Le même jour, le port voisin de Gdynia entre à son tour dans la bataille. Comme Gdansk et la proche station balnéaire, Sopot, il est entièrement coupé du reste du pays. Les ouvriers des chantiers navals Commune de Paris décident la grève avec occupation.
Mercredi 16 décembre
Alors que Gdansk est entièrement paralysé et que dans ses hôpitaux on refuse les blessés, trop nombreux, la troupe pénètre sur les chantiers de Gdynia. À Varsovie, les réunions gouvernementales se succèdent. Tout s'oriente vers une même décision : la fermeté.
Jeudi 17 décembre
Les ouvriers se présentent aux portes des chantiers de Gdynia. Ils ont entendu l'appel de Stanislas Kociolek, jeune membre du bureau politique, venu précipitamment pour leur demander à la radio de reprendre le travail. Provocation, malentendu ? L'armée ouvre le feu sur les ouvriers. Des combats de rue se déroulent bientôt dans toute la ville. Au même moment, la ville de Slupsk, également sur le littoral balte, s'embrase à son tour. De violentes bagarres opposent la population aux miliciens.
À l'autre extrémité de la Baltique, le port de Szczecin entre, lui aussi, en dissidence. Dans la matinée, après avoir appris ce qui se passe à Gdansk et à Gdynia, les dockers et les ouvriers des chantiers navals du grand port se mettent en grève. Une gigantesque manifestation s'ébauche. Comme partout elle converge vers le siège du Parti, qui est incendié à l'aide de cocktails Molotov. Les ouvriers crient : « Nous sommes des travailleurs, pas des voyous. » Là aussi les tanks interviennent. Il y a plusieurs morts. Un journaliste, témoin des événements, racontera : « J'ai vu une mère écrasée par un char avec sa fillette dans les bras. À côté, un soldat pleurait. »
À Varsovie, le gouvernement, qui jusqu'à maintenant s'est contenté de quelques communiqués diffusés par l'agence officielle PAP, se décide à parler. Le visage tendu, Josef Cyrankiewicz, le président du Conseil, s'adresse à la population : « Des forces hostiles s'efforcent de désorganiser le travail ; des éléments criminels, anarchiques et ennemis de la Pologne ont exploité la situation », déclare-t-il. Mais il reconnaît que « les organisateurs des manifestations n'avaient pas de mauvaises intentions ». Les forces de l'ordre ont été obligées d'intervenir, ajoute le président du Conseil, annonçant qu'il y a eu, des deux côtés, « entre dix et vingt morts et des centaines de blessés ». Des morts, il risque d'y en avoir encore plus ; un décret gouvernemental pris le jour même donne l'ordre aux services de sécurité « d'utiliser toutes les mesures de coercition, y compris les armes à feu » si nécessaire.
La Pologne est virtuellement en état de siège ce jeudi 17 décembre.
Vendredi 18 décembre
L'inquiétude grandit dans les milieux dirigeants polonais. L'émotion est énorme à l'étranger. Deux représentants soviétiques, Souslov et Katouchev, font, semble-t-il, un séjour-éclair à Varsovie pour s'informer. Le parti communiste italien exprime sa « douleur et son émotion », suivi le lendemain par le PC français, qui dénonce « les erreurs et les insuffisances » de la direction du parti communiste polonais.
Samedi 19 décembre
La grève est totale dans les ports de la Baltique. Dans plusieurs villes de Pologne, spontanément, des mouvements de solidarité s'ébauchent : manifestation silencieuse à Cracovie, grèves perlées dans les entreprises de Varsovie, surtout aux usines d'automobiles Zeran et dans les aciéries Nowa Warszawa. Des rumeurs de grève générale commencent à circuler. Lundi, toute la Pologne risque d'être paralysée.
Dimanche 20 décembre
Après plusieurs jours de consultations, les adversaires de Gomulka passent à l'action. Dans la nuit du samedi au dimanche, ils réunissent « quelque part » à Varsovie ou près de Varsovie le Comité central, où le vieux leader est mis en minorité. Malade, épuisé, Gomulka refuse pourtant de céder. Il faudra l'insistance de Cyrankiewicz et de Zenon Kliszko, son bras droit, pour le forcer à démissionner. L'ère de Wladyslaw Gomulka est terminée. Un bref communiqué médical annonce son départ pour raisons de santé (« perturbations du système sanguin ») et le soir, à la télévision, Edward Gierek, le nouveau chef du Parti, s'adresse à la population : « Nous ressentons tous cette tragédie », déclare-t-il. Il promet de « tenir compte des réalités » et de « consulter largement la classe ouvrière pour qu'un tel désordre ne se répète plus ». Hissé au pouvoir plus par un parti effrayé que par les révoltes ouvrières, Gierek cherche et trouve des responsables. Les gomulkistes sont chassés du Bureau politique : Boleslav Jaszczuk, chargé de l'économie, et qui est donc à l'origine des hausses de prix ; Zenon Kliszko, qui avait donné l'ordre aux forces stationnées dans les ports de la Baltique de tirer ; le maréchal Marian Spychalski, chef de l'État, et enfin Ryszard Strzelecki, proche ami de Gomulka. Ils sont remplacés par des amis de Gierek, des technocrates, des gestionnaires. Mais le nouveau chef du Parti doit aussi accepter de faire alliance avec la tendance nationaliste des Partisans, dont le leader, le général Moczar, entre au Bureau politique (où il n'était que suppléant).