stoïcisme
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec Stoa, « portique », à cause du « Portique bariolé » où Zénon donnait ses cours.
Philosophie Antique
École fondée à Athènes par Zénon de Citium. L'aspect le plus populaire de cette philosophie est l'impassibilité du sage et sa soumission au destin.
Historique
Le fondateur de l'école, Zénon (334-262), fut l'élève du cynique Cratès et de l'académicien Polémon. Il réagit contre les entités incorporelles du platonisme (âme, idées) en soutenant que l'âme est un corps, et que les idées sont des objets de pensée – réaction sans doute influencée par le cynisme, comme les conceptions cosmopolitiques de sa République. Son disciple Ariston fit dissidence sur plusieurs points. Aussi choisit-il comme successeur Cléanthe (331-230). À la mort de celui-ci, Chrysippe (280-204) prit la tête de l'école. Il dut plus encore que Zénon lutter contre le scepticisme de l'Académie, l'atomisme et l'hédonisme des épicuriens. Il développa la dialectique. Le stoïcisme devint la philosophie dominante. À Chrysippe succédèrent Zénon de Tarse, Diogène de Séleucie (230-150), Antipater de Tarse (210-129) et Panétius de Rhodes (185-110). En 155, Diogène, ambassadeur à Rome, y introduisit le stoïcisme. Posidonius (140-50) ouvrit une école à Rhodes. C'est alors que commença ce qu'on appelle le « stoïcisme romain », les plus illustres représentants du stoïcisme n'étant plus les stoïciens d'Athènes mais des Romains : Caton d'Utique (94-46), Sénèque (4 av. - 65 ap.), Épictète (55-135) et l'empereur Marc Aurèle (55-135).
Seuls les ouvrages des stoïciens romains ont été conservés : pour les stoïciens grecs, nous n'avons que des témoignages ou des fragments rapportés par des auteurs ultérieurs(1).
Système
Les stoïciens sont les premiers à avoir développé consciemment un système. Ils définissent la raison comme un « système de représentations »(2) et divisent la philosophie en logique, en éthique et en physique. C'est un système organique, non hiérarchisé, sans « philosophie première » ou « métaphysique » antérieure aux autres parties.
La logique se divise en dialectique et en rhétorique, éventuellement critère et partie consacrée aux définitions. Toute parole met en jeu trois entités : le son vocal ou « signifiant », ce qui est signifié par ce son ou lekton, et le sujet extérieur qui « porte » la signification. La dialectique se divise donc en deux parties, signifiants et signifiés. La théorie des signifiants anticipe la grammaire, notamment dans la distinction des parties du discours (nom, nom commun, verbe, conjonction et article). La partie sur les signifiés est consacrée à des règles d'inférences dites syllogismes et aux unités de sens élémentaires (le lekton), notamment les propositions qui composent ces syllogismes. Parmi ceux-ci, Chrysippe isole cinq formes élémentaires dites indémontrables (anapodictiques). Ces règles anticipent la logique contemporaine des propositions. Pour déterminer quelles sont les propositions vraies, le critère est la représentation compréhensive, katalêpsis. Seul le sage ne se fie qu'au vrai, capacité qui constitue sa vertu dialectique.
En éthique, les stoïciens soutiennent que la fin, telos, de la vie humaine est de vivre conformément à la nature, c'est-à-dire vivre une vie vertueuse en se soumettant à la loi de la nature. La vertu est le seul bien, le vice le seul mal, et tout le reste est indifférent. Ce dogme prend chez Épictète la forme d'une distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous, sur quoi on exerce sa prohairesis ou capacité de choix, en éradiquant désirs et passions(3). Cette conception est à l'origine de l'image populaire du sage que rien ne touche, pas même la mort de ses proches ni sa propre souffrance, supportant avec résignation et fatalisme tous les « malheurs » comme autant de choses « indifférentes ». Pourtant, si le sage stoïcien est sans passion, il n'est pas sans émotion, puisqu'il doit éprouver des émotions raisonnables (joie, volonté et crainte raisonnée). Il n'est pas non plus indifférent à tout, puisque, parmi les choses indifférentes, certaines sont préférables, comme la santé : c'est le dogme rejeté par Ariston. Enfin, il n'est pas inactif, puisqu'il incombe à tout homme d'accomplir son devoir (qui n'a pas l'universalisme abstrait du devoir kantien) et puisque à chaque événement l'homme a le pouvoir de donner ou de refuser son assentiment à la représentation qu'il convient d'agir ainsi ou autrement. C'est le fondement de l'autonomie et de la responsabilité morales.
La physique est le point culminant du système, car elle englobe la théologie. Pour les stoïciens, tout est corps (à l'exception de quatre incorporels, lieu, temps, vide, lekton, qui ne sont pas des substances). Il y a deux principes (corporels), un principe producteur immanent, ou dieu, et un principe passif, ou matière. Contrairement aux épicuriens, qui soutiennent qu'il existe des corps indivisibles séparés par du vide, les atomes, les stoïciens pensent que le monde est continu : il n'y a de vide qu'à l'extérieur du monde, et le monde est parcouru d'une substance volatile, le pneuma, ou souffle. Il maintient les êtres dans une relation appelée sympathie (chaque être est affecté par les mouvements des autres êtres, par exemple les marées par les phases de la lune). De même que le pneuma est l'âme de chaque animal, il est l'âme du vivant qu'est le monde. Il dirige le monde de façon rationnelle, comme l'âme dans le corps ; il est dieu, nature, destin et providence. Selon certains stoïciens, le monde est périodiquement détruit dans une conflagration, avant de se reconstituer à l'identique, individus et événements compris (doctrine du retour éternel).
Si la logique est l'aspect le plus moderne de cette philosophie et la physique son aspect le moins crédible, l'éthique reste certainement son aspect le plus vivant, notamment dans les textes d'Épictète et de Marc Aurèle, de lecture très accessible, et qui peuvent encore être des outils de formation philosophique. La tension qui existe entre le déterminisme providentiel du destin et la défense de la responsabilité morale de l'homme est pourtant le point où sans doute le système achoppe.
Jean-Baptiste Gourinat
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Le meilleur résumé antique est celui de Diogène Laërce dans Vies et doctrines des philosophes illustres, VII.
- 2 ↑ Épictète, Entretiens, I, 20, 6.
- 3 ↑ Arrien, Manuel d'Épictète, c. 1.
- Voir aussi : Von Arnim, H., Stoicorum veterum fragmenta, Teubner, Leipzig, 1903-1924.
- Schuhl, P.-M. (dir.), les Stoïciens, trad. É. Bréhier, Gallimard, Pléiade, Paris, 1962.
- Long, A., et Sedley, D., les Philosophes hellénistiques, vol. II, GF-Flammarion, Paris, 2001.
→ âme, anapodictique, assentiment, critère, démonstration, destin, devoir, dialectique, indifférent, katalêpsis, lekton, prohairesis, retour éternel, telos, vertu
Philosophie de la Renaissance
Sur le plan éthique, les humanistes du xve siècle expriment de fortes réticences à l'égard de la vertu stoïcienne. D'une part, l'idéal de la maîtrise de soi leur semble très noble, en tant que résistance aux coups de la fatalité : Pétrarque(1) s'en inspire dans son De remediis utriusque fortunae, mais il reconnaît que cet idéal ne peut pas être réalisé par l'homme. Car la mutilation des passions est contraire à la notion commune, mais inaliénable, de la félicité : à aucun prix le bonheur peut être confondu avec la résignation, la passivité ou l'évacuation des passions : le Christ lui-même, comme le souligne C. Salutati(2) dans son recueil de lettres, s'est ému devant la mort de Lazare, si bien que la morale stoïcienne ne se heurte pas seulement au sens commun, mais aussi à l'enseignement chrétien. Par conséquent, bien que beaucoup des penseurs chrétiens aient pu intégrer et emprunter des aspects à la morale stoïcienne, les humanistes chrétiens, comme L. Valla(3), mettent l'accent sur leurs différences, et sur le caractère austère et inhumain du sacrifice.
Une conception tout à fait différente se rencontre dans la philosophie de Juste Lispe(4), qui, cherche à montrer qu'il est possible de concilier la morale chrétienne avec le stoïcisme de Sénèque. Mais le contexte historique a changé : la recherche d'une morale visant l'apaisement des passions est étroitement liée aux guerres de religion en Europe, qui rappellent l'exigence d'endiguer les passions. Lipse interprète la Providence chrétienne dans les termes de la nécessité de l'ordre cosmologique, qui ne demande pas, sur le plan moral, l'apathie ou la résignation, mais la « constance », l'équilibre des passions qui produit l'apaisement, et la résolution de garder cet équilibre dans la durée.
C'est justement la notion stoïcienne de fatum, de destin, en tant qu'ordre rationnel du monde, qui nourrit la réflexion humaniste sur le cosmos et promeut, par là, une nouvelle conception de la nature. Ceci est patent en particulier chez P. Pomponazzi(5), qui soutient une conception stoïcienne de l'univers. Son but est de revendiquer l'autonomie de la philosophie de la nature, en considérant celle-ci comme un ordre nécessaire, où même ce qui semble miraculeux peut être ramené à des causes déterminées. C'est en ce sens que Pomponazzi défend l'astrologie comme l'étude du niveau intermédiare entre Dieu, en tant que cause universelle des choses, et le monde sublunaire, sur lequel Dieu intervient par le truchement des astres. Ce n'est pas un monde magique ou mystérieux mais un domaine de stricte nécessité naturelle.
Fosca Mariani Zini
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Pétrarque F., De remediis utriusque fortunae..., Lyon, 1577.
- 2 ↑ Salutati C., Epistolario, éd. F. Novati, 4 vol., Rome, 1891-1911.
- 3 ↑ Valla L., De vero falsoque bono, éd. M. Panizza Lorch, Bari, 1970.
- 4 ↑ Lipse J., Opera omnia, 4 vol., Bâle, 1675.
- 5 ↑ Pomponazzi P., De incantationibus, Bâle, 1556.