citoyenneté antique, la citoyenneté moderne ne fait pas de l'égalité une conséquence dérivée du statut d'homme libre, mais elle l'inscrit au principe même de la liberté civique. C'est pourquoi, depuis le xixe s., la revendication d'égalité des droits n'a cessé d'être le moteur des progrès de la citoyenneté.
À l'évidence, il s'agit pourtant d'un idéal, et cette conception de la citoyenneté est encore restrictive : le suffrage censitaire (qui conditionne le droit de vote à un certain niveau de fortune) exclut en effet une grande partie de la population française, puis le suffrage universel, instauré en 1848, l'ampute jusqu'en 1944 de sa moitié de sexe féminin. En outre, à l'égalité des droits ne correspond que très imparfaitement l'égalité des pouvoirs. Cela tient, notamment, à ce que l'État moderne n'institue pas la démocratie directe, mais, au mieux, une démocratie représentative, qui détermine la formation d'une « classe politique » plus ou moins fermée et qui doit compter avec la puissance propre d'un « appareil d'État » bureaucratique et devenu une fin en soi. Cela tient aussi (comme le souligne Marx) à ce que la citoyenneté « formelle » est sous-tendue par l'inégalité des propriétés et des pouvoirs économiques : le citoyen est avant tout le bourgeois, l'homme de la société capitaliste.
La citoyenneté sociale
En l'espace de deux siècles, la notion de citoyenneté est progressivement passée du terrain juridique au terrain social. Dans les faits, la citoyenneté s'est identifiée avec l'appartenance nationale, cependant que l'État-nation se chargeait de régler les conflits de classes nés de l'industrialisation et de réduire les inégalités en organisant l'éducation, la politique sociale, la santé publique. La distinction simple entre sphère « publique » et sphère « privée » s'en trouve modifiée, de même que la notion de civisme, qui exprime l'ensemble des devoirs du citoyen, corrélatifs de ses libertés.
À la problématique classique de la liberté et de l'égalité se superpose désormais celle des rapports entre l'individualité et la masse, qui a été avivée par le totalitarisme. Face à l'apathie politique des masses, que traduisent certains taux d'abstentionnisme électoral dans les sociétés contemporaines, les voies d'une « nouvelle citoyenneté » sont à rechercher à plusieurs niveaux : cosmopolitisme (littéralement « citoyenneté du monde », vieille notion remise en honneur par la crise des politiques purement nationales), participation aux décisions économiques, autonomie des communautés culturelles, défense de l'environnement.
Symbolique de la citoyenneté
La citoyenneté procure un sentiment d'appartenance à une même communauté nationale ainsi que la possibilité d'une participation active à la vie publique et politique. Dès lors que l'État « délivre » le statut de citoyens à ses membres, ceux-ci peuvent s'en sentir redevables comme ils peuvent à tout moment invoquer la revendication de leurs droits fondamentaux. La notion de citoyenneté implique un rapport étroit entre l'État et ses citoyens, qui peuvent être déchus de leurs droits momentanément ou définitivement pour conduite « illégale ».
En outre, les fortes connotations symboliques de la citoyenneté telles que l'égalité et la responsabilité tendent à faire de l'identité citoyenne une qualité abstraite qui masque les inégalités concrètes de statut social : les droits sociaux des individus (travail, Sécurité sociale...) sont devenus des attributs de la citoyenneté depuis de nombreuses années ; cependant, les contextes de crise économique peuvent laisser penser que la citoyenneté est une valeur relative, et qu'elle ne s'exerce jamais sur un pied d'égalité.