corps
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin corpus (racine indo-européenne krp, « forme »), « ensemble relativement stable et solidaire de parties et de propriétés ».
Le statut du corps dépend dans la philosophie grecque de la valeur qui est accordée à la sensibilité : si pour Platon celle-ci correspond à une des deux directions possibles de l'âme, celle qui la détourne de l'Idée et la livre à la passivité, elle est au contraire pour Épicure ce sans quoi nous ne saurions accéder au réel ni trouver de règle de vie.
La philosophie cartésienne distinguera l'ordre de la science, qui traite des corps comme de substances matérielles relevant des propriétés de l'étendue (physique mécaniste), et celui de l'existence, qui nous fait éprouver l'union intime de notre âme avec notre corps. C'est cependant la physiologie du xviiie s. qui s'efforcera de penser la causalité spécifique du corps vivant en la distinguant de la causalité mécanique (Kant). Le thème du corps vécu, ou du corps propre, ouvre avec la phénoménologie (Merleau-Ponty, Henry) une perspective nouvelle sur le statut du corps en tant que sujet. Les discussions actuelles sur le statut éthique et juridique du corps humain ne manquent pas de s'y référer.
Philosophie Générale, Métaphysique, Morale, Philosophie du Droit
Dès l'Antiquité, substance se présentant à la perception comme un sujet (substrat) matériel qui oppose la résistance de sa forme et de ses propriétés (configuration spatiale, impénétrabilité, masse) aux modifications que lui imposent les rencontres avec les autres corps. C'est toutefois la question du statut et de la signification spécifiques du corps humain qui est au cœur des diverses approches philosophiques du corps.
Le corps et l'âme dans la philosophie grecque
Confortée par un certain usage de la langue, qui oppose le corps à l'esprit, une vue extérieure laisse penser qu'il y aurait dans la philosophie grecque, et en particulier chez Platon, une dépréciation du corps qui ferait fond sur sa matérialité. Faut-il rappeler, avec J.-P. Vernant(1), l'essentielle corporéité des dieux grecs, dont le corps humain exprime par sa forme et par ses qualités une image temporelle et déficiente, certes, mais positive au point de pouvoir signifier dans l'éclat de la présence la valeur et la vertu ? Il est vrai que Pythagore, creusant l'opposition entre les biens du corps (qui ne s'obtiennent pas sans perte) et ceux de l'âme (qui ne cessent de s'accroître et de se communiquer sans perte), donne une portée philosophique aux conceptions ascétiques de l'esprit (l'esprit connaît toujours plus que ce qu'il apprend en son existence corporelle). Mais une lecture attentive de Platon montre que les célèbres formules du Phédon (le corps considéré comme une entrave, une prison, un obstacle à l'intellection) ou du Gorgias (le corps-tombeau) dénoncent moins la matérialité du corps (ou son infériorité) qu'une direction que prend l'âme lorsqu'elle se laisse prendre à une sensibilité qui la rive au corps. La dialectique platonicienne est ainsi méthode et expérience de l'affranchissement de la pensée par rapport à la doxa et à l'image qui donne à celle-ci présence et prégnance ; « envoyer promener le corps », c'est en effet s'efforcer de « saisir le réel »(2) par un tout autre biais que celui de la sensibilité et de l'affectivité. « En lui-même, le corps n'est ni bon ni mauvais. »(3) Dans le Gorgias, par exemple, la cuisine en tant que gastronomie n'est pas condamnée pour le plaisir qu'elle procure, mais parce qu'elle finit par prétendre se substituer à la médecine, comme le fard et la toilette par tenir lieu d'hygiène de vie. Ce qu'on appelle le dualisme platonicien pourrait bien signifier plutôt une opposition plus profonde, ou une hiérarchie, entre deux directions de vie, celle de l'activité propre au soi essentiel (« s'isoler le plus complètement en soi-même »(4)), d'une part ; et celle de la passivité, liée à la fascination pour le simulacre, ou le faux-semblant, d'autre part. En reprenant dans le Timée la question de la situation de l'être humain dans le cosmos, Platon insistera sur la signification essentielle de la structure même du corps humain, corps qui est le plus propre à l'âme, corps fait pour la vision et la compréhension.
Lorsqu'il aborde en naturaliste la forme spécifique du corps humain, Aristote l'ordonne au désir en tant que principe ultime – et immanent – d'animation des êtres qui sont « par nature » ; si nos organes rendent possibles la technique et le langage articulé, c'est en vue de l'exercice de la raison dont l'horizon, au-delà de la délibération, est le savoir : « Tous les hommes désirent naturellement savoir ». Ainsi, l'étude de la sensation, et des diverses fonctions de la psyché humaine, en tant qu'elles impliquent des organes corporels, n'a de sens, pour Aristote, qu'à fonder une éthique : c'est dans la vie même, sous chacune de ses formes, que se trouvent indiquées les normes de vie. Le plaisir propre à l'homme est la mesure de la perfection de son activité. Dans la « sagesse » (phronesis), la vie atteint une forme de présence supérieure à toute autre, la présence à soi de l'âme, le bonheur de vivre impliquant un rapport essentiel à la vie elle-même, dans l'usage suprême de l'âme, la contemplation. Comment cette signification ultime de nos dispositions naturelles se retrouvera-t-elle dans la vie pratique ? Dans une éthique du bonheur lié au savoir-vivre, le sujet de l'action se découvre dans l'accomplissement des actions justes, et il éprouve la jouissance de s'y réaliser ; l'exercice de la vertu le reconduit à lui-même, existence corporelle qui se réalise dans l'action non plus comme nature, ou « être commun », mais comme existence propre, « être soi-même ».
La nécessité, l'urgence même, de répondre au besoin vital de philosopher est sans cesse rappelée par Épicure, qui assigne cependant à la philosophie une tout autre signification que Platon et Aristote : thérapeutique des craintes et des errances des hommes, plutôt que réalisation en soi, dans la contemplation, de cette perfection propre de l'homme à laquelle notre nature nous destinerait. Le salut se trouve en effet, pour Épicure, non dans la conception anthropomorphique d'un ordre cosmique qui assignerait à chaque forme d'existence sa structure et son mouvement propres, mais dans la seule physique qui soit assurée de ses fondements dans la sensation, cette garantie unique et fondamentale de tout savoir sur la réalité des corps. Le décentrement épicurien a, en effet, deux significations conjointes : dans l'ordre de la connaissance des corps, en tant qu'ils impliquent de façon immuable, dans leurs changements par composition ou décomposition, l'existence des atomes, éléments et principes, avec le vide qui permet leurs mouvements ; dans l'ordre de la pratique de la droite raison (condition de la vie heureuse), en tant qu'elle enseigne, toujours en se référant aux sensations et aux sentiments, la certitude que l'âme elle-même est un corps composé d'atomes, « qui est disséminé dans tout l'agrégat constituant notre corps »(5). Si la mort est désagrégation du corps et dissipation de l'âme, qui s'en échappe « comme une fumée », dira Lucrèce(6), il n'y a rien à en redouter : elle signifie l'absence de toute sensation et de toute affection. Comment l'âme pourrait-elle être incorporelle si, pendant la vie, elle est capable d'agir et de pâtir ? Et que pourrait-on redouter pour une âme qui, en se dissipant, perd la possibilité de sentir ? L'impérissable, c'est l'atome ; partant, c'est la nature des choses corporelles qui est elle-même impérissable. Et il n'y a aucun autre pouvoir dans la nature que celui de l'atome pour produire aussi bien la pensée que la vie dans les corps. La sagesse et le bonheur ne dépendent que de cette pensée et du développement de ses conséquences.
Approche cartésienne
Le projet cartésien d'une science certaine et capable de réaliser sa maîtrise de la nature dans des techniques toujours en progrès ne pouvait que rompre avec cette conception téléologique du corps, et des corps : le modèle mécaniste évacue de l'explication des corps les notions d'âme animatrice, de forme et de vie. Les concevoir distinctement, c'est définir leur configuration spatiale et l'enchaînement des mouvements qui modifient leurs positions respectives ou celles de leurs parties. En établissant la réelle distinction des deux substances, l'âme et le corps, Descartes réduit la réalité de la première à l'acte de penser (entendre, vouloir, imaginer, sentir), et de la seconde aux propriétés de l'étendue (divisibilité, figure, mouvement). Son modèle mécaniste signifie que le point de vue externe et analytique, qui considère le corps comme un assemblage de parties distinctes (partes extra partes) peut seul permettre de rendre compte scientifiquement du fonctionnement des organes (et du tout) comme autant de déplacements, la seule énergie à prendre en compte étant l'énergie motrice (dont l'origine serait la chaleur du cœur) : ce n'est plus une « âme » qui organiserait et dirigerait la machine, l'unité structurale et fonctionnelle du corps relevant de la complexité de la composition et des mouvements internes des composants.
On ne peut pas reprocher à Descartes d'avoir négligé, d'un point de vue ontologique (qui excéderait les ambitions de la méthode et du mécanisme), la spécificité du corps vivant ; mais c'est seulement à propos du corps humain qu'il fait intervenir l'expérience, fondatrice de la pratique du vivant en tant que tel, du corps propre. Il revient, en effet, à l'affectivité, plus précisément au sentiment, en deçà de la distinction méthodique et réelle des substances, comme seul recours pour s'assurer de la réalité des corps. Et, dans un passage célèbre, qui sera médité par la phénoménologie, il montre que, sans ce sentiment d'« être comme un tout avec lui » (notre corps), dans le plaisir ou la souffrance, la faim ou la soif, nous ne saurions vivre et agir, puisque nous n'aurions pas de normes naturelles indiquant la différence entre la bonne et la mauvaise disposition de notre corps. Ainsi, l'enseignement de la nature nous avertit à la fois, par la sensation, de l'existence des corps extérieurs et des conditions de notre santé, et il nous enseigne les normes qui dérivent des fins vitales de nos dispositions corporelles. Deux ordres s'articulent donc sans se confondre jamais : celui de l'ordre vital (union des substances) et celui de l'intellect (distinction des substances).
Si l'intelligence analytique doit bien procéder par modélisation, donc par fiction méthodologique, elle n'en souligne pas moins, comme par défaut, les différences qui résistent à la comparaison entre le modèle et le réel : supposons, remarque Leibniz, qu'on entre dans un vivant comme en un moulin, on n'y verra jamais que des pièces qui se poussent les unes les autres, et jamais de quoi expliquer une perception(7).
Pour éviter l'écueil de l'anthropomorphisme, qui prête au corps animal des pensées et au fonctionnement organique une forme d'intentionnalité, faut-il négliger cette différence qui spécifie les corps vivants et qui prend forme d'intériorité sur un mode plus ou moins réflexif (jusqu'à ce degré supérieur qu'est la perception) ? De plus, comment penser, sans déroger aux exigences rationnelles de la science cartésienne, cette tendance des corps vivants à solidariser leurs composants, à renouveler leur matière et à produire jusqu'à la mort, par formation, assimilation, information, cette communauté de parties différenciées jusqu'à l'individuation ?
Le problème de la physiologie au xviiie s.
La difficulté, comme l'a montré Kant, est de penser ce qui est l'analogue d'une œuvre, mais sans concept ni projet (Nachbild ohne Vorbild)(8) : dès le végétal, la triplicité fonctionnelle minimale (coordination, subordination, régénération) sépare le corps vivant de l'automate, et traduit la présence en lui d'une causalité particulière ou d'une force formatrice (et non plus seulement motrice). Chaque partie étant à la fois moyen et fin pour les autres et pour le tout, l'unité du corps renvoie à un processus d'individuation et à un degré d'intégration et d'unification dont aucun modèle existant ailleurs ne saurait rendre compte.
Le corps vécu
Le caractère « autopoétique » de l'activité organique suggère fortement la prise en compte du corps non plus comme schéma spatial, assemblage disposé selon un plan et en vue d'une fin, mais comme un système d'action. Telle est précisément la perspective de Bergson, qui substitue aux schèmes spatiaux du mécanisme celui, temporel, de la vie, celle-ci se caractérisant par sa capacité à résoudre, par le mouvement même de son effectuation, les problèmes posés par la formation de la forme (de l'organisme et de ses organes) dans un milieu et à partir d'une matière déterminés. Soulignant l'irréductibilité du corps aux schémas de l'intelligence fabricatrice, cette conception du corps en fait un centre d'actions possible, la matière étant l'ensemble des images perçues en tant qu'elles sont rapportées à l'action possible du corps. S'appuyant sur la durée, continuation positive du passé, la vie s'est faite comme un art de surmonter les obstacles et de triompher de la stabilité et de la pesanteur ; ce que nous enseigne notre mémoire, en effet, c'est qu'il y a en nous, en deçà de la conscience, une intuition de notre structure intérieure et de ses possibilités d'action et, au-delà, une compréhension de notre devenir. C'est ce qui rend possible l'apprentissage par l'exercice : « Un mouvement est appris dès que le corps l'a compris. »(9).
Dans une optique différente, mais qui revient sur la centralité du corps, Merleau-Ponty souligne la vanité de toutes les tentatives de décrire et de penser le corps à une distance réflexive qui en trahit l'expérience première, celle d'une unité indissoluble de l'être corporel et de l'existence consciente. La phénoménologie aura pour tâche de retrouver ce « savoir de situation », caractérisé dans l'acte par toute la richesse du sensible, qui dépasse toujours ce qui est actuellement senti et aperçu : comment notre corps pourrait-il reconnaître le senti et l'exprimer s'il ne retrouvait pas dans les autres corps du monde la faculté expressive d'être visible, sonore, d'avoir une saveur, une consistance ? En deçà de la perception objectivante, il y a le corps propre comme existence, où « tout déjà demeure, toutes les possibilités et ébauches d'actions intentionnelles »(10). L'expérience du corps propre renvoie cependant à une dualité, déjà mise en évidence par Maine de Biran, à propos du sentiment de l'effort : celle qui résulte de la résistance du corps organique. M. Henry montre ainsi comment le vécu corporel manifeste la résistance du corps organique au corps subjectif et, en même temps, l'accès à la forme première de transcendance de soi dans l'effort, comme détournement de soi, de la pure ipséité et ouverture au monde(11). Le sujet n'est sujet que parce qu'il est « incarné », ce qui implique que le corps objectif soit « sien » tout en n'étant pas « soi-même ».
Statut juridique du corps
Le Code civil situe par principe le corps hors du domaine des choses, qui sont échangeables : le corps a le statut de la personne, c'est par lui qu'il peut y avoir contrainte ou violence, et c'est en lui que le droit rend la personne effectivement « inviolable » et « indisponible ». Le rapport du Conseil d'État de 1988 proclame « l'indivisibilité du corps et de l'esprit, du corps et de la personne ». Les lois de 1994 formulent les principes d'inviolabilité et d'indisponibilité du corps humain. Juridiquement hors du commerce, le corps est inaliénable ; il ne saurait être objet de contrat, même en cas de consentement libre et éclairé des parties.
Entre tous les corps, le vivant manifeste le plus haut degré d'autonomie qui soit, par la prévalence d'une forme qui révèle au cours de la vie son pouvoir interne (spécifique et individuel) d'information, d'intégration et d'organisation ; et là où l'individualité se manifeste au plus haut point, à l'opposé de la simple objectivité du corps spatial, lorsque le corps humain, corps par excellence, se donne un statut qui, au-delà de l'existence dans le monde, se confond avec celui du sujet, la forme d'unité que met en évidence la notion de corps devient celle, juridique et morale, de la personne.
André Simha
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Vernant, J.-P., l'Individu, la Mort, l'Amour, Gallimard, Paris, 1996.
- 2 ↑ Platon, Phédon, 65 c, Gallimard, Paris, 1991.
- 3 ↑ Platon, Lysis, 217 b, PUF, Paris, 1963.
- 4 ↑ Platon, Phédon, 65 c, Flammarion, Paris, 1991.
- 5 ↑ Épicure, Lettre à Hérodote, § 68, Flammarion, Paris, 1997.
- 6 ↑ Lucrèce, De natura rerum, III, 583.
- 7 ↑ Leibniz, G. W. Fr., la Monadologie, Delagrave, Paris, 1970, § 17.
- 8 ↑ Kant, E., Critique de la faculté de juger, Vrin, Paris, 1993.
- 9 ↑ Bergson, H., Matière et Mémoire, PUF, Paris, 1990.
- 10 ↑ Merleau-Ponty, M., Phénoménologie de la perception, Gallimard, Paris, 1976.
- 11 ↑ Henry, M., Philosophie et Phénoménologie du corps. Essai sur l'ontologie biranienne, PUF, Paris, 1965.
- Voir aussi : Aristote, Métaphysique, trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1970.
- Aristote, Traité de l'âme, trad. J. Tricot, Vrin, Paris, 1972.
- Bergson, H., Matière et Mémoire, Édition du Centenaire, PUF, Paris, 1970.
- Bergson, H., l'Évolution créatrice, PUF, Paris, 1970.
- Descartes, R., Méditations métaphysiques, Garnier-Flammarion, Paris, 1979.
- Henry, M., Philosophie et Phénoménologie du corps. Essai sur l'ontologie biranienne, PUF, Paris, 1965.
- Kant, E., Critique de la faculté de juger.
- Leibniz, G. W. Fr., la Monadologie, Delagrave, Paris, 1970.
- Merleau-Ponty, M., le Visible et l'Invisible, Gallimard, Paris, 1964.
- Merleau-Ponty, M., l'Œil et l'Esprit, Gallimard, Paris, 1964.
- Platon, Gorgias, Lysis, Phédon, Timée, Les Belles Lettres, Paris, 1983.
- Spinoza, B., l'Éthique, Garnier-Flammarion, Paris, 1965.
- Documents, actes et rapports : Du corps humain à la dignité de la personne humaine. Genèse, débats et enjeux des lois d'éthique biomédicale, direction C. Ambroselli et G. Wormser, CNDP, Paris, 1999.
→ action, âme, ascétisme, bioéthique, chair, généalogie, individu, mécanisme, personne
→ « Le corps : ultime raison ? »
Psychanalyse
L'intérieur par rapport à un extérieur. REM : le corrélat est l'interface entre les deux.
Pour le fonctionnement autistique de la prime enfance, l'extérieur sont les soins maternels, sans lesquels il ne saurait subsister. Il est complété par l'hallucination de la satisfaction et par l'auto-érotisme, où la satisfaction des zones érogènes a lieu sur place. L'opposition entre narcissisme primaire anobjectal et relation d'objet primaire s'élucide grâce à la fronce de R. Thom et au copli(1).
L'augmentation de tension produite par les représentants psychiques des pulsions nécessite de nouveaux mécanismes de défense. Selon le principe de plaisir, ce travail imposé au psychique doit maintenir les excitations au plus bas. Une issue est le renvoi vers le corps : c'est l'expressivité corporelle infantile précoce (cris et gigotements). Puis le moi se constitue par une « nouvelle action psychique »(2) sous la pression de la réalité extérieure, selon le principe de réalité. L'interface entre intérieur et extérieur s'élabore : « Le moi est avant tout un moi corporel, il n'est pas seulement un être de surface mais il est lui-même la projection d'une surface »(3) ; « Le moi est en dernier ressort dérivé de sensations corporelles, principalement de celles qui naissent de la surface du corps. Il peut ainsi être considéré comme une projection mentale de la surface du corps à côté du fait [...] qu'il représente la superficie de l'appareil mental. ».
Parmi les mécanismes de défense, le refoulement et la conversion renvoient aussi vers le corps la part du représentant de la pulsion qui n'a pu être traitée. Les autres troubles fonctionnels ont lieu sur le même modèle, utilisant les points d'appel somatiques liés à la complaisance somatique.
Il reste les domaines de la psychose, avec la mélancolie et les maladies psychosomatiques, distinguées des précédents, car moins liées aux représentations inconscientes.
Les étapes de ce que l'on peut appeler l'ontogenèse du corps – corrélatives de celle du psychisme –, qui persistent, excluent une doctrine simple du corps, construit en outre comme corps érogène.
André Bompard
Notes bibliographiques
→ conversion, enfantin / infantile, moi, narcissisme, pulsion
Le corps : ultime raison ?
Qu'il soit seulement reconnu comme la condition d'existence dans le monde d'un sujet dont la réalité propre, en tant qu'esprit, lui serait irréductible, ou qu'il soit investi d'un tel pouvoir d'orienter les conduites et de se signifier en elles qu'il finisse par désigner l'instance originaire, le sujet de l'existence individuelle et la raison ultime de ses propriétés, le corps humain impose à la pensée l'épreuve d'une difficulté qui se déploie à différents niveaux d'analyse et d'expérience. La notion du corps, en tant que distincte de celle de l'organisme, semble, en effet, ne pouvoir être comprise que sur le mode d'une ambiguïté essentielle : origine manifeste de l'action, le corps apparaît en même temps comme relatif à son activité (corps actif et affecté, percevant et se mouvant, parlant, etc.). Le corps est l'être qui rend possible l'actualisation de l'intentionnalité dans des conduites effectives, mais celles-ci ne cessent en retour de le structurer et de déterminer sa disponibilité à de nouvelles conduites.
Pour le sujet de ce corps, qui le saisit comme son propre corps, comme pour le droit qui a à statuer sur le corps, à l'époque où la disposition de soi peut prendre la forme aussi bien du refus des soins que du don d'organes, cette ambiguïté est exprimée par le rapport de possession : ni propriété d'un sujet (au sens où les choses peuvent l'être, en tant qu'extérieures à leur propriétaire), ni disponibilité absolue dans l'usage, la possession est à la fois libre disposition de son corps et inséparabilité de la personne et de son corps. Cette possession sui generis intègre, en outre, l'image de soi et l'usage de soi, ce qui implique malgré tout pour le sujet un pouvoir d'écart entre lui-même et son corps : celui-ci est, en partie au moins, déjà constitué, mais il reste disponible à diverses modifications, dans l'apparence ou dans les aptitudes, par ses possibilités indéfinies d'usage et d'exercice.
Évaluer ce que la raison (dans la vie humaine, individuelle et collective) doit au corps, c'est, selon la tradition philosophique, repérer dans la configuration et le fonctionnement du corps humain ce qui rend possible la parole et la délibération (la vie politique), ainsi que le geste technique ; mais ce que révèle cette recherche, c'est moins la présence d'organes qui livreraient à première vue leur fonction qu'un usage spécifiquement humain de ces organes – ce n'est pas parce qu'il a des mains que l'homme est intelligent, c'est parce qu'il est le plus intelligent des animaux qu'il a des mains, disait Aristote.
La configuration du corps humain rassemble bien les conditions corporelles de possibilité de la raison, mais ces conditions ne se présentent pas à la vie du vivant comme des dispositions suffisantes et prêtes à l'emploi : elles expriment les problèmes que la vie a eu à surmonter au cours de l'évolution. À cet égard, la conception bergsonienne de la cérébration (passage du spinal au cérébral) comme acquisition d'une capacité d'affût chez l'animal, de détour et de prudence chez l'homme, met en évidence l'insuffisance du rapport fonctionnel qu'on voudrait établir entre la raison et le corps de l'homme ; Bergson considère le cerveau moins comme un organe de commande que comme un dispositif retardateur de la réponse, il n'est ni le sujet ni l'instrument unique de cette réponse. Le corps ne serait-il donc qu'un centre d'actions possibles, et le cerveau, un organe de pantomime au service de l'esprit, comme le soutient Bergson ? Son unité n'est-elle que par et pour l'esprit, qui le dépasserait infiniment ?
L'autre option, consistant à faire du corps l'ultime raison de nos orientations, spirituelles autant que vitales, individuelles autant que collectives, et de nos pouvoirs comme de nos défaillances, en somme notre grande raison, comme dit Nietzsche, remet en cause d'un même mouvement la tradition spiritualiste et la conception fonctionnaliste du corps. Le corps, unité instable d'une multitude d'organismes, forme sans cesse renouvelée d'un ensemble de pulsions jamais entièrement soumises à un ordre qui les transcenderait, ne cesse de déjouer nos schémas explicatifs ; il excède infiniment nos discours. Mais s'agit-il seulement de destituer l'esprit de ses pouvoirs prétendus et de restituer à la pensée son appartenance à la vie du corps ? Comme le montre déjà la critique spinoziste du finalisme, le préalable à la reconnaissance de ce que peut le corps est la connaissance des origines corporelles des valeurs et des normes attribuées à l'esprit ; mais que le corps ait ses raisons (dans les conduites et les représentations qui semblent relever de la seule conscience) n'abolit nullement, mais renforce, au contraire, l'exigence éthique de qualification des diverses possibilités de vie liées aux états du corps. Seul un projet d'appropriation réfléchie de la normativité immanente au corps peut, en effet, donner un sens à la conception moderne du corps-sujet.
La réflexion critique contemporaine sur le corps se trouve appelée à définir (ou redéfinir) le statut du corps, souvent dans l'urgence de choix éthiques et juridiques imposés par la mise en œuvre des nouvelles possibilités scientifiques et techniques d'intervention médicale en amont ou en aval de la vie biologique individuelle : assistance à la fécondation, à la naissance, à la souffrance, à la mort ; don et utilisation d'organes ou d'éléments et produits du corps humain ; statut des embryons. Le rapport entre la personne et son corps se trouve ainsi interrogé selon deux modalités de la possession qui s'imposent ensemble, inéluctables et contradictoires par certaines de leurs conséquences pratiques : la possession n'autorise-t-elle pas jusqu'à un certain point l'instrumentalisation de son corps ? Mais en quel sens cette possession exprime-t-elle, au contraire, l'intégrité et la dignité éminente de la personne ? En termes juridiques, comment la libre disposition de son propre corps est-elle compatible avec l'indisponibilité du corps humain assimilé à la personne ? En quel sens le corps peut-il être considéré comme le fondement de l'existence humaine ?
L'intelligence du corps
Si, comme le soutient Aristote(1), le caractère propre de l'homme est d'être capable d'avoir le sentiment du bien et du mal, du juste et de l'injuste, et des autres notions morales, cette capacité ne saurait exister sans la parole, qui n'est pas à confondre avec la voix : tandis que celle-ci, destinée à exprimer la joie et la peine, se retrouve chez les autres animaux, l'homme seul dispose de la parole afin de dire dans le discours l'utile ou le nuisible et, par suite, le juste ou l'injuste. La raison s'enracine ainsi dans la nature politique de l'homme, qu'elle excède cependant par son rapport à la vie ; être vivant, c'est être déjà dans la vie, le seul choix possible portant non sur la vie elle-même, mais sur la meilleure manière de vivre, que la raison a pour vocation chez l'homme de saisir en toute clarté. À l'insensé, l'aphrôn, qui est hors de soi dans la mesure où il sort de la réflexion, s'oppose le phronimos, dont la sagesse n'est autre que la vie prenant conscience d'elle-même et de ce vers quoi elle tend. Être en état de sortir du faux (l'image, l'illusion, le rêve) et de satisfaire le désir de savoir, c'est pouvoir accéder à son être propre : le plaisir de vivre qui résulte de l'usage de l'âme dans la connaissance la plus haute exprime la vie véritable. Car c'est dans l'âme et par elle que s'accomplit le corps vivant. Encore faut-il que ce corps soit disposé à une telle vie, et qu'il y ait une correspondance entre les organes de la sensibilité, par exemple, et les sensations de l'âme, celles-ci trouvant leur sens et leur unité dans un sens commun où s'enracinent l'imagination et la pensée.
Le dualisme de l'âme et du corps se trouvant ici dépassé grâce à l'usage de la distinction puissance/entéléchie (l'âme comme entéléchie d'un corps physique qui ne possède la vie qu'en puissance). Il est alors nécessaire de comprendre comment et en quel sens le corps humain possède en puissance cette vie qui nous est propre, cette vie qui peut atteindre sa perfection dans l'activité du phronimos, cet homme étant le plus humain qui se puisse rencontrer, par sa capacité à participer au logos jusque dans son savoir-agir ; la réalité humaine n'est pas seulement ordonnée à la science, elle comprend aussi les choses à propos desquelles la délibération est possible, et requise. Tel est, en tout cas, le sens de la connaissance de la vie dans la diversité des vivants, de nous faire comprendre cette sorte d'intelligence de la vie qui spécifie les organes en fonction de l'accomplissement de l'activité qui lui est propre. Ainsi, le corps humain ne se comprend (et ne trouve son sens ultime) que dans l'accomplissement de l'activité la plus haute de son âme, qui participe au logos. Cependant, cette compréhension de la structure et de l'activité de la vie relève également, lorsqu'il s'agit de la vie humaine, d'une réflexion sur la pratique (réflexion de la pratique elle-même sur elle-même), comme domaine de la droite règle et de son application dans des conditions et des circonstances variables. Là où ces circonstances prennent une configuration imprévue intervient ce moment privilégié de l'action qu'est le kaïros ; c'est alors que la responsabilité de l'action est entière, pour un sujet qui n'est plus en mesure de s'appuyer sur un savoir-faire acquis par tradition et enseignement. C'est aussi un moment de jouissance aux deux sens du terme : possession et plaisir de rapporter à soi les actions justes qui s'accomplissent. Ce que confirme donc l'expérience de la vertu, dans l'accomplissement de l'action, c'est que ni la vie en général ni l'âme seule ne sont capables de vertu, mais un sujet qui est un corps animé, un corps en vie et en action, présent au monde et à lui-même : ce qui est en danger quand je me montre courageux, c'est moi-même, mon corps et ma vie. Il n'est pas d'homme vertueux qui n'ait à prendre sur lui-même et qui ne doive s'appuyer sur lui-même. Ainsi, l'exercice de la vertu ne va pas sans un ensemble de dispositions qui s'incorporent ; l'éthique ne s'adresse pas à un être désincarné, mais à un sujet qui s'est mesuré avec les choses et qui appréhende aussi sur un mode physique la résistance des choses. Être à ce que l'on fait, s'occuper avec soin de son œuvre propre, cela ne va pas sans une certaine intelligence du corps ; et il faut entendre par là non seulement la compréhension intuitive de son propre corps que le sujet développe dans sa pratique, de façon immanente, mais aussi l'intégration par le corps lui-même des schèmes d'action et des mouvements qui contribuent à la réussite de l'action.
Le grand mérite de la conception aristotélicienne du corps est d'avoir situé le principe d'organisation du corps dans l'activité : identifier ce principe à la Forme (l'âme), c'est lier l'unité, l'ordonnancement et la coordination des parties conçues comme des moyens (organon, « instrument ») à l'action, qui réalise les dispositions du corps (d'où la fameuse analogie : si l'œil était un animal complet, son âme serait la vue). Sa limite se trouve cependant dans l'interprétation de la pluralité des formes, et donc des espèces de corps, dont la diversité se trouve ordonnée par la hiérarchie des activités : ce holisme est un hiérarchisme, et il est inséparable d'un principe téléologique pris dans un usage du jugement qui n'est pas seulement réfléchissant, mais aussi déterminant, pour reprendre la distinction kantienne. Aristote définit, en effet, le corps humain comme le corps par excellence, le corps qui contient et dépasse toutes les formes d'intégration réalisées par les corps inférieurs (en lui, l'animal absorbe le végétal, et il est à son tour enveloppé et dépassé par l'humain). La configuration même de ce corps, son équilibre propre, sa verticalité renversent l'axe de l'être corporel végétal pour lui assurer la mobilité et l'autonomie la plus complète ; l'échelle des configurations traduit la prééminence virtuelle partout, mais enfin réalisée dans le corps de l'homme, de la puissance de l'âme (l'homme a des mains parce qu'il est le plus intelligent des animaux).
À cette conception s'oppose celle de la science moderne pour qui l'intelligence scientifique et la maîtrise technique des phénomènes sont indissociables ; science dont la voie royale a été tracée par le mécanisme, dont il ne faut pas oublier qu'il dérive de la physique des machines. Le terme même de « mécanisme » vient du grec méchané, qui signifie à la fois machine et stratagème ; et le corps selon le mécanisme est d'abord caractérisé par l'ingéniosité de son agencement et de son fonctionnement. Cependant, pour établir un strict déterminisme dans l'étude des corps, pour prévoir et maîtriser les phénomènes qui nous intéressent parce qu'ils nous affectent essentiellement (défaillances organiques, maladies, vieillissement des organes des sens, par exemple), il est nécessaire d'exclure de la science des corps toute notion qui, de près ou de loin, évoquerait l'intentionnalité ; l'ingéniosité des corps renvoyant au mystère de la création, la science n'étudiera que le produit observable et analysable de celle-ci. Il faut donc concevoir le corps comme un assemblage, un montage mécanique, pour expliquer son fonctionnement et pour agir efficacement sur lui. Excluant de son objet la temporalité et l'intériorité, la science classique des corps s'interdit de comprendre les processus immanents de formation, qui ne seront mis en évidence que par l'embryologie. Ainsi, le mécanisme cartésien, en rapportant à Dieu la formation de ces corps analogues à des machines, ne libère pas la science de l'anthropomorphisme sans lui interdire l'accès à la compréhension du sens des phénomènes spécifiquement biologiques – d'autoproduction, de reproduction, de régulation, de vicariance, par exemple ; on ne ruse apparemment pas avec la nature sans la déposséder de toute ruse et de toute ingéniosité. C'est donc hors de la science, dans l'ordre du sentiment (dans l'expérience, vécue dans le plaisir ou dans la peine, de l'union de l'âme et du corps) que se connaît l'unité vivante et personnelle du corps propre, selon Descartes. Sentiment qui est comme un don, essentiel à notre vie (une institution de la nature, selon l'expression de Descartes), puisque sans lui nous ne serions pas instruits des normes naturelles indiquant la différence entre la bonne et la mauvaise disposition de notre corps, et nous ne saurions pas nous régler afin de nous maintenir en vie et en bonne santé.
La difficulté reste bien, cependant, de penser le corps comme une totalité sans déterminer celle-ci par un principe hiérarchique qui, même interne, renverrait à un principe transcendant (la création des corps vivants, dans la pensée cartésienne) ; il s'agit plutôt de concevoir une forme de pluralité qui accorde une certaine autonomie et une certaine hétérogénéité aux parties du corps, permettant l'ouverture des possibles à l'initiative du corps lui-même ; il s'agit aussi de comprendre la formation de ce dispositif dont les potentialités de régulation, d'harmonisation et d'évolution semblent devoir déjouer tous nos calculs, sans projeter sur elles les modèles d'intentionnalité qui viennent de la pratique de notre propre intelligence technique.
Comment comprendre que ce corps vivant est dans et par son activité autre chose qu'une réalité physique dotée d'une intelligence (sur le modèle analytique et synthétique), et autre chose qu'un objet ? Comment penser cet « objet doué d'un projet », pour reprendre l'expression de J. Monod ? Et quelle spécificité accorder au corps humain, sans pour autant supposer de principe hiérarchique réglant la distribution des espèces idéalement et de façon intemporelle ?
C'est la physiologie expérimentale qui a permis de tempérer, puis de modifier radicalement le modèle unitaire et pyramidal des corps vivants. Bordeu, Spallanzani, Haller suggèrent un modèle « fédéraliste » pour concilier les interdépendances organiques et la relative autonomie de chaque organe ; comme une communauté d'animaux, ou une ruche d'abeilles, selon la métaphore de Diderot(2), les organes participent à l'œuvre commune par une sorte de fédération. Le cerveau lui-même va cesser d'exercer un pouvoir despotique pour assurer une fonction d'équilibre entre ce qu'il reçoit et ce qu'il rend, entre la sensibilité et la motricité ; il est essentiellement « sensori-moteur ».
Le corps pourrait-il avoir, en tant que vivant, et tout en étant composé en dernier ressort uniquement d'éléments matériels, son propre mode d'unification et de mise en œuvre de cette collectivité d'organes, de tissus, de cellules, qui le constitue ? Avant même que ces composants soient connus, la question prend forme dans le cadre d'une réflexion sur la causalité qui caractérise la formation, le développement et la reproduction d'un organisme ; il doit bien y avoir un processus de corrélation, immanent à la totalité, et qui tient lieu de Forme ou d'idée du tout. La difficulté, comme Kant l'a montré, est ainsi de penser le corps vivant comme l'analogue d'une œuvre, mais sans concept ni projet (au sens où une idée présiderait à sa réalisation) ; s'agissant d'un être qui s'organise lui-même selon une finalité interne (chaque partie est à la fois moyen et fin à l'égard des autres), il faut se détourner du modèle de l'automate (composé de parties juxtaposées), et donc des concepts de l'intelligence fabricatrice, pour pouvoir reconnaître une forme de production et d'organisation originale, caractérisée par une triplicité minimale, déjà présente dans le végétal, coordination, subordination et régénération, triplicité relevant d'une force formatrice irréductible à la force motrice.
À la rationalité technologique du modèle cartésien de la commande par un dispositif ou une liaison mécanique se substitue donc celle, politique, de l'institution progressive d'un ordre lié à la communauté de formation et d'activité ; ce n'est donc pas non plus dans l'ancien modèle politique de type monarchique et hiérarchique qu'on trouvera le schème permettant de comprendre le corps, mais dans l'expérience d'une société républicaine, caractérisée par la détermination de l'activité et de la responsabilité de chaque membre par l'idée du tout, en tant qu'il implique corrélation, génération et régénération. Dans un vivant, cependant, il s'agit d'autre chose que de la constitution d'une volonté ; on parlera plutôt d'orientation ou de sens des processus, de tropisme, de tendance.
Il faudra donc reprendre la question de la spécificité du corps humain selon une perspective nouvelle. En quel sens peut-on dire que dans chacun des règnes il existe différents degrés d'unification et d'intégration ?
« Le vrai corps, écrit Fr. Dagognet, ne tolère ni les divisions, ni l'essaimage direct, ni la restauration complétive. Chez les mammifères s'estompe, au fur et à mesure qu'on s'élève le long de l'échelonnement animal, ce sourd dynamisme supplétif [...]. Mais avec le corps de l'homme, aux organes plus intégrés encore, cessent les reliquats de ce végétatif : il bénéficie de la propriété d'inséparabilité. Il est muré en quelque sorte dans son identité. »(3) L'embryologie confirme pleinement cette perspective, en imposant une dialectique de la segmentation et de l'enchevêtrement, de la différentiation et de l'unification. Les organes, une fois formés, ont complètement effacé la disposition première, parcellaire, segmentée ; la complexité des structures et des activités éloigne de la mosaïque que suggèrent encore certains végétaux. Mais un tel processus de formation ne va pas sans une mémoire qui dépasse l'espèce et qui implique une certaine continuité, une certaine forme d'unité qui corrèle les vivants. L'individuation doit être pensée sur fond de participation à une commune évolution. Au plus haut degré d'évolution, le corps de l'homme exprime la plus forte intégration possible ; l'identité ne se situe pas seulement dans le tout, mais au cœur même de chaque élément.
Le développement actuel des possibilités de greffes, loin de remettre en question cette spécification du corps humain, lui donne un éclairage expérimental : soit il s'agit d'introduire un tissu (osseux, par exemple) qui ne reconstitue pas par lui-même l'organe lésé, mais provoque une reconstruction qui se terminera par la dissolution de l'élément étranger ; soit il s'agit de suppléer l'organe défaillant ou perdu en luttant indéfiniment contre la physiologie du rejet.
L'apport fondamental de la physiologie a été de modifier de façon décisive le rapport de l'intelligence scientifique à son objet lorsque cet objet présente les caractéristiques d'un corps vivant ; savoir que par son individualisation ce corps résiste toujours pour une part aux protocoles expérimentaux qui reposent sur une comparaison entre corps, par addition ou soustraction d'une variable, ou sur une comparaison de deux situations différentes et successives d'un même corps, c'est prendre en compte l'irréversibilité d'une histoire, l'irréductibilité d'une constitution individuelle qui relève de façon significative d'une intériorité biologique. Savoir que l'expérimentation est nécessairement, à la lettre, factice, c'est se donner l'obligation de retrouver, dans l'interprétation des phénomènes, le sens qu'ils ont pour ce corps vivant en tant que sujet. Grâce à son concept de milieu intérieur, qui renvoyait pour lui à une véritable création de l'organisme, spéciale à chaque vivant, Bernard a eu l'insigne mérite de réussir à dépasser les représentations anthropomorphiques du corps, qu'elles soient finalistes (une république d'artisans) ou mécanistes (une machine sans machiniste) ; au lieu d'assimiler les organes à des instruments, à l'image des relations que le corps humain entretient avec le monde extérieur, le biologiste doit prendre en compte le caractère autopoétique de l'activité organique, le fait qu'elle ne relève ni de la logique ni de l'analyse instrumentale des situations. G. Canguilhem souligne avec force cette originalité requise par une compréhension véritable du corps vivant : « Il faut abandonner cette logique de l'action humaine pour comprendre les fonctions vivantes. »(4).
La notion de fonction biologique implique déjà par elle-même un écart par rapport à la conception mécaniste ou physicaliste des corps ; une fonction a un sens biologique qui correspond à la solution d'un problème. Si la vie est « l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort », selon le mot de Bichat, les fonctions vivantes ne seront compréhensibles que par une pensée authentiquement biologique, c'est-à-dire attentive aux enjeux et aux normes qui s'imposent à la physiologie de l'organisme, du point de vue de l'organisme lui-même, en tant que sa situation vitale dans son milieu se présente comme problématique.
Quelle différence y a-t-il entre le sens du problème que possède le corps et la logique de l'action humaine ?
Tandis que celle-ci invente des problèmes afin de contourner les obstacles que notre intelligence rencontre et formule (d'où le mécanisme comme modèle explicatif et comme stratagème), dans le corps lui-même la vie s'incarne comme art de résoudre les problèmes, ceux-ci n'étant jamais posés sans leur solution.
Ce paradoxe, développé par Bergson, constitue sans doute l'une des approches les plus fécondes de l'organisation corporelle vivante. La construction de celle-ci est, en effet, à la fois position de problèmes et solution, si l'on veut bien comprendre que son fondement n'est pas un acte mécanique d'assemblage qui fixerait les propriétés structurales et fonctionnelles du tout à partir d'un concept, mais la durée concrète qui se définit dans le vivant par l'ensemble des transformations qui s'opèrent en lui, dans une continuité indivisible. Partant du principe que c'est la spatialisation du corps qui rend insoluble pour l'intelligence le problème de la possibilité de l'organisation vivante, Bergson propose d'utiliser les schèmes temporels concrets, et non plus spatiaux et abstraits, de l'expérience pour penser la vie, avant même de statuer sur la matière et le mécanisme, qui relèvent des formes extensives et abstraites (en tant que compositions de l'intelligence fabricatrice) de la réalité.
La compréhension de la durée relève ainsi, à la différence de la pratique fabricatrice, liée à la disposition spatiale d'éléments homogènes partes extra partes, d'une expérience de la continuation ; l'esprit, en retrouvant le sens de son propre effort, se dispose à retrouver dans l'intuition de la durée le fondement de cette construction continuée qui fait la chaîne des vivants. L'évolution, de même que la croissance, nécessite une certaine durée ou continuité de vie qui intègre l'hétérogénéité des moments, de façon irréversible, l'altération étant en même temps devenir et formation : « La vie se fait, sans compter, et sans se demander “ce qu'elle aurait pu faire”, ni si ce qu'elle fait a le droit d'exister. »(5). Un corps vivant est donc une totalité prise dans et sur cette durée, une individualité composée de parties hétérogènes et coordonnées, et dont la vie, précisément, consiste à découvrir sans cesse de nouvelles virtualités en les actualisant. Ouvert à la durée, le vivant ne l'enregistre pas sans y prélever de quoi se transformer. Chaque moment concentre dans son indivisibilité tout le perçu, tout l'éprouvé, tout en intégrant ce que le présent y ajoute de nouveau ; moment original et forme originale d'une histoire singulière, où rien ne se répète réellement. Le temps du corps vivant est ainsi constitué de continuité et de renouvellement incessant, participation de tout le passé à la résolution de problèmes toujours nouveaux. Conservatrice et créatrice, l'évolution s'appuie sur la transmission de la vie, sorte de courant qui va d'un germe à un autre par l'intermédiaire d'un organisme développé(6).
Et, en un sens, à propos, cette fois, de l'apprentissage, nous retrouvons transposée dans le corps même la distinction que Bergson établissait entre intuition de la durée et intelligence analytique et spatialisante : dans la répétition active, celle de l'effort, chaque nouvel essai appelle l'attention du corps sur un nouveau détail, le situe par rapport aux gestes appris, l'intègre à la compréhension de la structure intérieure du mouvement ; après avoir décomposé l'ensemble, la répétition le recompose. En somme, elle « parle à l'intelligence du corps »(7).
Le sujet du corps et le corps-sujet
La conscience se voit ainsi comme engagée dans un corps dont elle paraît bien dépendre. Quelle est la nature de cette dépendance ? Bergson part de la disproportion entre l'immensité de la mémoire (individuelle et générique) et le fonctionnement du cerveau. Toujours en excès par rapport à ses représentations actuelles, l'imagination nous dote d'une ubiquité virtuelle. Quel est donc le rôle du corps ? Il n'est tout d'abord qu'un centre d'action : il reçoit et il restitue des mouvements. Et, dans ce centre d'action, l'axe nerveux a pour fonction de recevoir des excitations et de les prolonger en mouvements. Tandis que la moelle épinière permet à l'excitation de se réfléchir en réaction motrice, le cerveau, lui, joue un rôle de retardateur ; il ajourne la réponse. Des capacités d'affût et d'attente se développent ; la puissance de s'abstenir initie, dans la cérébration, l'ouverture à l'imprévisible : prudence, rancune, prévision, promesse deviennent donc possibles, et, avec elles, l'expérience réfléchie, qui libère une immense capacité à emmagasiner l'énergie et l'information apportées par les impressions afférentes et à les dépenser au-delà des besoins présents. Tout en prolongeant la fonction spinale de réaction, le cerveau nous fait gagner du temps ; il nous ouvre la possibilité de la création et de la liberté. Instrument de sursis et de liberté, le cerveau assure, selon Bergson, une fonction de mise en scène, de pantomime de l'activité spirituelle ; il permet à cette activité de prendre figure, de se symboliser.
Ne sommes-nous pas conduits de nouveau à une forme de dualisme ? Faut-il admettre que le sujet du cerveau transcende le corps ? En déterminant le rôle du cerveau comme mise en scène du spirituel, Bergson entend plutôt insister, loin de tout dualisme ou parallélisme, sur l'élasticité infinie du fait spirituel, qui est apte virtuellement à égaler l'univers et qui est totalité, tandis que le fait cérébral, pris dans l'actualisation, reste limité et partiel, ne jouant à chaque moment qu'une expression parmi l'infinité des possibles qu'implique le fait spirituel. Bergson attaque ainsi de front le réductionnisme, récusant, par exemple, l'idée de localisation cérébrale, réfutant l'hypothèse des centres d'images. À propos de l'aphasie, il montre que l'action du cerveau est liée à la fonction des mots, non au souvenir même (la première peut être atteinte lors d'une lésion, sans que le second disparaisse) ; le souvenir, comme fait spirituel, est totalisation – tout autre chose que les innombrables occurrences visuelles ou auditives qui participent à la mémorisation des formes (mots, figures...). Lésions et localisations cérébrales sont ainsi des déterminations spatiales, tandis que la fonction, elle, est temporelle ; sans organe, la fonction est impossible, mais cela ne signifie pas qu'elle ait son siège dans l'organe. C'est en ce sens que la pensée excède le cerveau ; mais on pourrait en dire autant de la vie : vivre, c'est se dépasser perpétuellement, c'est découvrir en soi plus de ressources et de réponses qu'en attend la situation présente. Le rôle du corps ne sera plus seulement de disposer à l'action, mais aussi de limiter, en vue de l'action, la vie de l'esprit. Car l'esprit ne se réduit pas à l'action ; ce n'est pas parce que nos mouvements impliquent une sélection des représentations et des mouvements appris que les souvenirs ainsi refoulés disparaissent.
Est-ce une nouvelle façon, plus subtile encore, de réhabiliter le dualisme ? Mais n'est-ce pas parce que le statut matériel du corps n'a pas été explicité que cette question des rapports entre l'esprit et le corps fait retour en ces termes ? Ne faut-il pas penser la matérialité en s'affranchissant de la notion géométrique de la spatialité comme extension divisible en parties séparées les unes des autres ? Bergson, reprenant la notion de matière à partir de l'intuition de la durée concrète, met l'accent sur la continuité réelle qu'elle implique ; il s'agit de retrouver, en deçà des représentations spatiales de la matière, l'expérience perceptive du mouvement. Il faut penser ici à l'interaction incessante entre les corps pour se représenter la forme de totalité que constitue la matière ; plus fondamentalement, avec l'intuition de l'étendue concrète, la conscience retrouve dans la matière le mouvement réel, la durée et la mémoire. Entre esprit, vie et matière, il n'y a pas opposition, mais continuité. La matière comme plus bas degré de l'esprit, le corps comme forme de conscience qui réduit l'activité de l'esprit pour fournir à l'action l'appui de l'habitude et de la motricité.
Mais d'où vient l'image de la distinction des corps si ce n'est du corps vivant lui-même et de l'intériorité qui l'individualise ? Sans doute l'origine des divisions (en zones, en territoires, en directions) opérées par l'intelligence analytique dans la continuité réelle du changement se trouve-t-elle dans la détermination par les besoins des moyens de satisfaction, en termes d'actions délimitées à réaliser successivement, et d'objets séparés à disposer selon un usage préétabli. Mais ce découpage n'est possible qu'à partir de l'expérience originaire du corps individuel, en tant qu'il se saisit lui-même comme distinct de tout ce avec quoi il est en relation.
Cette expérience de l'intériorité par laquelle la vie se reconnaît elle-même, Descartes l'avait caractérisée comme celle de la conscience affective : dans la souffrance et le plaisir s'éprouve la réalité irréductible de l'union qui fait de l'homme réel non pas seulement une âme unie à un corps (ce qui maintient la distinction des substances, telle que l'exige la science de l'entendement – d'où la conception mécaniste des corps), mais aussi, plus fondamentalement, un sujet qui est un tout avec son corps, un être qui ne peut, dans le sentiment, se distinguer de sa chair, et qui ne se connaît qu'en éprouvant, dans sa chair même, les affections par lesquelles il connaît l'existence et les existants (à commencer par les corps).
Pour Maine de Biran, le fait primitif est précisément le sentiment initial d'effort propre par lequel je saisis ma réalité effective s'accomplissant par la mise en œuvre du corps, dans la motricité et la sensibilité ; expression, langage et pensée en dépendent. C'est dans le sentiment d'une action ou d'un effort voulu que le sujet identifie son existence individuelle, et c'est en lui que commence la personnalité. En effet, l'effort est un mouvement qui ne m'éloigne pas de moi, mais me révèle à moi-même. L'expérience constitutive du sujet est ainsi l'expérience éminemment subjective du corps propre.
Il ne faut donc plus considérer, sauf par abstraction provisoire (en vue d'une action technique sur lui), que le corps puisse être connu par exploration externe, comme le croyait Condillac, pour qui la main découvre le corps par une succession de sensations de solidité ; l'expérience de l'effort est, à la différence de cette exploration externe, celle d'une immanence du sujet à son corps. Merleau-Ponty parle d'une fusion de l'âme et du corps dans l'acte(8). Ce qui est décisif dans une telle notion, c'est qu'elle introduit la temporalité et l'historicité dans la description des modalités de cette immanence ; l'existence biologique du corps ne saurait se faire existence personnelle sans une structuration temporelle. Dans l'action, le corps propre assume une certaine configuration du monde autour de lui (configuration de personnes et d'objets qui appellent certaines attitudes et certains mouvements) en fonction de son histoire ; dès la perception, le corps propre recueille ce qui est de l'ordre du sensible, il s'en imprègne. Ce qu'Aristote appelait l'acte commun du sentant et du senti pour définir la sensation, implique cette participation du corps et du monde, qui s'élabore à travers une histoire ; en deçà de la perception objectivante, en deçà même de la proprioception, il y a le corps propre comme existence, où demeurent toutes les possibilités, toutes les ébauches d'action.
Centre d'actions virtuelles, le corps est ainsi puissance qui dispose de soi dans un mouvement incessant de projection et l'évocation ; toute action implique l'ébauche des mouvements qui ne s'actualiseront pas sans s'accompagner d'une reconnaissance de l'aire du monde qui est chargée de significations pour le sujet. Le corps est savoir incorporé et exprimé pour soi et pour autrui.
Jusqu'où maintenir cette immanence du sujet à son corps ? La question se pose déjà à partir de l'expérience de l'effort, qui inclut, bien entendu, le sentiment d'une résistance. En dirigeant nos mouvements vers les choses et en y produisant des changements, nous faisons naître en nous des sensations, dont les plus manifestes, remarque Maine de Biran, sont tactiles ; nous éprouvons alors le lien intime qui unit le mouvement comme effort du sentir et ce qui lui résiste, présent dans la sensation tactile : une réalité subjective qui transcende la subjectivité. Et, en deçà de cette transitivité de la sensation (sensation du lisse, du dur, du froid, etc.), il y a déjà cette résistance du corps propre à l'effort, et qui relève de l'organique (muscles, articulations, organes).
Il n'est donc pas possible d'identifier purement et simplement le corps propre et le corps organique, si celui-ci est éprouvé sur le mode de la résistance et pas seulement sur celui de la transitivité, qui s'accompagne, dans l'action accomplie avec aisance, d'un oubli du corps. Il y a bien unité des deux, dans la mesure où le corps organique n'est pas extérieur au sujet et à son pouvoir d'agir, dont il recèle toutes les dispositions ; mais l'organique peut à ce point contrarier l'activité et même la vie du sujet que celui-ci doit bien le considérer, parce qu'il le vit comme déficient, douloureux ou même menaçant (la maladie peut être représentée dans une rémission comme quelque chose qui se cache, qui attend son heure pour revenir), comme un obstacle, un handicap et, d'un point de vue technique, comme une chose (une res extenso) à analyser et à traiter de façon à pouvoir agir efficacement sur elle. Rien n'est plus significatif, rien n'est plus éclairant, tant d'un point de vue scientifique que du point de vue de l'éthique médicale, que cette ambiguïté du rapport du sujet à son corps organique, comme aimait à le rappeler le grand chirurgien R. Leriche(9). Si l'existence du moi est nécessairement incarnée, le corps n'en est pas pour autant identique au moi, ne fût-ce que parce qu'il appartient à l'ensemble du monde des corps tout en étant la condition de l'individuation et du moi lui-même. M. Henry rappelait la difficulté rencontrée par Descartes à rendre compte du droit particulier que j'ai de considérer comme mien ce corps objectif, cette portion d'étendue qui appartient aussi à l'extériorité de plein droit(10). Comment puis-je posséder en tant qu'ego subjectif cette transcendance qu'est le corps objectif auquel renvoie le corps organique et les vécus corporels qui le manifestent pour la conscience ?
En vertu de quoi ce corps est-il mien sans être pour autant, et de façon absolue, moi ?
Les raisons du corps, et son droit
Opposée à toute forme de dualisme, la neurologie de la fin du xixe s. soutenait la thèse d'une continuité dynamique de l'activité cérébrale, du réflexe à l'activité idéative ou volontaire (unité du système neurocérébral, selon Jackson), et y voyait un argument décisif en faveur de l'immanence de la conscience à cette activité. Cependant, « prendre pour fil conducteur le corps », ce sera pour Nietzsche aller encore plus loin dans la mise en cause du dualisme, puisque le corps, collectivité d'êtres vivants, fait intervenir autant de « consciences » qu'il a de constituants, le sentiment d'unité étant lui-même à la fois l'instrument et la résultante de cette activité collective.
L'assimilation de l'esprit à un langage chiffré du corps restitue à celui-ci l'unité attribuée à celui-là, et le renvoie à un sens qu'il méconnaît (ou dénie) ; elle conduit également Nietzsche à suspendre l'exigence d'unité du sujet au profit d'une pluralisation de la référence au corps considéré comme ensemble mouvant et conflictuel de pulsions et d'affects. Le corps désigne ici la mémoire incorporée, qui superpose l'expérience individuelle, le langage et la culture, et l'histoire de l'espèce. Il est le soubassement inconscient de nos attitudes fondamentales, de nos valeurs et de nos croyances. Comme le fera la psychanalyse, la généalogie, démontant les mécanismes de dénégation et d'idéalisation des discours reçus (à commencer par le discours moral), « prête l'oreille à ce qui, dans les entrailles de l'esprit, voudrait rester coi »(11). Toujours en excès sur ce qui est figurable (d'où la métaphore de l'auscultation), requérant une écoute fine, une « troisième oreille » capable de relayer les autres sens, surtout celui de la vue, le corps est cette activité-affectivité originaire dont les ressources excèdent infiniment les représentations, naïves ou savantes, de l'organisme. Sans doute les approches anthropologiques, historiques et psychologiques contemporaines sont-elles redevables à ce questionnement des orientations les plus décisives de leur recherche théorique. Mais, au-delà de son intérêt théorique, la reconnaissance des raisons du corps (l'ensemble des besoins, des désirs, des passions) n'a de sens qu'à s'inscrire dans un projet éthique : si le corps se voit reconnaître ne fût-ce qu'une participation à la constitution du sujet, c'est bien en vue de la prise en compte d'une normativité vitale sans laquelle nos projets de vie seraient voués à l'échec. Tout en empruntant à la neurologie de son temps la métaphore de la collectivité des âmes qui constituent le moi, tout en insistant sur le caractère mouvant et instable des formes d'unification et d'organisation de cette collectivité qui se représente elle-même comme un sujet conscient, Nietzsche ne cesse de diagnostiquer les divers états de santé et de maladie du corps pour qualifier aussi bien les idiosyncrasies individuelles que les formes de civilisation. Que le corps soit très largement dépendant des usages et de l'activité qui lui sont imposés dans une culture déterminée n'exclut nullement qu'on puisse qualifier sa vie selon le mode d'activité ou de passivité, de créativité ou de soumission aux normes externes, dont il est capable. Si le thème du philosophe-médecin de la civilisation ne cesse d'imposer une orientation éthique à son œuvre, c'est bien parce qu'il n'est pas possible de faire du corps une grande raison sans y chercher les possibilités diverses de normativité parmi lesquelles l'individu aura à se retrouver. L'idée de cultiver une sagesse tragique, capable de comprendre les formes les plus terribles de l'existence comme expressives de la vie en tant que puissance s'affirmant, sans intention ni sens prédéterminés, tend à promouvoir une forme de vie et de santé supérieure : affranchie de toute transcendance, elle s'éprouve comme gai savoir dans l'affirmation du caractère créateur de la vie.
Le corps scruté et disponible
À l'opposé de ce mouvement de réappropriation de la vie du corps par la pensée et de la pensée par le corps vivant, l'évolution des représentations artistiques du corps au cours du dernier siècle est particulièrement significative de l'ambiguïté qui caractérise le statut du corps dans notre société. L'art témoigne d'une tension entre deux attitudes : la valorisation de la vie et de l'expressivité du corps, d'une part ; et le désir illimité de scruter la réalité corporelle, d'autre part, en tant qu'elle se donne à la perception dans sa matérialité, dans sa structure ou sa texture, ou dans ses métamorphoses. De plus en plus défiguré, y compris dans la photographie, défait par ses affections ou décomposé par un regard qui le scrute et qui l'objective, le corps semble n'être plus un sujet, ne plus appartenir même à un sujet, mais être une chose livrée sans réserve à la connaissance et à l'expérience. Ce qui caractérisait la médecine moderne, selon M. de Certeau, à savoir l'assimilation du corps à un chiffre en attente de décryptage, semble se retrouver dans l'art contemporain, dans l'ouverture de l'intériorité du corps en un ensemble d'éléments qui ne forment plus figure de corps, et d'autant plus présents, par là, au regard de la pratique qui se dispose à en user.
L'intégrité du corps est, par ailleurs, de plus en plus fréquemment l'objet d'une transgression symbolique, l'utilisation commerciale de son image, dans des situations où il se trouve réduit de façon exclusive au statut de signal ou d'instrument, ne faisant qu'habituer le regard à perdre toute retenue et, finalement, tout sens de la dignité de l'autre homme. Abstraite de l'individualité à qui elle appartient et qu'elle contribue à constituer, une partie du corps, la peau (ou tel autre organe ayant une signification charnelle, quelle qu'elle soit), devient un objet qu'aucun usage, qu'aucune manipulation ne semblent pouvoir affecter désormais. Si le désir pervers se complaît dans la désubjectivation du corps humain, les occasions qui lui sont offertes de se satisfaire de façon symbolique ne manquent pas dans un monde où, dans une certaine mesure, le corps peut être dissocié de la personne, avec, sans doute, le consentement de celle-ci.
Mais c'est encore sur le terrain de la médecine que va se jouer de façon décisive le rapport entre ces deux nécessités, si difficiles à concilier, de devoir poursuivre sans cesse le projet de la science moderne, d'exploration et d'intervention technique sur le corps de l'homme, et de suivre au plus près les normes de vie et de santé de ce corps, normes que le sujet perçoit plus ou moins distinctement, mais qu'il ne perçoit jamais sans leur donner forme d'exigences impératives. Dans quelles limites le droit de disposer de son corps et de sa vie reste-t-il compatible avec la dignité qu'une civilisation comme la nôtre reconnaît au corps humain en posant le principe juridique de son indisponibilité ?
Le corps indisponible
Cette difficulté s'exprime dans l'article 16-3 de la loi de juillet 1994 relative au respect du corps humain : « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité thérapeutique pour la personne. ». En fixant des limites à l'objectivation du corps, le droit reconnaît sa possibilité légale ; mais il reste alors à en définir les conditions, ce qui revient à donner une interprétation, qui ne saurait être univoque et stable, des normes de santé qui rendent l'acte thérapeutique nécessaire. Les demandes d'intervention chirurgicale se multiplient, qui font intervenir des exigences subjectives vécues par les sujets comme de véritables impératifs thérapeutiques. Du changement d'apparence sexuelle à la modification de la morphologie générale ou de la forme du visage, les exemples ne manquent pas, qui posent la redoutable question de la légitimité d'une réponse médicale à une demande de conformité à un modèle que le sujet considère comme ce vers quoi il doit tendre pour jouir de la meilleure qualité de vie possible. Le droit de disposer de son corps ne transforme-t-il pas le corps en la propriété d'un sujet qui s'en distinguerait, alors même que le droit affirme, conformément au rapport du Conseil d'État de 1988, l'indivisibilité du corps et de l'esprit, du corps et de la personne ? L'ambiguïté, pour ne pas dire la contradiction des formules juridiques, correspond sans doute à la situation que la médecine actuelle assigne au corps, en tant qu'il n'est plus seulement l'être corporel d'un individu, mais une source de tissus, d'organes et de produits qui peuvent, en premier lieu, avoir une valeur infinie pour d'autres (à qui ils assurent dans les greffes la survie, ou la vie dans le don de cellules reproductrices) et, en second lieu (parfois simultanément), être un indispensable recours pour une expérimentation (qui s'impose parfois dans l'urgence).
De fait, dans son interprétation la plus courante, le droit de disposer de son corps réhabilite la représentation dualiste qui distingue la personne, en tant qu'entité incorporelle, de son corps. Car cette représentation est confortée par la possibilité de produire artificiellement toute une série d'éléments du corps, ce qui, en retour, permet aux juristes de considérer certains éléments naturels isolés du corps comme échappant à l'indisponibilité du corps humain ; c'est à ce titre précisément que la directive européenne du 30 juillet 1998 parle de la brevetabilité du vivant. Ainsi, la distance entre corps naturel et corps artificiel s'estompe inévitablement, dès que l'intégrité du corps de l'homme ne semble pas menacée par une intervention à visée thérapeutique et/ou expérimentale. Mais s'il est admis – à l'occasion, notamment, des transferts d'organes – que la dignité de ce corps exclut qu'il puisse se réduire, en totalité ou en partie, au statut d'une marchandise, s'il est établi en droit français qu'il ne saurait être l'objet d'un droit patrimonial, il n'en reste pas moins que la condition pour que la pratique médicale de la greffe soit actuellement possible en droit est que l'union fondamentale qui continue d'être proclamée entre la personne et son corps ne puisse plus être entendue comme une fusion. La nécessité du don d'organes conduit à renoncer au caractère intangible du corps-personne. Pour autant, le droit ne saurait être fidèle à ses principes, et, en particulier, à celui de l'indivisibilité du corps et de la personne, sans fixer des limites au pouvoir que le sujet de droit a sur son propre corps afin que le corps, quelque divisible qu'il paraisse (et qu'il soit sans doute effectivement dans la pratique d'un mécanisme aujourd'hui extrêmement raffiné), obtienne le respect qui lui est dû, en tant que sa dignité tient à son être même, qui n'est pas celui d'une propriété, mais de l'existence, affectée et agissante, du sujet lui-même.
Du droit, et de la norme immanente du désir
Dans ce contexte, et parce qu'il échappe aux difficultés théoriques et pratiques du dualisme, le modèle spinoziste du corps pourrait bien trouver, tout comme dans le champ de la biologie et de la psychologie contemporaines, un surcroît d'intérêt et d'actualité. Dans son débat avec le cartésianisme, ne pose-t-il pas, en effet, la question du statut du corps humain à partir d'un parallélisme qui exclut autant le rapport de propriété que l'union (ou la confusion vécue) entre l'esprit et le corps ? Et ce parallélisme ne se définit-il pas par l'exacte équivalence des pouvoirs de perception, d'action et d'affection de l'esprit, et des aptitudes du corps, liées à la complexité de ses structures et de ses mouvements ? Individu formé d'un très grand nombre d'individus, le corps humain se caractérise, en effet, pour Spinoza, par une extrême diversification des organes et donc par l'individuation la plus poussée de ses parties ; et son unité s'exprime dans l'esprit, qui est l'idée de ce même corps – se produisant et produisant dans l'ordre de la pensée la même complexité et la même puissance d'existence (c'est-à-dire d'action et d'intégration) que son corps.
L'identité d'être et de puissance de l'esprit et du corps, dans l'Éthique, a remplacé la thèse de l'influence réciproque, telle qu'elle était encore soutenue dans le Court Traité ; il était nécessaire, selon Spinoza, de déprendre la pensée de tout résidu de dualisme pour la libérer des présupposés téléologiques de l'union et de l'interaction de l'âme et du corps. Et, en établissant une correspondance entre le modèle dynamique de la corporéité et le modèle conatif de l'idée, Spinoza permet d'aborder de façon très originale la question de l'intériorité, organique et psychologique, de l'individu, en tant que celle-ci est inséparable de l'ensemble des activités qui mettent cet individu en relation d'exploration et de composition avec l'extériorité (en particulier, avec les corps aussi complexes que le sien, les corps humains) ; les normes de sa vie et de son perfectionnement étant immanentes à son conatus (effort constitutif de l'existant, et qui prend une forme consciente chez l'homme, la forme du désir – qui est donc l'essence de l'homme), la mesure de son droit est exactement égale à celle de sa puissance, celle-ci ne pouvant pas atteindre son plus haut degré sans une organisation sociale et politique appropriée à l'existence d'hommes libres et raisonnables.
Il n'est donc pas de normes sociales ou juridiques qui puissent être effectives sans se rapporter à la norme de l'utile propre, dont la raison enseigne qu'elle implique la recherche de l'utilité commune : la puissance de chacun doit être secondée et alimentée par celle des autres individus dont la nature s'accorde avec la sienne(12). Ni réductible à sa physiologie ni assimilable à un ensemble d'instruments disponibles, le corps humain est la forme même que prend le dynamisme de l'existence individuelle dans la durée ; sa valeur est celle de cette existence, qui est qualifiée et se qualifie elle-même par la puissance qu'elle déploie. En un sens, c'est donc bien le corps qui est le fondement et la mesure de cette puissance : accrue ou diminuée (ce qui définit les affections de joie et de tristesse), cette puissance exprime la nature individuelle, c'est-à-dire le désir de chacun en tant qu'effort pour persévérer dans son être. C'est par les dispositions et les affections du corps que nous différons les uns des autres. Cependant, le besoin d'un mutuel secours appelle une vie commune, qui ne se développe pas sans favoriser les affections communes, et, avec elles, des jugements et des règles valables pour tous. L'effectivité des normes communes de conduite repose donc sur la solidarité fondamentale et, en ce sens, naturelle, qui nous constitue en être sociaux et disposés à obéir à des pouvoirs institués afin de défendre les droits communs. En tant qu'instituées, les normes du juste et de l'injuste sont des notions extrinsèques(13), mais elles ne peuvent être effectivement des normes que par le consentement commun à ce qui est perçu comme l'utilité commune.
Par là se définissent le droit du corps et le pouvoir du droit concernant le corps. En tant qu'il relève d'un ensemble de soins qui ne sont disponibles que dans une Cité, et que sa puissance individuelle ne s'épanouit que là où il y a des droits communs, le corps dépend, en partie au moins, d'une collectivité qui ne saurait, sans se détruire, admettre pour chaque individu le droit à une disposition de soi absolue.
L'indivisibilité du corps et de l'esprit fonde en droit l'indisponibilité du corps humain (cf. l'article 1128 du Code civil : il n'y a que les choses qui sont dans le commerce qui peuvent être objet de convention) ; ce corps ne peut être objet de contrat, même en cas de consentement libre et éclairé des parties. D'un point de vue spinoziste, ce statut du corps humain n'est pas fondé réellement sur le caractère sacré de la personne (il est sans doute nécessaire d'enseigner une telle croyance, puisque tous les hommes ne sont pas conduits par la raison), mais sur la norme, immanente à l'existence humaine, du désir, la recherche de l'utile propre ; cette norme étant fondatrice des autres normes, à commencer par celles de la législation, elle situe l'individualité humaine au-dessus des autres formes d'existence. « La règle de la recherche de l'utile nous enseigne bien la nécessité de nous unir aux hommes, mais non aux bêtes ou aux choses, dont la nature est différente de l'humaine », écrit Spinoza, ajoutant que s'il ne nie pas que les bêtes sentent, il ne voit pas en quoi cela nous interdirait d'user d'elles et de les traiter selon ce qui nous convient le mieux(14).
En tant qu'humain, doué d'aptitudes que l'esprit exprime à proportion de leur puissance et de leur complexité, le corps individuel est ainsi la source d'une normativité qui exclut qu'il puisse être réduit à la disponibilité, comme les choses, et qui affirme en même temps son droit naturel de disposer de soi dans la mesure où cela ne cause pas de dommage à autrui ; le droit d'agir selon son propre intérêt et son plaisir n'est pas aboli, mais instruit par la nécessité de droits communs. Cependant, désirer pour les autres le bien qui est désiré pour soi-même, et être capable de don authentique, relève de la vertu, qui est puissance de connaître et d'agir selon ce qui s'accorde avec la nature de l'homme et, par suite, de tout homme : rien n'est plus utile à l'homme que l'homme.
Revenir à la norme du désir, en tant que dynamisme de composition et d'unification individuelle de cette multiplicité qu'est le corps, ce n'est donc nullement opposer les droits de l'individu aux exigences éthiques et juridiques de la société, c'est instruire celle-ci des raisons de son existence et de sa constitution, donc de son dynamisme propre (son conatus) : l'utile commun, générateur de solidarité, assume nécessairement la prise en compte du désir individuel. La vie et les droits du corps individuel (sa santé, sa joie) fondent les règles d'une vie collective puissante et libre et résistent aux entreprises d'asservissement. Si la seule « obligation » qu'implique le conatus de chacun n'est en fait, par droit de nature (c'est-à-dire par l'affirmation naturelle de sa puissance), que celle de ne pas se détruire, de ne pas manquer à soi-même et, donc, de ne pas laisser agir sur soi les choses qui peuvent causer sa propre ruine(15), cette obligation n'en est pas moins fondatrice de cette prudence (precautio) qui seule peut conduire les individus à être solidaires et à se constituer en corps politique aussi rationnel que possible ; c'est dans la démocratie, en effet, que les individus sont les plus nombreux à pouvoir se constituer en sujets, à la fois de leur désir et de l'institution des normes de leur vie commune.
La perspective spinoziste offre ainsi la possibilité de traiter le problème éthique et juridique de la possession et de la disposition du corps en se référant à cette norme d'existence et de résistance individuelle qu'est le désir, sachant que la puissance effective de ce désir est fonction de la complexité de l'organisation corporelle et de ses possibilités de composition et d'échange avec les autres corps. À quelle autre norme, en effet, une médecine digne de ses fins vitales et humaines pourrait-elle se référer ? Comme le montre H. Jonas, c'est toujours, par-delà l'espace des droits, la vocation et la mission dernière de la médecine de revenir à la notion de vie et à l'obligation envers la vie, exprimée dans le droit de vivre, y compris lorsque ce droit s'exprime dans le désir de ne pas être dépossédé de soi et de la fin de sa vie par une souffrance entretenue dans le maintien artificiel de la vie(16).
En ce sens, l'ultime raison pourrait bien se retrouver du côté du corps, dans l'affirmation de son pouvoir de résistance, cette disposition, qui est son droit de nature et son obligation de nature, de ne pas être contraire à lui-même ou de ne pas devenir son propre ennemi ; devoir et droit, par conséquent, de vivre et d'agir avec cette prudence dont Spinoza nous dit qu'elle « n'est pas une obéissance, mais au contraire la liberté de la nature humaine »(17).
André Simha
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Aristote, Politique, I, 2, Vrin, Paris.
- 2 ↑ Diderot, D., Le rêve de d'Alembert, Garnier, Paris, 1875.
- 3 ↑ Dagognet, Fr., Le corps multiple et un, Delagrange, Paris, 1992.
- 4 ↑ Canguilhem, G., Le Normal et le Pathologique, PUF, Paris, 1966, p. 124.
- 5 ↑ Bergson, H., L'évolution créatrice, in Œuvres, « Édition du centenaire », PUF, Paris, 1970, p. 272.
- 6 ↑ Ibid., p. 517.
- 7 ↑ Bergson, H., Matière et mémoire, in Œuvres, « Édition du centenaire », PUF, Paris, 1970, p. 256.
- 8 ↑ Merleau-Ponty, M., Phénoménologie de la perception, Gallimard, Paris, 1945, p. 100.
- 9 ↑ Leriche, R., La philosophie de la chirurgie, Flammarion, Paris, 1951.
- 10 ↑ Henry, M., Philosophie et phénoménologie du corps, PUF, Paris, 1965.
- 11 ↑ Nietzsche, F., Par-delà le bien et le mal, § 230, Garnier-Flammarion, Paris, 2001.
- 12 ↑ Spinoza, B., Éthique, IV, appendice, ch. VIII, Garnier-Flammarion, Paris, 1965.
- 13 ↑ Ibid., Proposition 37, scolie II.
- 14 ↑ Ibid., Proposition 37, scolie I.
- 15 ↑ Spinoza, B., Traité politique, ch. IV, introd. Laurent Bove, « Le livre de poche », Paris, 2002.
- 16 ↑ Jonas, H., Le droit de mourir, Payot, Paris, 1996.
- 17 ↑ Spinoza, B., Traité politique, IV, 5, Vrin, Paris, 1968.
- Voir aussi : Aristote, De l'âme, Les Belles Lettres, Paris, 1966.
- Descartes, R., Méditations métaphysiques, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1953.
- Jaquet, C., Le Corps, PUF, Paris, 2001.
- Lagrée, J., Le médecin, le malade et le philosophe, Bayard, Paris, 2002.
- Mauss, M., Les techniques du corps, in Sociologie et Anthropologie, PUF, Paris, 1950.
- Marzano-Parisoli, M. M., Penser le corps, PUF, Paris, 2002.
- Nietzsche, F., Ainsi parlait Zarathoustra, Garnier-Flammarion, Paris, 2001.