En tout cas, le régime amorce une politique d'ouverture destinée sans aucun doute à faire oublier les dures répressions qui avaient suivi les émeutes de janvier 1978 (Journal de l'année 1977-78). Habib Achour, le leader syndical condamné à 10 ans de travaux forcés à la suite de ces émeutes, est gracié puis libéré, le 4 août 1979. On annonce que, lors des prochaines élections législatives, les citoyens pourront choisir entre deux candidats au même siège — mais ces deux candidats doivent obligatoirement appartenir au parti unique, le PSD (Parti socialiste destourien). Enfin, au congrès du PSD, le 5 septembre, Hedi Nouira, Premier ministre, fait approuver la politique économique libérale qu'il mène depuis une dizaine d'années.
Islam
Faut-il en conclure que les tensions intérieures sont apaisées et les problèmes économiques réglés ? Certainement pas. L'écart, en effet, se creuse entre une classe de nouveaux riches et une population que l'inflation appauvrit de plus en plus.
Les opposants politiques libéraux continuent à protester, même si le mouvement syndical, décapité, semble s'être rallié au régime. Mais surtout un nouveau phénomène se précise : la Tunisie, comme tous les pays musulmans, subit le contre-coup de la révolution iranienne. Discrètement, mais profondément, l'islam se réveille dans ce pays, qui est sans doute l'un des plus laïcs de tous les pays musulmans.
On voit des jeunes filles, à l'université, arborer la longue robe des intégristes. L'affluence est grande dans les mosquées où prêchent des orateurs enflammés. Le gouvernement, alarmé, décide de réagir. La revue islamisante Al Moujtamaa est suspendue pour trois mois, pour avoir fait l'éloge de la révolution iranienne. Les dirigeants politiques dénoncent ce nouvel intégrisme, manipulé de l'extérieur, disent-ils.
Commandos
Vision prémonitoire. En effet, le 27 janvier 1980 à 2 heures du matin, des commandos armés venus de Libye et d'Algérie investissent la ville de Gafsa à 350 km au sud-ouest de Tunis. Ces commandos, composés de Tunisiens entraînés et armés en Libye, depuis longtemps parfois, attaquent la caserne de l'armée, le poste de la garde nationale et le poste de police.
En quelques heures, ces quelques centaines de rebelles se rendent ainsi maîtres d'une ville de 32 000 habitants, où se concentre la production de phosphates tunisiens, alors que le président Bourguiba prend des vacances à Nefta, à 60 km de là.
Pendant deux ou trois jours, les combats font rage. L'armée tunisienne, en manœuvre dans l'extrême Sud, demande et obtient l'appui logistique de la France, qui enverra trois gros avions de transport de troupe et deux hélicoptères. En même temps, des navires de guerre français croisent au large du golfe de Gabès. Finalement, l'armée reprend le contrôle de la situation, et 60 attaquants sont arrêtés. À Tunis et à Nefta, Hedi Nouira et Habib Bourguiba tirent les leçons de l'événement.
Les assaillants (environ 300 hommes) ont été armés et entraînés en Libye dans des camps militaires. Cette attitude libyenne s'explique certainement par la déception et le désir de vengeance du colonel Kadhafi, furieux d'avoir vu échouer en 1974 sa tentative de fusion tuniso-libyenne (Journal de l'année 1973-74). Les relations entre Tunis et Tripoli frôlent la rupture, et la situation se complique encore quand le colonel Kadhafi accuse ouvertement la France d'intervention armée en Tunisie. Une crise grave s'ouvre alors entre Paris et Tripoli.
Complicités
Il est très vite prouvé qu'une partie au moins des assaillants de Gafsa est passée par l'Algérie, avec certaines complicités des autorités algériennes locales. À Alger, le président Chadli Bendjedid rassure Bourguiba, mais une certaine ambiguïté subsiste entre les deux pays, l'Algérie ne voulant ou ne pouvant désavouer ouvertement son allié libyen.
Cette brusque tentative de déstabilisation d'un régime modéré au Maghreb, se produisant en même temps que l'invasion soviétique en Afghanistan, inquiète l'opinion internationale. La France, en intervenant vite et publiquement, marque sa volonté d'éviter dans sa zone d'influence tout dérapage.