Sibérie
Partie nord-est de l'Asie, entre l'Oural et le Pacifique.
Au sens traditionnel du terme, la Sibérie, presque exclusivement russe (→ Russie), s'étend de l'Oural à l'océan Pacifique, entre l'océan Arctique au N., et la frontière avec la Mongolie et la Chine et débordant au Kazakhstan au S. (près de 13 millions de km2, environ 25 fois la France). Elle regroupe environ 25 millions d'habitants. Au sens restreint, la Sibérie comprend les régions économiques de Sibérie occidentale et de Sibérie orientale, les régions bordières de l'océan Pacifique formant l'Extrême-Orient russe.
GÉOGRAPHIE
Espace périphérique, éloigné des centres vitaux de la Russie d'Europe, la Sibérie subit le double handicap de l'étendue (7 500 km de Tcheliabinsk à Vladivostok) et des milieux bioclimatiques hostiles à l'homme. Le nombre de fuseaux horaires (huit), la durée des voyages (notamment par le Transsibérien) donnent une idée plus concrète encore de cet espace. Espace stratégique, elle recèle la plus grande partie des réserves énergétiques et minérales de la Russie, dont la mobilisation constitue un facteur déterminant de la puissance économique russe. La mise en valeur se heurte à l'insuffisance du peuplement, aux contraintes de l'environnement géographique et des distances qui renchérissent les coûts de production et de transport et impliquent la mise au point de techniques et d'équipements spécifiques.
1. Le milieu
1.1. Le relief
La Sibérie est montagneuse. Sans doute, le bassin de l'Ob est-il un immense marécage, mais ailleurs s'élèvent des montagnes. Ainsi, au sud, l'Altaï, qui dépasse 4 000 m, et les monts Saïan, plus modestes, sont des massifs anciens, rajeunis au cénozoïque. Ces montagnes ont gardé des forêts de résineux, des minerais non ferreux et d'alliage ; le Kouzbass s'étend à leur pied. Elles possèdent dans leur partie la plus élevée de beaux bassins de steppe d'altitude et des réserves de bois inexploitées.
À l'est du lac Baïkal, qui trace dans l'écorce terrestre une cicatrice de près de 2 000 m de profondeur, s'allongent des arcs élevés, plus ou moins moulés sur le bouclier de l'Angara : ainsi, vers l'est, les monts Iablonovyï, les monts Stanovoï, les chaînes de Verkhoïansk, et au nord-est celles qui constituent la presqu'île des Tchouktches. Les altitudes se tiennent entre 2 000 et 3 000 m.
En Sibérie centrale, le bouclier de l'Angara représente une boursouflure assez négligeable sur le plan orographique. Il est entouré de bassins houillers, de chaînes bien moulées sur la forme du bouclier, creusées de gorges superbes qui rendent le relief très accidenté.
Enfin, en Extrême-Orient, les plis de l'île de Sakhaline, les îles Kouriles, le Kamtchatka appartiennent au nord de la Ceinture de feu du Pacifique, où le volcanisme est loin d'être éteint, trait original en Russie.
1.2. Le climat
Le climat est beaucoup plus rude qu'en Europe, le froid plus sec, les pluies ou les neiges sont moins fréquentes. L'Oural oppose une barrière aux dernières perturbations océaniques. Située au-delà du 50e degré de latit. N., dans la partie de l'hémisphère Nord où l'importance des terres émergées est maximale, d'où l'importance de la continentalité, la Sibérie connaît toute la gamme des climats continentaux froids, caractérisés par des contrastes thermiques extrêmes, des précipitations faibles avec un maximum d'été. La durée des hivers (de 4 à 9 mois près du cercle polaire), la rigueur du gel, la faible épaisseur de la couverture neigeuse expliquent que le sol est gelé en permanence, à l'exception de l'extrémité méridionale de la Sibérie occidentale. Au nord, quelques îles seulement sont libres de glace (Novaïa Zemlia ou Nouvelle-Zemble), mais, à partir de la mer des Laptev, tout peut être gelé certains étés. La merzlota, ou « sol perpétuellement gelé », relativement rare en Europe, s'étend au nord d'une ligne qui passe par l'embouchure de l'Ob, la haute Toungouska et le bas Oussouri, c'est-à-dire dans la zone de la forêt.
L'hiver
La répartition des températures hivernales est déterminée par la position des stations à l'océan Atlantique : dans l'ensemble, les moyennes de janvier sont de – 15 °C à – 20 °C en Sibérie occidentale, de – 30° à – 40 °C en Sibérie orientale. Sur une étroite frange longeant l'océan Pacifique et la mer d'Okhotsk, on retrouve des moyennes supérieures à – 30 °C. Mais, à Vladivostok, au sud du 45e parallèle, la moyenne de janvier est encore inférieure à – 10 °C.
La Sibérie centrale possède les pôles du froid dans l'hémisphère Nord, c'est-à-dire l'unes des régions où l'on a enregistré les plus basses températures : les moyennes de janvier y sont inférieures à – 50 °C, avec des minima de – 65 °C à – 68 °C. La station d'Oïmiakon, avec un froid absolu de – 84 °C, a détrôné Verkhoïansk. Il est remarquable de constater que les isothermes, surtout l'hiver, se moulent autour de la basse Lena.
L'été
Quant à l'été (le printemps ne durant que quelques jours), il est chaud et surtout humide et brumeux, et la population est accablée par les moustiques. En été, le nord et l'est de la Sibérie ont des moyennes de juillet inférieures à + 15 °C, et, sur la côte, les toundras occupent des zones dites « sans été », parce que la moyenne de juillet y est inférieure à + 10 °C. L'isotherme de + 15 °C en juillet suit approximativement le cercle polaire. Les moyennes supérieures à + 20 °C n'apparaissent que dans le bassin moyen de l'Amour.
Les précipitations
La Sibérie est un pays sec, recevant moins de 550 mm de précipitations par an, sauf sur le rebord des montagnes du Sud et dans les régions riveraines de l'océan Pacifique : plus de 1 m de précipitations par an tombent au Kamtchatka, surtout sous forme de neige.
1.3. La végétation
Au N. du cercle polaire et sur les parties élevées des plateaux, le sommet des caps et des presqu'îles, comme Taïmyr ou le Kamtchatka, et sur les montagnes de Sibérie orientale règne la toundra aux ressources biologiques limitées (pâturages estivaux pour les rennes). La taïga, constituée d'épicéas, de pins sylvestres en Sibérie occidentale, de mélèzes (bien adaptés à la relative sécheresse) en Sibérie orientale, plus riche en ressources biologiques (animaux à fourrure), détient les trois quarts des réserves de bois du pays et couvre la plus grande partie de la Sibérie. La forêt est de loin la plus vaste forêt de résineux du monde et renferme la moitié environ des réserves mondiales de bois. Mais l'épicéa, le sapin, les bouleaux même ont disparu. Seul le ruban de forêt traversé par le Transsibérien a gardé des traits européens, tandis que la forêt d'Extrême-Orient commence dans les bassins de l'Amour inférieur. La partie méridionale de la Sibérie occidentale appartient à la zone de la steppe boisée et de la steppe, dont les sols noirs constituent un bon support pour l'agriculture.
1.4. Les fleuves
Trois grands bassins hydrographiques se partagent le drainage de la Sibérie : l'Ob, l'Ienisseï, la Lena. L'écoulement des eaux en direction de l'océan Arctique est responsable de gigantesques inondations au moment de la débâcle, qui s'opère plus tôt en amont qu'en aval. Navigables pendant les trois mois d'été, les fleuves sibériens sont les principaux axes de pénétration de ces régions d'accès difficile.
Les principaux fleuves de Sibérie
Les principaux fleuves de Sibérie | |||
Fleuve | Longueur | Superficie du bassin versant | Débit moyen |
Ob | 4 345 km | 2 990 000 km2 | 12 400 m3/s |
Lena | 4 270 km | 2 490 000 km2 | 16 100 m3/s |
Ienisseï | 3 354 km | 2 600 000 km2 | 19 800 m3/s |
Olenek | 2 292 km | 220 000 km2 |
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Iana | 1 030 km |
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2. Le peuplement et l'industrialisation de la Sibérie
Le peuplement indigène, d'origine ethnique diverse, formant de petites communautés dispersées de chasseurs ou d'éleveurs, a été progressivement submergé par la pénétration russe. En dépit de la colonisation paysanne de la fin du xixe s., l'essentiel de l'occupation humaine et économique est le fait de la période soviétique.
L'industrialisation lancée par les premiers plans quinquennaux a reposé sur un transfert massif de population, au prix d'un contrôle sévère de la force de travail et d'un effroyable gaspillage de vies humaines. Tous les grands chantiers étaient fondés sur l'existence de camps de travail alimentés par les purges et les déportations. Le desserrement de la contrainte intervenu depuis la fin des années 1950 pose avec acuité le problème de la régulation des migrations. Le recours à une politique de stimulants matériels (salaires plus élevés, congés supplémentaires), pour compenser la sévérité des conditions de vie, se révèle inopérant faute d'un effort suffisant pour améliorer le logement, les équipements et les services, ainsi que l'approvisionnement alimentaire. Les difficultés pour attirer et surtout pour fixer la main-d'oeuvre conduisent les responsables à opter pour un développement sélectif des ressources, limité aux industries extractives et de première transformation, qui spécialise les régions sibériennes dans le rôle de fournisseur d'énergie et de matières premières.
3. La Sibérie occidentale
Le territoire de la Sibérie occidentale (2 427 200 km2) s'étend sur deux unités physiques d'extension inégale : la vaste plaine marécageuse de Sibérie occidentale, zone d'ennoyage sédimentaire recélant d'importants gisements d'hydrocarbures, au S. le massif de l'Altaï, au pied duquel se trouve le bassin houiller du Kouzbass.
3.1. La grande plaine
La grande plaine est beaucoup plus uniforme que la plaine russe elle-même. Du 55e parallèle jusqu'à la côte septentrionale de la presqu'île de lamal, par 73 ° de latitude nord, on ne rencontre, sur plus de 2 000 km, qu'une seule hauteur dépassant 100 m, à 150 km au Novossibirsk. Les eaux s'écoulent avec d'autant plus de difficulté qu'au printemps le dégel s'effectue d'amont en aval, sur des cours d'eau orientés tous du Sud vers le Nord.
La grande plaine de Sibérie occidentale est limitée à l'Ouest par les montagnes de l'Oural et à l'Est par la vallée de l'Ienisseï, qui suit le rebord occidental des plateaux de Sibérie centrale. Mais ce fleuve ne contribue presque pas au drainage de la plaine, car tous ses affluents notables viennent de l'Est. La Sibérie occidentale correspond essentiellement au bassin hydrographique de l'Ob et de son grand affluent l'Irtych. Le nord-est de la plaine est drainé par quelques fleuves côtiers : Nadym, Pour et Taz. A partir des toundras, marécageuses en été, de la côte arctique et de la presqu'île de lamal se succèdent forêts et fondrières sur 1 500 km. Une guirlande d'exploitations agricoles d'élevage et de chantiers forestiers suit les deux vallées de l'Ob et de l'Irtych en amont de leur confluent.
La Sibérie occidentale est devenue la principale zone productive d'hydrocarbures du pays. Découverts au cours des années 1960, les gisements de pétrole de l'Ob moyen (Samotlor) et de gaz naturel du Grand Nord (Ourengoï) sont mis en exploitation dans un environnement très difficile, dans une région vide d'hommes, au climat rigoureux et au sol marécageux, au prix d'investissements coûteux en infrastructures et en matériel. Des cités ont surgi (Sourgout, Nijnevartovsk), des oléoducs et des gazoducs relient les champs producteurs aux régions consommatrices de la partie européenne. La fourniture de gaz naturel sibérien a fait l'objet d'un contrat avec plusieurs pays européens.
3.2. Le Sud et le Kouzbass
L'agriculture
Au S., à l'approche de la frontière kazakhe, la forêt cède la place à la steppe, au sens russe du mot. La mise en culture des terres vierges des steppes semi-arides a renforcé la base agricole régionale, qui couvre 35 millions d'ha. La Sibérie occidentale est la seule région sibérienne en mesure de pourvoir à son approvisionnement alimentaire (8 % de la récolte céréalière du pays). La région porte des terres à blé, à betterave à sucre, à lin et possède des zones d'élevage du gros bétail, depuis Tobolsk et Kourgan jusqu'à Novossibirsk. Kourgan est le principal centre régional de construction de matériel agricole ; Roubtsovsk fabrique des tracteurs.
L'organisation spatiale
L'organisation spatiale juxtapose ici un couloir de peuplement dense axé sur le Transsibérien, à partir duquel la colonisation paysanne a progressé à la fin du xixe s., au S. une zone de mise en valeur agricole étendue dans les steppes de Barabinsk et de Koulounda, et, dans l'extrémité sud-est, au pied de l'Altaï, le Kouzbass, pôle de développement industriel.
Le Kouzbass
Le Kouzbass (ou bassin de Kouznetsk), sur le Tom, est la plus peuplée des régions sibériennes, celle dont le développement économique, reposant sur une gamme diversifiée de ressources, est le plus ancien et le plus équilibré. Il possède des réserves houillères évaluées à 450 milliards de tonnes, des mines de fer et de métaux non ferreux. Au deuxième rang des bassins houillers du pays (20 % de la production), le Kouzbass livre les produits sidérurgiques (10 % de l'acier russe) et les biens d'équipement nécessaires au développement régional. À partir du charbon, source d'énergie et matière première, plusieurs cycles de production ont été développés : sidérurgie et constructions mécaniques, métallurgie des non-ferreux, carbochimie. Pôle lourd aux productions peu différenciées, dont les cités minières stagnent (Novokouznetsk, Kemerovo), le Kouzbass fait figure de vieille région industrielle. Les principales villes de cette région industrielle sont les centres miniers et métallurgiques : Prokopievsk, Leninsk-Kouznietski, ou d'industries diversifiées : Barnaoul.
Les villes
Nœuds relationnels établis sur les fleuves sibériens et les grands axes ferroviaires, les grands centres urbains sont les points forts de l'espace sibérien. Spécialisé dans les constructions mécaniques, les industries chimiques et alimentaires, Novossibirsk détient aussi les équipements administratifs, culturels et scientifiques qui font de lui la métropole régionale de toute la Sibérie. Devenus les bases d'appui de la mise en valeur du bassin pétrolier de l'Ob moyen, les centres d'Omsk, de Tioumen et de Tomsk ont fixé raffinage et pétrochimie et développé la production de biens d'équipement.
Les principales villes de Sibérie
Les principales villes de Sibérie | ||
Ville | Région | Nombre d'habitants |
Novossibirsk | Sibérie occidentale | 1 473 737 habitants |
Omsk | Sibérie occidentale | 1 153 971 habitants |
Krasnoïarsk | Sibérie orientale | 973 891 habitants |
Vladivostock | Sibérie extrême-orientale | 592 069 habitants |
Irkoutsk | Sibérie orientale | 587 225 habitants |
Tioumen | Sibérie occidentale | 581 758 habitants |
Novokouznetsk | Kouzbass, Sibérie occidentale | 547 885 habitants |
Kemerovo | Kouzbass, Sibérie occidentale | 532 884 habitants |
Tomsk | Sibérie occidentale | 522 940 habitants |
Oulan-Oude | Bouriatie | 404 357 habitants |
Kourgan | Sibérie occidentale | 333 640 habitants |
Sourgout | Sibérie occidentale | 306 703 habitants |
Nijnevartovsk | 251 860 habitants | |
Bratsk | Sibérie orientale | 246 348 habitants |
Prokopievsk | 210 150 habitants | |
Biisk | Sur l'Ob | 210 000 habitants |
Norilsk |
| 175 301 habitants |
Kamensk-Ouralski | Sibérie occidentale | 174 710 habitants |
Abakan | Khakassie | 156 183 habitants |
Roubtsovsk | Sibérie occidentale | 147 008 habitants |
Atchinsk |
| 109 156 habitants |
Leninsk-Kouznetski | Kouzbass | 101 666 habitants |
4. La Sibérie orientale
Plus étendue (4 122 800 km2), la Sibérie orientale est comprise entre la vallée de l'Ienisseï et les montagnes qui limitent, à l'E., le bassin de la Lena (monts de Verkhoïansk et plateau de l'Aldan). Son territoire comprend trois grandes unités de relief.
4.1. Les plateaux entre l'Ienisseï et la Lena
Les plateaux entre l'Ienisseï et la Lena, correspondant en gros à la zone de stabilité structurale du bouclier sibérien centrée sur le haut Anabar, constituent le premier de ces ensembles. L'altitude est comprise en général autour de 500 m, sauf au N.-O. (monts Poutorana : 2 037 m) ; mais le climat est déjà très rude. Une forêt de conifères assez maigre, en raison de la sécheresse relative, recouvre tous ces plateaux. Les principales voies de communication sont les grandes vallées des affluents de la rive droite de l'Ienisseï : du N. au S., la Toungouska Inférieure, la Toungouska Moyenne ou Toungouska Pierreuse, et la Toungouska Supérieure ou Angara, l'émissaire du lac Baïkal. Ces vallées sont utilisées pour l'exploitation de massifs forestiers très étendus, mais pratiquement vides d'hommes. Au N., les plateaux de Sibérie centrale dominent une grande plaine drainée par la Khatanga, et qui les sépare des montagnes de Byrranga, constituant l'ossature de la péninsule de Taïmyr. Au N. de la péninsule de Taïmyr, l'archipel de la Terre du Nord (Severnaïa Zemlia) dépasse le 80 ° parallèle.
Un seul foyer d'activité économique est établi dans le Grand Nord où le combinat métallurgique de Norilsk, relié au port de Doudinka sur l'Ienisseï, traite divers minerais non ferreux (cuivre, nickel, platine, cobalt).
4.2. La cuvette de la Lena
Le deuxième ensemble régional de la Sibérie centrale est constitué par le bassin moyen et inférieur de la Lena, grande cuvette dont le centre est occupé par la Iakoutie (aujourd'hui en République de Sakha), qui déborde sur la Sibérie orientale. La forêt cède la place à quelques cultures de grain et à des zones d'élevage dans la région du confluent de la Lena et de l'Aldan, autour de Iakoutsk.
4.3. La région du lac Baïkal
Enfin, l'ensemble le plus intéressant de la Sibérie centrale, au point de vue humain, est formé par les plateaux faillés qui encadrent la fosse du lac Baïkal et les bassins sédimentaires situés de part et d'autre de la pointe méridionale de ce lac, au S. Les monts Saïan et les chaînes encadrant le lac Baïkal appartiennent à la zone de plissements calédoniens et hercyniens. L'agriculture y est plus favorisée par le climat que dans les régions situées plus au N. (grain, betterave à sucre, élevage du gros bétail autour d'Irkoutsk et de Oulan-Oude).
Deux grands centres régionaux organisent la mise en valeur de la partie méridionale : Krasnoïarsk et Irkoutsk. À l'origine, postes militaires et centres administratifs, les deux villes ont été confirmées dans leurs fonctions de gestion et de relation, soutenues par un développement industriel actif dans une région vouée aux spécialisations énergétiques. On peut y rattacher Minoussinsk, situés plus à l'O., sur le haut Ienisseï ; on y produit, outre le grain et la viande, les meilleurs lins, du chanvre et des betteraves sucrières. La présence de houille et de minerais métalliques a permis l'implantation d'industries métallurgiques à Krasnoïarsk, à Irkoutsk et à Oulan-Oude. La production d'énergie hydroélectrique, à faible prix de revient, sert de base au développement de l'électrométallurgie de l'aluminium et aux industries de traitement du bois (cellulose, pâte à papier). Centrales hydroélectriques géantes, notamment dans la vallée de l'Angara, et complexes industriels sont couplés avec des villes nouvelles (Bratsk, Oust-Ilimsk). Irkoutsk a servi de point d'appui pour leur construction. Krasnoïarsk assume une fonction équivalente à l'égard du complexe des Saïan et de celui édifié sur le bassin de lignite de Kansk-Atchinsk.
5. L'Extrême-Orient
5.1. Le milieu physique
La région est immense : 6 200 000 km2. L'Extrême-Orient est en fait un assemblage de terres limité par une côte indentée et des îles, en tout des milliers de kilomètres. Les traits extrême-orientaux résident dans le climat, marqué par la mousson d'été. La végétation arbustive des bassins inférieurs de l'Amour rappelle celle d'Hokkaido ; le riz et le kaoliang sont cultivés à proximité de la frontière chinoise. Même les pays situés le plus au nord subissent l'influence adoucissante de la mousson.
C'est une région montagneuse de formation et d'âge variés : ses chaînes plissées sont d'autant plus récentes que l'on se rapproche de l'océan Pacifique. C'est aussi en bordure de cet océan que l'on enregistre les altitudes les plus élevées (4 850 m à la Klioutchevskaïa, au Kamtchatka). On peut distinguer d'abord un ensemble d'arcs montagneux occupant le nord-est de l'Asie et enveloppant les plaines de l'Indighirka et de la Kolyma, en bordure de la mer de Sibérie orientale : chaînes de Verkhoïansk (2 959 m), des monts Tcherski (3 147 m), et de la Kolyma. Cette région est riche en gisements métalliques divers, mais elle n'est encore peuplée que par de petits groupes autochtones (Tchouktches). Un second groupe montagneux correspond au grand arc des monts Koriakski et du Kamtchatka, qui fait partie de la Ceinture de feu du Pacifique ; il domine directement la mer de Béring et l'océan Pacifique et possède des volcans en activité, dont la Klioutchevskaïa. La presqu'île du Kamtchatka possède de beaux geysers. Les îles Kouriles sont les sommets d'un arc effondré (l'arc des Kouriles). Dans le bassin supérieur de l'Amour, en amont de Blagovechtchensk, les hauts voussoirs des monts Stanovoï et des monts Iablonovyï sont des montagnes anciennes rajeunies par des soulèvements régionaux cénozoïques. Cette région est riche en mines (métaux non ferreux surtout), qui font l'intérêt industriel de la circonscription de Tchita et de Nertchinsk. Un dernier ensemble, enfin, est constitué par différents secteurs : les bassins de l'Amour moyen (bassin de Blagovechtchensk, avec la zone houillère de la Boureïa ; bassin du territoire autonome juif du Birobidjan, riche en minerai de fer) ; la province maritime, qui a pour centre le bassin de Khabarovsk et qui comprend le sillon Ossouri-Bas-Amour et les montagnes de Sikhote-Alin (2 078 m) [entre ce sillon et la mer du Japon] ; enfin, la grande île de Sakhaline.
5.2. Les aspects humains
L'Extrême-Orient oppose à la mise en valeur un relief compartimenté difficile d'accès, où plaines et couloirs de circulation sont rares. L'altitude aggrave les effets de la latitude, et ceux de la situation sur une façade orientale du continent, pour faire du climat l'un des plus sévères. La région maritime tire son intérêt de deux éléments : en premier lieu, de sa position géographique, qui en fait la façade normalement accessible de l'Union soviétique sur l'océan Pacifique, entre les 43° et 55° parallèles ; de ses ressources minières en second lieu : charbon de la région de Vladivostok et Aleksandrovsk-Sakhalinski, pétrole dans le nord de l'île de Sakhaline, minerai de fer et métaux non ferreux dans le sud de la chaîne de Sikhote-Alin, or dans l'ensemble de la chaîne. Faiblement peuplé en dépit d'une immigration russe continue, l'Extrême-Orient est caractérisé par une mise en valeur extensive et sélective des ressources, dans un milieu naturel contraignant et imparfaitement maîtrisé. La chasse et l'élevage des animaux à fourrure, l'élevage du renne s'accompagnent d'une occupation humaine très lâche : la densité est encore inférieure à celle de la Sibérie orientale. La mise en culture est quasiment limitée aux plaines méridionales, bassin de la Zeïa-Boureïa, vallées de l'Amour et de l'Oussouri. L'exploitation de la forêt intéresse principalement la partie méridionale (chaîne de Sikhote-Aline, île de Sakhaline, où croissent des espèces de qualité). Le sciage des bois descendus des vallées de montagne anime de petits centres établis le long du Transsibérien. Le littoral de l'Extrême-Orient se situe au premier rang des pêcheries russes par le volume des prises (le tiers de la production russe), la diversité et la qualité des espèces. Sur les côtes du Kamtchatka et de l'île de Sakhaline et sur la côte occidentale de la mer d'Okhotsk, les pêcheries capturent les saumons qui remontent le cours inférieur des fleuves, les harengs et les morues, les crabes, vendus sur tous les marchés du monde ; de nombreux petits centres ont des conserveries : Anadyr, Apouka, Tilitchiki, Palana, Petropavlovsk, Kikhtchik, Oust-Bolcheretsk, Magadan, Okhotsk, Aïan. Équipée pour traiter et conserver le poisson à bord, les bateaux-usines s'aventurent jusque dans l'océan Indien, dans les eaux tropicales du Pacifique méridional, et même dans l'Atlantique. Après avoir surexploité les fonds du détroit de Béring, les baleiniers font campagne dans l'Antarctique. En dehors de quelques bassins houillers, dont la production est destinée à couvrir les besoins régionaux, l'effort s'est porté sur l'extraction des ressources minérales de grande valeur (or, diamants, étain et tungstène), notamment dans les centres miniers de la Kolyma et de la Tchoukotcha.
Cette région a annexé la République autonome de Sakha, qui appartenait jadis à la Sibérie orientale. Le choix a été dicté en fonction de la prospective : trouver dans la mer d'Okhotsk un débouché maritime à la Sakha, en construisant route et voie ferrée. On commence à mieux connaître les richesses du territoire : or (un peu partout), plomb (au nord), diamants (à Mirnyï, dans le Grand Nord et la Lena moyenne), houille et lignite le long de l'Amour. Un escalier de centrales a été installé sur la Lena. On a même évoqué la possibilité d'implanter un centre sidérurgique à Aldan, utilisant des minerais locaux et le coke de Tchoulman.
5.3. Un intérêt stratégique majeur
L'Extrême-Orient revêt par sa position géopolitique, au contact des puissances asiatiques, un intérêt stratégique majeur. La frontière fixée le long de l'Amour et de l'Oussouri (traité de Pékin, 1860) est contestée par la Chine, tandis que l'annexion des îles Kouriles (1945), qui ferment la mer d'Okhotsk et contrôlent l'accès au Pacifique, n'est pas reconnue par le Japon. Cet état de fait entraîne la concentration massive de troupes et de matériel. Il explique l'effort soutenu d'équipement et de peuplement : ambiguïté d'un espace relationnel fortement militarisé, qui tente de s'ouvrir aux échanges internationaux (trafic terrestre de conteneurs entre l'Europe et le Pacifique). Deux axes de circulation structurent la partie méridionale : l'artère vitale du Transsibérien qui longe la frontière, l'axe secondaire qui suit le cours inférieur de l'Amour de Khabarovsk à Nikolaïevsk. Une nouvelle voie ferrée, le B.-A. M., crée un troisième axe de développement. Fonctions industrielles et aussi de relations animent les principaux centres urbains : Blagovetchensk dans le bassin de la Boureïa, Komsomolsk-sur-l'Amour, important centre métallurgique, célèbre par Amourstal, l'aciérie (à faible production) de la Jeunesse communiste du temps de l'Union soviétique, Oussourisk, avec des industries alimentaires. Vladivostok, grande base militaire et port d'attache de la flotte du Pacifique, qui forme, avec l'avant-port de commerce de Nakhodka et un gisement de charbon à proximité, une agglomération travaillant presque exclusivement pour la mer, en rapport avec le Japon et terminus de la Route maritime du Nord, et Khabarovsk, principal nœud relationnel, siège de constructions mécaniques, exercent les fonctions de commandement régional. Nikolaïevsk-sur-l'Amour et Khabarovsk reçoivent le pétrole de Sakhaline, mais en quantités trop faibles pour devenir des centres de pétrochimie. Sur la mer d'Okhotsk, Aïan, Okhotsk, Magadan et, dans le Kamtchatka, Petropavlovsk-Kamtchatki sont équipés pour la pêche.
6. L'exploration de la Sibérie
L'immense Sibérie est encore à peu près inconnue au milieu du xvie s. : quelques rares commerçants, remontant la Petchora, ont franchi l'Oural et atteint l'Ob, le premier grand fleuve que l'on rencontre dans la plaine en venant de l'ouest.
Le premier explorateur de la Sibérie est un Cosaque, Iermak, qui, avec sa troupe, atteint en 1580 la Toura, sous-affluent de l'Irtych, lui-même affluent de l'Ob. L'année suivante, il bat les Mongols et s'empare du khanat de Sibir (qui a donné son nom à la région, la Sibérie). Mais il est bientôt repoussé par eux au-delà de l'Oural. Les Cosaques reviennent en force en 1586 et, l'année suivante, fondent Tobolsk sur l'Irtych : la défaite définitive des Tatars ouvre aux Russes toutes les plaines de l'Asie septentrionale, qui ne sont occupées que par des populations nomades, très dispersées, incapables de résister aux mousquets des conquérants : ces derniers sont avant tout des chasseurs qui vont toujours plus loin traquer les animaux à fourrure. Tomsk, sur un affluent de l'Ob, est fondé en 1604 ; plus à l'est, l'Ienisseï est bientôt atteint et descendu jusqu'à son embouchure (1610).
La reconnaissance de la Sibérie s'effectue à très grande vitesse, en profitant des sections ouest-est de certains affluents des grands fleuves. Ainsi, la Toungouska Inférieure, qui rejoint l'Ienisseï, conduit les chasseurs et les marchands de peaux vers le bassin de la Lena, dont le delta est découvert en 1617 ; en 1632, la ville de Iakoutsk est fondée sur ce fleuve. De là, la mer d'Okhotsk est atteinte en 1638.
Une autre voie de pénétration, plus méridionale, utilise le cours de l'Angara, tributaire du haut Ienisseï, et les Russes parviennent au lac Baïkal en 1643. Le dernier grand fleuve sibérien, la Kolyma, est atteint en 1644, puis descendu en bateau par un Cosaque, Semen I. Dejnev, qui arrive jusqu'à la côte de l'océan Arctique (1648). Il franchit ensuite l'extrémité de l'Asie, à laquelle son nom est donné (cap Dejnev). Cette grande découverte, contestée par certains, ne sera cependant confirmée que lorsque Bering aura réitéré cet exploit, quatre-vingts ans plus tard, prouvant définitivement que l'Ancien Monde n'est pas soudé à l'Amérique mais en est séparé par le détroit de Béring. Plus au sud, Vassili D. Poïarkov remonte la rivière Aldan et parvient à l'Amour, qu'il descend jusqu'à son embouchure (1643-1646). Mais les Mandchous s'inquiètent de cette poussée, et les Russes devront, à partir de 1658, abandonner plusieurs postes établis sur le grand fleuve et dans la partie orientale de son bassin. La fin du siècle voit la pénétration des Russes dans la péninsule du Kamtchatka avec le Cosaque Morosko (1696), qui inaugure une période de domination brutale sur les indigènes.
Cette reconnaissance de la Sibérie n'a pas encore un caractère scientifique ; elle n'en représente pas moins une œuvre considérable puisqu'elle fait surgir de l'inconnu, en moins de cent ans, des territoires s'allongeant sur plus de 5 000 km.
Le Siècle des lumières va reprendre l'étude du nord de l'Asie avec l'appui des savants : Pierre le Grand organise plusieurs expéditions scientifiques de première importance. Les nouvelles recherches partent d'abord sur le littoral de l'océan polaire, en particulier à l'ouest et au centre, entre la Nouvelle-Zemble et la péninsule de Taïmyr : en 1742, Semen I. Tcheliouskine parvient, en traîneau, à l'extrémité de cette dernière, au cap qui porte son nom et qui constitue l'extrémité continentale de l'Ancien Monde.
La plus importante expédition quitte Saint-Pétersbourg en l'année même de la mort du tsar (1725), sous la direction du Danois Vitus Bering : elle met trois ans pour parcourir toute la Sibérie, y multipliant les observations dans tous les domaines scientifiques et dressant les premières cartes d'ensemble de la région. En partant de la base de Petropavlovsk, sur le littoral du Kamtchatka, le chef de l'expédition entreprend à partir de 1728 l'étude détaillée des rivages formant l'extrémité de l'Asie. La découverte se poursuit sous le règne de Catherine II : l'Allemand Peter Simon Pallas part en 1768 avec de nombreux collaborateurs et gagne l'Amour par la route des caravanes, découvrant notamment des fossiles de mammouth et de rhinocéros.
Il reste encore beaucoup de secteurs à pénétrer au xixe s. pour dresser une géographie exhaustive de la Sibérie. Beaucoup s'y emploient, en particulier A. von Humboldt, que son dernier grand voyage conduit, en 1829, dans le sud de la Sibérie occidentale ; Aleksandr Fedorovitch Middendorf étudie d'abord les hauteurs situées à l'est du cours inférieur de l'Ienisseï, jusqu'à la péninsule de Taïmyr (1843), puis il se rend au lac Baïkal et dans le bassin de l'Amour ; en 1854, le gouverneur de la Sibérie orientale, Nikolaï N. Mouraviev, conduit une expédition militaire jusqu'à l'embouchure de ce fleuve et ramène de nombreux documents ; de 1873 à 1876, Aleksandr L. Tchekanovski parcourt les régions encore très peu connues entourant la basse Lena ; un ingénieur français, Martin, qui effectuait des recherches minières, explore les régions dominées par les monts Stanovoï, entre la rivière Aldan, affluent de la Lena, et l'Amour (1884).
La construction du Transsibérien, à partir de 1891, permet de préciser dans le détail la connaissance de la Sibérie méridionale. Quant à la bordure septentrionale de la région, baignée par l'océan Arctique, elle sera l'objet de recherches nombreuses en rapport avec l'ouverture du passage du Nord-Est (la « Route maritime du Nord » des Russes) : le Suédois Adolf E. Nordenskjöld franchit cette dernière en 1878-1879, après que son navire, la Vega, a été immobilisé par les glaces pendant 294 jours dans la mer de la Sibérie orientale. Dès lors, de nombreuses expéditions vont chercher à préciser comment les régions côtières peuvent être utilisées pour servir de bases au nouvel itinéraire maritime, en particulier celle de Tolmatchev en 1909. C'est seulement en 1932 qu'un brise-glace, le Sibiriakov, réussit à longer toutes les côtes sibériennes en un seul été. Par l'intermédiaire de l'Académie des sciences, le pouvoir soviétique multipliera les expéditions dans l'intérieur, en particulier à l'extrémité de la Sibérie, dans les bassins de la Kolyma et de l'Indiguirka et, en 1934-1935, dans la presqu'île des Tchouktches, où Sergueï V. Obroutchev dirige des recherches géologiques.
PRÉHISTOIRE ET HISTOIRE
Progressivement libérée des glaces, la Sibérie a été le foyer de nombreuses cultures préhistoriques avec au paléolithique une production, entre 24000 et 22000 avant J.-C., de statuettes féminines en ivoire. À l'est, les cultures du Baïkal participent à l'élaboration du néolithique chinois. Au nord de l'Altaï, des sépultures princières (vie s. avant J.-C.) ont livré un riche mobilier funéraire au répertoire décoratif proche de celui des Scythes. À partir de la fin du iiie s. avant J.-C., des populations mongoles et turques se substituent aux anciennes populations autochtones. Cependant, les Toungouses organisent un royaume dans les régions proches du Pacifique (viie-xe s.). Au xve s. se constitue le khanat mongol de Sibérie, détruit en 1598 par les Cosaques. Vers 1582 débute la colonisation russe, qui atteint la mer d'Okhotsk en 1639. En 1860, la Chine reconnaît la domination russe sur les territoires de l'Amour et de l'Oussouri. La construction du Transsibérien (1891-1916) permet alors la mise en valeur de la Sibérie méridionale.