La mémoire remonte à l'enfance, à l'adolescence de bon komsomol, au père lui aussi arrêté, à l'époque de la mort de Staline. Toujours, Siniavski parle de son désir d'écrire. Or, comment écrire de la sorte en plein stalinisme ou peu après, alors que c'est le pire des crimes ? Le destin de Siniavski sera celui d'un auteur clandestin, publié uniquement en Occident. Viendront ensuite l'internement et l'exil. « L'impossibilité des retours fait surgir les mémoires. » L'écriture est la véritable identité, celle d'un écrivain russe, où qu'il soit.
Dans ce roman tout se mêle délibérément la réalité se dédouble. Le récit atteint une force indomptable. Bonne Nuit est un roman qui ne s'oublie pas.
C. G
Miroir de la réalité
Certains romans étrangers accordent au contexte historique, politique et social un rôle déterminant : le Mur de la peste du Sud-Africain A. Brink (Stock), l'Attentat du Néerlandais H. Mulish (Calmann-Lévy), le Bon Allemand d'H. Krüger (Actes Sud) et, plus ancien, Le Simplon fait un clin d'œil au Fréjus de l'Italien Vittorini (réédition Folio). Dans d'autres cas, la fiction est plus grande, l'Histoire n'intervient plus avec un grand H : Cette lutte incertaine de R.-P. Johabvala (Balland), indienne d'origine polonaise ; vision d'une certaine Amérique avec la Fortune (Flammarion), suite de la Mule blanche de W.-C. Williams, l'Incendie de Los Angeles de N. West réédité au Seuil-Points, New Terminal d'A. Shulman (Messinger) et enfin, Incident de D. Bradley (Denoël), qui confirme la renaissance de la littérature noire.
La Découverte publie le roman cubain le plus populaire du xixe siècle : Cécilia Valdès de C. Villaverde. Les écrivains latino-américains décrivent un univers de misère et de lutte, avec la coloration particulière du baroque et la référence à une mémoire collective : déjà ancien, le Maître de la Gabriella du Colombien Samudio (Belfond) ; la Ballade du peuple carolin de l'Argentin H. Conti (Actes Sud) ; le Musée de cire du Chilien J. Edwards (Albin Michel) ; enfin, et surtout, le Tombeau de l'éclair du Péruvien Manuel Scorza, mort dans un accident d'avion en 1983 (Belfond).
Du Brésil, les éditeurs traduisent des œuvres déjà anciennes : l'Argent du laitier de D. Machado (Nadeau-Papyrus), Jean Miguel de Rachel de Queiros (Stock) et Cette terre, plus récente, d'A. Torres (Métaillé). De Jorge Amado, Stock reprend Cacao et Messidor les Souterrains de la liberté.
Trois oublis d'auteurs datant du début du siècle sont réparés : Singularité d'une jeune fille blonde du Portugais J.-H. Eça de Qeiros (Âge d'homme), la Ville de Segelfos du Norvégien K. Amsun (Calmann-Levy) et Une famille du Japonais S. Tôson (Presses orientalistes de France). Pour finir, une œuvre à multiples facettes de l'Anglais L. Durrell, Constance, troisième partie du Quatuor d'Avignon (Gallimard) et à noter Lawrence le Magnifique de V. Volkoff (Âge d'homme), un essai sur l'œuvre de Durrell.
Roman historique
Il connaît une certaine vogue avec deux œuvres à succès publiées chez Fayard : la Maison aux esprits, premier roman de la Chilienne I. Allende, et la Niche et la Honte de l'Albanais I. Kadaré (chez le même éditeur, remarquons la très riche Anthologie de la prose albanaise). Grasset propose les jumeaux de Black Hill de l'Anglais B. Chatvin et Balland Des cercles dans la forêt de la Sud-Africaine D. Matthié. L'Australie nous offre l'Australienne de N. Coto (Éditions des Femmes) et In memoriam de R. Hall (Presses de la Renaissance). L'Extrême-Orient offre deux livres sur la Chine rurale : la Longue Nuit du Chinois Xueying (Flammarion) et l'Innocent du village aux roseaux du Taiwanais Tch'en Ki-Ying (Aubier). Signalons enfin deux œuvres rares ; la Butte-aux-Cailles du Russe P. Petrov (fin du xixe siècle) [Le Tout sur le Tout] et l'Armada de l'Allemand F. Zeize (Sorbier), une des seules publications nouvelles de l'Allemagne nazie qui ne soit pas marquée par la propagande.
Journaux autobiographiques
Écrivains d'hier et d'aujourd'hui aiment à redécouvrir leur vie. Le Journal d'A. James, sœur méconnue de deux auteurs célèbres, sort aux Éditions des Femmes et chez Café Clima Editions. Les Carnets de son frère Henry sont réédités chez Denoël (réédition de Son image dans le tapis chez Horay ; numéro de l'Arc consacré à Henry). Bourgois propose les Journaux de l'Anglais L. Carroll et le Journal d'un écrivain de V. Woolf. Belfond publie la Futaie perdue du poète espagnol Alberti et Flammarion le Journal de Paris et d'ailleurs 1936-1942 du poète surréaliste anglais D. Gascoyne. L'Étranger du square, journal à deux voix, d'A. Koestler et de sa femme, paraît chez Calmann-Lévy et Soixante-dix s'efface d'E. Jünger (RFA) chez Gallimard. Peu d'autobiographies consacrées à toute une vie : la très ancienne Histoire de ma vie de S. Maïmon et le Froid - Une mise en quarantaine avec Un enfant de l'Autrichien T. Bernhard (Gallimard). Ce sont plutôt des fragments de vie : Aké, les années d'enfance du Nigérian W. Soynka (Belfond), la Confession véridique d'un terroriste albinos du poète sud-africain Beyrten-Breytenbach en exil (Stock), Une bagatelle en tous sens positive de F. Fühman (RDA) [Alinéa], la Maladie humaine de l'Italien F. Camon, l'Histoire de ma mère du Japonais Y. Inoué (Stock), Nuits blanches d'E. Hardwick (Buchet-Chastel), Sacrifices de l'Indien des Caraïbes, Naipaul (Albin Michel). Fayard publie avec succès les souvenirs littéraires de F. Prokosch (États-Unis), écrivain des années 30, avec Voix dans la nuit (réédition aussi des Sept Fugitifs du même auteur chez Gallimard-l'Imaginaire). Bourgois édite les Souvenirs de Pologne, portant sur l'entre-deux-guerres, du Polonais W. Gombrowicz et ses Périgrinations argentines complétées par Gombrowicz en Argentine 1939-1963, témoignages et documents de sa veuve chez Denoël. (Réédition de Babakaï chez le même éditeur et de Ferdydurke chez Bourgois, collection 10/18.)