chair
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
En allemand : Fleisch, Leib.
Omniprésent dans la Bible de Luther, Fleisch traverse nombre de mystiques (Eckhart, Boehm, Baader), tandis que Leib n'apparaît qu'avec la problématique rationaliste et empiriste au xviiie s. Tous deux prennent conjointement des accents idéalistes ou réalistes au xixe s. en philosophie, avant que Leib se trouve mobilisé en psychologie, puis, techniquement, dans la phénoménologie husserlienne.
Phénoménologie, Théologie
Dimension la plus sensible, intime, vulnérable et labile du corps qui, en tant qu'organisme, se définit en revanche par sa structure morphologique. Cependant, si une telle acception paraît s'imposer pour Fleisch, que l'on traduit spontanément par « chair » et qui désigne couramment la viande, la question est plus délicate pour Leib qui, dans son lien étymologique avec la « vie » (Leben), contient une telle inflexion de sens mais désigne aussi plus largement l'unité globale, organique et psychique de l'individu.
Genèse des notions
Fleisch est une notion centrale de la Bible luthérienne et désigne le corps de l'homme et de l'animal, les êtres vivants, ou encore la pudeur, l'être humain dans sa dimension fragile voire impuissante au regard de Dieu, bref, le côté terrestre ; à ce titre, il entre en opposition directe avec Geist (l'« esprit ») ; émergeant avec le rationalisme (Leibniz, Wolff) et l'empirisme qui lui est associé, Leib désigne l'organisme, selon un double couplage oppositif avec Körper d'une part (« corps inerte »), et Seele (le « psychisme »).
Idéalisme allemand
Avec Kant(1), Fleisch et Leib se trouvent pour la première fois conjoints au titre de la sensibilité comme chaos de sensations ou comme a priori formel (Opus posthumum(2)) ; en revanche, les post-kantiens tireront Leib du côté de Fleisch, soit pour en faire l'objectivation de l'amour dans le cadre d'un idéalisme absolu qui prend son inspiration dans l'Évangile de Jean (Fichte), soit pour désigner par là l'ensemble des forces psychiques inférieures (Schleiermacher).
Psychologie et phénoménologie
Tandis que les psychologues de la fin du xixe s. relient à nouveau Leib au double couplage Körper / Seele, que ce soit sur le mode schopenhauerien du Willensorgan ou dans le cadre de la psycho-physique (Fechner, Wundt), Husserl(3), tout faisant fond sur la dimension psycho-physiologique, confère à Leib une portée transcendantale qui remet en chantier le statut de son couplage avec le Geist. C'est à l'aune d'une telle extension de sens que l'on peut aussi comprendre la portée ontologique de la chair chez Merleau-Ponty(4), laquelle se voit rétro-traduite en allemand, de façon intéressante, par le vocable Fleisch.
Natalie Depraz
Notes bibliographiques