C'est à Bonn que Willy Brandt rencontre le plus de difficultés. Aux élections du 28 septembre 1969, la démocratie chrétienne (CDU) triomphe encore avec 46,1 % des suffrages, devant la social-démocratie (SPD), brillante seconde : 42,7 % des voix.
Il appartiendra au petit parti libéral (FDP), malgré sa défaite électorale (5,8 % des voix contre 9,5 % en 1965), de faire pencher la bascule en faveur d'une coalition libérale de gauche. Willy Brandt, président du SPD et membre du gouvernement de coalition CDU-SPD sortant, devient chancelier. Walter Scheel, président du FDP, est nommé vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères. Le nouveau cabinet compte 3 libéraux aux côtés de 14 sociaux-démocrates. Willy Brandt, meneur de jeu exceptionnel, leur insuffle un dynamisme auquel Bonn n'était pas habitué.
Participation massive
Le nouveau chancelier n'a qu'une majorité parlementaire de 12 sièges. Cet inconfort est largement compensé par le courant d'opinion en faveur de son parti, malgré une presse acquise dans sa majorité à l'ancien gouvernement. Pour la première fois, le SPD franchit le seuil des 40 % de suffrages et bat la CDU dans la répartition des mandats directs qui mesurent l'écho local des candidats. Les instituts de sondage signalent un changement de mentalité de l'électeur. Le SPD en a tenu compte en inscrivant sur sa bannière : « Tout dépend de l'électeur », tandis que Kiesinger, plus paternaliste, estimait que « tout dépend du chancelier ».
Mais les électeurs s'intéressent surtout à la stabilité des prix, à l'ordre public, à l'éducation. Trois élections provinciales, en Sarre, en Rhénanie du Nord-Westphalie et en Basse-Saxe confirment ces tendances le 14 juin. Elles consolident les deux grands partis. Les petits partis, FDP inclus, sont écrasés. Aux élections fédérales de septembre, les procommunistes de la liste ADF et les néonationalistes du NPD sont restés en deçà des 5 % de suffrages qui ouvrent la porte étroite du Bundestag. La jeunesse vote dans sa majorité pour la gauche modérée. La majorité électorale est abaissée à dix-huit ans. La très forte participation au scrutin de septembre — 86,8 % des électeurs ont voté, comme en 1965 — atteste que la démocratie parlementaire allemande est vivante, stable et représentative.
Le gauchisme allemand a perdu ses troupes, mais a gardé ses cadres. Il passe abruptement de la rébellion juvénile à la discipline marxiste, pro-chinoise parfois, pro-soviétique en général. Des manifestations violentes éclatent à Berlin-Ouest en août 1969, puis en mai 1970, comme à Hambourg et à Heidelberg. Un président (recteur) assistant, Rolf Kreibich, pacifie cependant l'université de Berlin, mais au prix de très amples concessions aux cellules rouges gauchistes et communistes. Les attentats se multiplient. Ils n'ont que sporadiquement un caractère politique, comme celui qui oblige l'avocat berlinois Mahler, qui passait pour être la tête du gauchisme allemand, à s'exiler, en juin 1970, en Jordanie, poursuivi par Interpol.
La préoccupation principale du gouvernement n'est pas cependant le maintien de l'ordre, mais le maintien des prix. Les capacités de production et les réserves de main-d'œuvre sont tendues à craquer dès le second semestre de 1969 par une demande vigoureuse à l'intérieur et à l'extérieur. La consommation privée, l'équipement des firmes progressent vite. Seul, le secteur public réduit ses dépenses pour limiter l'inflation. La demande croît plus vite que l'offre.
La réévaluation du deutsche Mark
La haute conjoncture entraîne des revendications salariales ponctuées de grèves sauvages à l'automne. Karl Schiller, ministre social-démocrate de l'Économie, estime qu'il faudrait réévaluer le deutsche Mark. Mais une fois de plus les milieux de l'industrie exercent une pression sur le chancelier Kiesinger pour empêcher la réévaluation. Elle ne se fera, au taux de 3,5 %, qu'à la fin octobre, quand le gouvernement social-démocrate est formé. Les capitaux flottants refluent d'Allemagne, où règne jusqu'à mai-juin une pénurie de liquidités.