devoir
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec kathêkon, « convenable », de kathêkein, « convenir ». En latin : officium.
Philosophie Antique
« On appelle devoir l'action dont l'accomplissement possède une justification raisonnable.(1)
Les premières morales grecques n'ont pas de notion du devoir. Ce sont plutôt des « éthiques de la vertu » et de la responsabilité, qui ne sont pas du tout fondées sur l'ordre rationnel, mais seulement sur la recherche du bonheur. La notion de kathêkon a été inventée par le stoïcien Zénon de Citium. Cicéron l'a traduite en latin par officium(2), passé dans l'ancien français « office ». Il est d'usage de traduire kathêkon par les termes « devoir » ou « convenable » (ou « fonction propre »), mais la notion est plus large et plus souple que celles des « morales du devoir » ultérieures. Zénon a, en effet, conçu l'expression kathêkon comme dérivée de kata tinas hêkein, c'est-à-dire « ce qui convient à certains ». Le kathêkon est « une activité qui est appropriée aux constitutions conformes à la nature » : à ce titre, même les plantes et les animaux ont des choses qui leur conviennent, et tous les êtres rationnels n'ont pas les mêmes(3). Le kathêkon est donc plus large que le devoir parce qu'il s'étend aux plantes et aux animaux, plus souple parce que certains « convenables » varient selon les individus et les circonstances. Par exemple, en général, il ne convient pas de se mutiler, mais si l'on est malade ou blessé, il peut convenir d'amputer le membre atteint.
Pour autant, l'obligation inhérente à la notion de devoir n'est pas absente du kathêkon : chez les êtres rationnels « sont kathêkonta tous les actes que la raison nous enjoint de faire »(4). On n'est donc pas dans le cadre conventionnel et peu contraignant de ce qui est « convenable » au sens des « convenances » sociales, mais il s'agit bien de ce qu'impose la raison. En outre, il existe des devoirs qui s'imposent à tous, comme « prendre soin de sa santé », « respecter ses parents, ses frères, sa patrie, partager les soucis de ses amis »(5). Les stoïciens distinguent même les devoirs ordinaires du devoir parfait ou « action droite » (katorthôma), qui est l'apanage du sage et qui consiste à faire ce qui convient par et avec vertu(6).
Jean-Baptiste Gourinat
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Diogène Laërce, VII, 107 ; Cicéron, Des fins, III, 58.
- 2 ↑ Diogène Laërce, VII, 108 ; Cicéron, Des devoirs.
- 3 ↑ Diogène Laërce, VII, 107-109.
- 4 ↑ Ibid.
- 5 ↑ Ibid.
- 6 ↑ Cicéron, Des devoirs, I, 8 ; Des fins, IV, 15.
- Voir aussi : Long, A., Sedley, D., les Philosophes hellénistiques, t. 2, chap. 59, Paris, 2001.
→ vertu
Morale
Action humaine conforme aux lois qui en imposent l'obligation (« faire son devoir »). Obligation morale considérée en elle-même et en général (« le devoir »).
Loi naturelle et devoirs
Les stoïciens admettent l'existence d'une loi naturelle au nombre des notions communes qui font l'objet d'un consentement universel. Cette loi qui définit nos devoirs est présente en chacun et n'est pas instituée. Elle « n'est pas une invention de l'esprit humain ni un décret des peuples mais quelque chose d'éternel qui gouverne le monde entier, montrant ce qu'il est sage de prescrire ou d'interdire.(1) »
De là, on distingue traditionnellement, en contexte chrétien, les devoirs de l'homme en devoirs envers Dieu (connaître son existence et lui rendre un culte), devoirs envers soi-même (se conserver et se perfectionner autant qu'il est en notre pouvoir), et devoirs envers autrui, qui se subdivisent à nouveau en différentes sortes de devoirs : devoirs absolus (ne pas nuire à autrui, le respecter, contribuer autant qu'il est possible à sa conservation et à son perfectionnement) et devoirs conditionnels (tenir parole, respecter le bien d'autrui, etc.). À cette dernière catégorie peuvent être rattachés tous les devoirs liés à des relations particulières entre êtres humains en société : le devoir conjugal, celui des parents envers les enfants, des enfants envers les parents, des maîtres envers les serviteurs et réciproquement, des sujets envers le souverain et réciproquement, etc.
Les théoriciens de la religion naturelle, dont Rousseau est ici un bon exemple, ont souvent insisté sur l'aspect primordial des devoirs de la morale, réduisant les devoirs de la religion au culte intérieur et à la pratique de la justice : « Songez que les vrais devoirs de la religion sont indépendants des institutions des hommes ; qu'un cœur juste est le vrai temple de la divinité ; qu'en tout pays et dans toute secte, aimer Dieu par dessus tout et son prochain comme soi-même est le sommaire de la loi ; qu'il n'y a point de religion qui dispense des devoirs de la morale ; qu'il n'y a de vraiment essentiels que ceux-là ; que le culte intérieur est le premier de ces devoirs, et que sans la foi nulle véritable vertu n'existe.(2) »
La conception kantienne du devoir
L'analyse kantienne de la moralité accorde une place centrale à la notion de devoir. L'action moralement bonne, en effet, n'est pas simplement une action conforme au devoir, mais faite par devoir (ce qui a pour conséquence qu'il n'est pas possible de savoir par expérience si une action a jamais été faite moralement, c'est-à-dire purement par devoir, puisque l'expérience ne nous montre jamais qu'une conformité extérieure au devoir et non l'intention de l'auteur de l'action). Elle tire sa valeur morale non d'un but visé à travers elle mais de la maxime qui préside à l'action, du principe du vouloir d'après lequel elle se fait, qui doit être la loi morale elle-même : « Le devoir est la nécessité d'accomplir une action par respect pour la loi »(3). Le principe du devoir est la conformité des actions à la loi en général. Il faut que je puisse vouloir que ma maxime devienne une loi universelle. En quoi la connaissance de notre devoir est très simple et à la portée de tout être rationnel.
Il se présente pour nous avec une nécessité inconditionnée, sous la forme de l'impératif catégorique. Il y a devoir pour nous, c'est-à-dire obligation morale, en tant que notre volonté n'est pas absolument bonne, pas entièrement autonome, soumise à la loi que notre raison nous donne. La loi morale lui apparaît donc comme quelque chose à quoi elle doit se soumettre. « Bien que sous le concept du devoir nous nous figurions une sujétion à la loi, nous nous représentons cependant aussi par là une certaine sublimité et une certaine dignité attachée à la personne qui remplit tous ses devoirs. Car ce n'est pas en tant qu'elle est soumise à la loi morale qu'elle a en elle de la sublimité, mais bien en tant qu'au regard de cette même loi elle est en même temps législatrice et qu'elle n'y est subordonnée qu'à ce titre.(4) » Le devoir, comme action faite avec la loi pour seul principe déterminant se présente comme une contrainte pratique. Il y a une libre soumission de la volonté à la loi, qui va avec le sentiment d'une coercition exercée notre raison sur nos inclinations. « Le concept du devoir exige donc objectivement, de l'action, qu'elle soit conforme à la loi, mais subjectivement, de la maxime de l'action, du respect pour cette loi, en tant qu'unique mode de détermination de la volonté par celle-ci.(5) »
Dans la Métaphysique des mœurs, Kant distingue les devoirs de droit, prescrits par une législation extérieure accompagnée de contrainte extérieure (au regard du droit, la conformité extérieure au devoir suffit) et les devoirs de vertu, où la contrainte exercée sur le libre arbitre ne peut venir que de soi-même(6).
Colas Duflo
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Cicéron, De legibus, II, cité in J. Lagrée, la Religion naturelle, PUF, coll. Philosophies, Paris, 1991, p. 21. Voir aussi, de Cicéron, De officiis (des devoirs).
- 2 ↑ Rousseau, J.-J., Émile, 1. IV, Garnier-Flammarion, Paris, 1966, p. 408.
- 3 ↑ Kant, E., Fondements de la métaphysique des mœurs, in Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, Paris, 1985, t. II, p. 259.
- 4 ↑ Ibid. p. 308.
- 5 ↑ Kant, E., Critique de la raison pratique, in Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, Paris, 1985, t. II, p. 706.
- 6 ↑ Kant, E., Métaphysique des mœurs, in Œuvres philosophiques, Gallimard, Pléiade, Paris, 1986, t. III, p. 489.
→ autonomie, impératif catégorique, loi (morale), moralité, respect