La santé de Leonid Brejnev et la guerre de succession latente dominent, plus encore que les années précédentes, la vie politique. Le pays est dirigé par un vieillard de 75 ans à l'état chancelant, entouré d'un aéropage de septuagénaires, dont l'un des plus influents, Mikhaïl Souslov, disparaît, victime d'une crise cardiaque, le 26 janvier 1982, à l'âge de 79 ans.

Disparition

Gardien reconnu de l'orthodoxie communiste et véritable éminence grise du pouvoir. M. Souslov avait conduit L. Brejnev au Kremlin, après avoir soutenu puis défait Nikita Khrouchtchev. Survivant à tous les régimes, à toutes les intrigues, il était devenu l'arbitre suprême entre les tenants d'un certain libéralisme et les ultras partisans d'une reprise en main plus musclée. À ce titre, il restait aux yeux de beaucoup le futur maitre d'œuvre de cette succession repoussée d'année en année. M. Souslov est enterré sur la place Rouge et inhumé dans un petit cimetière au pied du Kremlin. Ironie du sort : Leonid Brejnev lui-même prononce son éloge funèbre.

Malgré sa démarche pesante, ses gestes raides, son visage bouffi, son élocution difficile — signes évidents d'une maladie à laquelle, faute de diagnostic officiel, on ne peut toujours donner de nom —, L. Brejnev reste le patron.

Spéculations

Périodiquement pourtant, la rumeur le donne pour mort. Début mars 1982, le bruit, vite démenti, de son décès court les places financières occidentales, faisant remonter le cours de l'or et des matières premières. À la fin du même mois et en avril, des rumeurs similaires circulent, étayées par le fait que L. Brejnev disparaît totalement de la scène pendant près de quatre semaines, disparition d'autant plus remarquée qu'elle intervient lors d'un voyage en Ouzbékistan, couvert seulement en ses débuts par la télévision.

En dépit des affirmations officielles selon lesquelles le secrétaire général « prend des vacances d'hiver », les spéculations vont bon train : congestion cérébrale, accident cardiaque, décès. Autant d'hypothèses balayées le 22 avril par la réapparition du numéro un soviétique au Kremlin, à l'occasion des cérémonies marquant le 112e anniversaire de la naissance de Lénine.

En fait, il semble bien que Leonid Brejnev ait été victime d'un malaise lors de sa visite à Tachkent, le 24 mars, ou peu après. Une passerelle où s'était groupée une assistance nombreuse se serait effondrée à quelques pas de lui et l'un de ses gardes du corps l'aurait alors plaqué au sol pour le protéger, provoquant chez lui un traumatisme. Mais son retour le 22 avril puis sa présence le 1er mai, debout à la tribune officielle quatre-vingt-dix minutes durant, lors du traditionnel défilé des travailleurs, montrent à l'évidence qu'il a retrouvé un semblant de santé.

Quoi qu'il en soit, il est incontestable que la course au pouvoir est lancée. Car, aux rumeurs sur sa santé que certains, proches du sérail, ont pu laisser courir à dessein, il faut ajouter une succession de faits étranges, dont Moscou est le théâtre dans la période qui précède et qui suit la mort de M. Souslov, et qui tendent à jeter le discrédit sur L. Brejnev.

Décès

C'est l'arrestation du directeur du Cirque de Moscou — ami de Galina, la fille de L. Brejnev —, accusé de trafic de pierres précieuses et de devises, suivie de la mort suspecte en prison d'un de ses complices. Ce sont les interrogations suscitées par le décès, le 19 janvier 1982, du numéro deux du KGB, le général Tsvigoun, beau-frère et compagnon de route de L. Brejnev (Journal de l'année 1980-81), officiellement mort « des suites d'une longue et pénible maladie ».

Mais, selon certaines rumeurs, il se serait suicidé sur les conseils de M. Souslov, pour n'avoir pas su étouffer une enquête sur la corruption au sein de la Nomenklatura, qui mettait en cause notamment Youri Brejnev, fils du numéro un soviétique et vice-ministre du Commerce extérieur. L'enterrement à la sauvette de S. Tsvigoun et le fait que Leonid Brejnev ne signe pas sa nécrologie alimentent un peu plus la rumeur.