Karl Schiller parvient à maintenir l'expansion et à rétablir l'équilibre de la balance des paiements. Mais il peut à peine contenir la hausse à un peu plus de 3 %, très au-delà de ce qu'il avait promis. L'action concertée du ministre avec ses partenaires sociaux, syndicats et patronat, se heurte au refus des uns et des autres, qui ne sont pas prêts à sacrifier l'expansion à la stabilité des prix.

Des minorités de jeunes intellectuels, jeunes démocrates, jeunes socialistes, réclament un aménagement socialiste des rapports du capital et du travail. Le gouvernement s'oriente discrètement vers le capitalisme populaire sous l'égide de holdings d'État, mais refuse toute nationalisation. Les syndicats, de leur côté, se gardent de relancer la discussion sur la cogestion, afin de donner un délai au gouvernement, qui d'ailleurs possède une excellente caution libérale en la personne de Hans Dietrich Genscher (FDP), le très populaire ministre de l'Intérieur. Le FDP ne veut pas entendre parler de cogestion.

L'ouverture à l'est

Willy Brandt axe sa politique étrangère sur l'ouverture à l'Est, l'Ostpolitik. C'est la première fois qu'en République fédérale se dessine une alternative libérale de gauche en politique étrangère. Cette politique déchaîne les fureurs de l'opposition chrétienne-démocrate.

Instruits par les faux pas des gouvernements CDU qui les ont précédés, le nouveau chancelier et ses conseillers élaborent une stratégie du rapprochement Est-Ouest. Ils taisent ce qui sépare, soulignent ce qui réunit. W. Brandt refuse de se laisser arrêter par les formules catégoriques que lui opposent les communistes est-allemands en demandant notamment la reconnaissance de jure de la RDA. Il veut à la fois reconnaître le statu quo européen conformément aux desiderata soviétiques et le dépasser psychologiquement. Il estime qu'admettre la réalité d'une frontière revient à la franchir par l'amitié au lieu de la menacer par la force.

Sur cette base, début février 1970, des négociations sont engagées avec la Pologne pour normaliser le statut de la ligne Oder-Neisse. Elles paraissent devoir aboutir. Dans le même temps, Egon Bahr, l'envoyé spécial du chancelier, mène à Moscou de longues et difficiles négociations avec Andrei Gromyko pour parvenir à la conclusion d'un accord de renonciation à l'emploi de la force dans les rapports de leurs deux pays. En mai-juin, on a enfin la certitude que Bahr a obtenu l'assentiment de l'URSS, sans que Bonn ait à reconnaître la RDA en contrepartie. À Berlin-Est, Walter Ulbricht s'incline devant la volonté des Soviétiques.

Rencontres d'Erfurt et de Kassel

Les deux tête-à-tête de Willy Brandt et de Willi Stoph, à Erfurt le 19 mars et à Kassel le 21 mai, marquent une étape dans la voie du rapprochement entre les deux Allemagnes. Le dialogue est interrompu sine die lors de la seconde rencontre. Mais le signe de détente existe et on ne peut encore en mesurer toutes les conséquences.

Les deux rencontres ont allégé l'atmosphère, même si les échauffourées sans gravité de Kassel ont fourni quelques éléments aux adversaires du dialogue. Acclamé à Erfurt, Brandt a systématiquement évité le bain de foule. Il cherche avant tout à revaloriser la position de son interlocuteur est-allemand tant à l'égard de la population allemande qu'à l'égard de l'étranger, notamment de l'Europe occidentale, dont les relations avec la RDA dépendent, conformément aux engagements conclus, de ce que Bonn en décidera.

Bonn possède encore un certain nombre d'atouts susceptibles de décider Berlin-Est à reprendre le dialogue. Les progrès réalisés dans l'unification de la Communauté économique européenne, que Willy Brandt a placée sur la bonne voie le 1er décembre 1969, à La Haye, ainsi que son extension probable ne peuvent qu'engager l'Europe de l'Est à négocier avec Bonn et ses alliés.

Berlin : reprise des entretiens à quatre

Peu d'Européens mesurent encore la gravité du problème de Berlin pour l'avenir de leur continent. On est entré pourtant dans le troisième cycle de la crise. Il y a eu le blocus de 1948-49. Il y a eu l'ultimatum Krouchtchev en 1958. Voici maintenant que les contrôles est-allemands sur les voies d'accès à Berlin-Ouest se resserrent.