intentionnalité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin intentio.

Philosophie de l'Esprit, Philosophie Cognitive

1. Caractère propre de la conscience. – 2. Spécificité de la description et de l'interprétation des comportements humains.

Thomas d'Aquin, au xiiie s., affirmait : « C'est par métaphore que l'intention est appelée œil, non parce qu'elle serait affaire de connaissance, mais parce qu'elle présuppose cette connaissance grâce à laquelle se présente à la volonté la fin vers laquelle elle meut, comme notre œil nous fait voir d'avance le but vers lequel nous devons tendre notre corps(1) ». L'intentionnalité est une relation de l'esprit à son objet (à ce que je veux, au « voulu »), mais Thomas la comprend surtout comme la partie d'une disposition à agir. L'intentionnalité ne serait une relation que de façon métaphorique, et elle n'aurait pas vraiment un objet (le voulu, par exemple). Parler d'intentionnalité revient à insister sur l'une des spécificités du comportement humain : il est rationnel, parce que les actions humaines sont réfléchies et donc responsables. Elles ne sont pas mécaniques et aveugles. L'intentionnalité connote la capacité rationnelle de savoir pourquoi l'on agit.

Dans la lignée de Brentano(2) s'est cependant développée l'idée selon laquelle l'intentionnalité serait une authentique relation à des objets intentionnels. S'il y a amour, quelque chose est aimé ; s'il y a haine, quelque chose est haï. Mais cette chose n'est pas une personne. L'objet intentionnel devient le corrélat de la conscience : toute conscience serait conscience de quelque chose. L'orientation vers l'objet serait un trait propre aux phénomènes psychologiques. C'est une thèse fondamentale chez Husserl : « Quand un vécu intentionnel est actuel et par conséquent opéré selon le mode du cogito, en lui le sujet “se dirige” sur l'objet intentionnel(3) ». Selon le type d'acte de la conscience, le regard du moi en direction de quelque chose sera alors différent. Décrire les actes de la conscience, ainsi compris, est le projet d'une phénoménologie de l'intentionnalité.

A. Kenny demande alors : « N'est-il pas également vrai que, s'il se produit un chauffage, quelque chose est chauffé, et que s'il se produit un découpage, quelque chose est découpé ? Les verbes « chauffer » et « découper » ne sont pas des verbes psychologiques : mais alors comment Brentano peut-il dire que l'orientation vers l'objet est un trait propre aux phénomènes psychologiques ? Il paraît avoir pris un trait commun à tous les verbes dont la construction est transitive pour une particularité des verbes psychologiques(4) ». Autrement dit, que toute conscience soit conscience de quelque chose nous renseigne moins sur une caractéristique fondamentale de la conscience, son intentionnalité supposée, que sur une distinction entre deux types de verbes : des verbes dont l'usage suppose un objet extérieur (on ne peut couper sans que quelque chose soit coupé) et d'autre verbes, dont l'action reste, pour ainsi dire, dans l'agent – des verbes comme « aimer », « haïr », « vouloir ». Si cette remarque est correcte, l'intentionnalité est moins une relation, celle de la conscience à ses propres objets (intentionnels), qu'une caractéristique de certaines de nos descriptions, celles dans lesquelles nous faisons usage de termes intentionnels.

Pour les phénoménologues issus de l'école de Brentano et de Husserl, l'intentionnalité apparaît comme un phénomène primitif et littéral caractérisant la conscience. Pour d'autres philosophes, influencés par E. Anscombe(5) ou Davidson(6), qui développent eux-mêmes des conceptions divergentes, l'intentionnalité est une caractérisation des comportements. Elle comporte une double dimension interprétative (comprendre ce que quelqu'un fait, pourquoi il agit en lui attribuant des intentions) et normative (comprendre qu'il agit en vertu de raisons qu'il est capable de penser, voire de valeurs qu'il est capable de respecter)(7).

Roger Pouivet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Thomas d'Aquin, Somme théologique, I-II, 12, 1, solution 1.
  • 2 ↑ Psychologie vom empirischen Standpunkt, trad. la Psychologie du point de vue empirique, Aubier, Paris, 1944.
  • 3 ↑ Ideen zu einer reinen Phaenomenologie und reinen phaenomenologischen Philosophie, trad. Idées directrices pour une phénoménologie et une philosophie phénoménologique pures, t. I, Gallimard, Paris, 1950, p. 118.
  • 4 ↑ Kenny, A., Action, Emotions and Will, Routledge, 1963, p. 195 ; Descombes, V., les Institutions du sens, Minuit, Paris, pp. 9-94.
  • 5 ↑ Anscombe, G. E. M., Intention, Blackwell, Oxford, 1957.
  • 6 ↑ Davidson, D., Essays on Actions and Events, trad. Actions et événements, PUF, Paris, 1993.
  • 7 ↑ Cf. Engel, P., Introduction à la philosophie de l'esprit, La Découverte, Paris, 1994.

→ éliminativisme, esprit (philosophie de l'), intention