événement

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Le latin tire du verbe evenire (« se produire ») deux mots pour dire l'événement : eventum, qui désigne l'acte même de se produire (et qui est généralement utilisé au pluriel), et eventus, qui désigne ce qui est arrivé en tant que fait et produit.

Philosophie Générale

Élément du devenir dont le surgissement est perçu ou conçu comme une rupture de sa trame.

L'événement est d'abord présence : c'est le surgissement ici et maintenant d'un fait qui se produit. Cette production est un nœud singulier dans l'enchaînement des causes et des effets (conformément à la définition que Boèce donne du hasard : « événement inopiné issu de causes confluentes »(1)). Comme tel l'événement est accidentel : cependant cette accidentalité même désigne à son voisinage un ordre causal qui la réintègre dans la trame de la temporalité qu'elle rompt. Ainsi, aux yeux de Leibniz, chaque substance comprend virtuellement tous les événements qui constitueront sa temporalisation propre dans l'existence, de sorte qu'un entendement infini pourrait les y lire d'un seul regard : « chaque substance singulière exprime tout l'univers [...] et dans sa notion tous ses événements sont compris avec toute la suite des choses extérieures »(2).

Cependant, s'il est produit par le temps selon un certain ordre que nous ne pouvons saisir que rétrospectivement, l'événement à son tour rompt le cours du temps et reconfigure son ordre. La singularité qui surgit dans le temps est alors, comme le « retournement » du temps du cosmos abandonné par le Dieu chez Platon(3), un principe d'orientation dans la durée. La conception chrétienne de la temporalité(4) illustre parfaitement ce phénomène : l'événement par excellence, c'est l'avènement du Christ, pensé comme articulation de la temporalité à l'éternité et avènement de la Loi nouvelle.

L'événement est alors aussi bien le signe de la contingence radicale du temps que le moyen de son organisation : l'événement est, dans ce sens, la première clôture qui chez Rousseau marque la vraie fondation de la société civile. L'événement est alors le point saillant qui permet au discours historique de constituer des époques et de scander le temps long ; mais pourtant Rousseau lui-même ne cesse de rapporter ces points saillants à la « lente succession d'événements » qui purent les engendrer(5). L'événement ne cesse donc de participer de la double nature du surgissement et de ce qui, ayant surgi, s'accumule et forme le fonds même du temps.

Laurent Gerbier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Boèce, Consolation de la philosophie, V, 1, tr. J.-Y. Guillaumin, Les Belles Lettres, Paris, 2002, p. 125.
  • 2 ↑ Leibniz, G. W., Discours de Métaphysique (1686), § 9, édition G. Le Roy, Vrin, Paris, 1988, p. 44.
  • 3 ↑ Platon, Le Politique, 269a-270d, tr. A. Diès (1935), Les Belles Lettres, Paris, 1970, p. 20-23.
  • 4 ↑ Boureau, A., L'événement et le temps. Récit et christianisme au Moyen Âge, Les Belles Lettres, Paris, 1993.
  • 5 ↑ Rousseau, J.-J., Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes (1755), Œuvres Complètes, vol. III, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1964, p. 164.

→ accident, fait, hasard, histoire, historial, irréversibilité, temps

Linguistique, Métaphysique

Changement, ou ce qui arrive. Mais on peut soit le concevoir comme une propriété des choses qui changent, soit comme une chose particulière, une occurrence.

Au sein des changements, Aristote distinguait les « mouvements » (kinèseis), les « accomplissments » (energeiai), les générations, et les corruptions, mais les « événements » (sumbébèkoi) avaient un statut intermédiaire, ni substances ni propriétés des substances, mais accidents. Avec la science moderne, l'événement est ce qui est capable d'entrer dans des relations causales et des lois. Dans la philosophie contemporaine, notamment chez Davidson(1), le débat traditionnel devient celui de savoir si les événements sont des substances ou des individus (une explosion) ou des entités telles que des faits identifiés en vertu des concepts qui les décrivent (le fait que la bombe ait explosé). Les événements sont-ils singuliers ou répétables ?

Les disputes ontologiques sur les événements affectent la manière dont on comprend la causalité (est-elle une relation entre événements ou faits ?), le problème du rapport de l'esprit / corps (quand un événement mental cause un événement physique) et la théorie de l'action intentionnelle (si une action humaine est un événement, qu'est-ce qui la distingue d'un événement naturel ?).

Pascal Engel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Davidson, D., Actions et événements, PUF, Paris, 1993.
  • Voir aussi : Bennett, J., Events and their Names, Cambridge, 1992.

→ accident, cause, fait

Physique

Ce qui se produit en un lieu et à un instant donné.

Un événement est caractérisé par ses coordonnées spatio-temporelles (x, y, z, t). Une mesure physique se ramène à l'observation de relations entre des événements. La situation est plus complexe en mécanique quantique.

Michel Blay

→ quantique (mécanique), relativité




événement appropriant

Ontologie

Chez le dernier Heidegger, nouvelle relation à l'être, constituant la pensée d'un autre commencement à la fin de la métaphysique. Ce terme désigne une co-propriation de l'être (Sein) et de l'homme, sans pour autant donner un nouveau nom de l'étantié de l'étant, inaugurant une nouvelle époque de l'histoire de l'être. (En Allemand : Ereignis.)

Une telle pensée suppose une certaine clôture de l'historialité. Il s'agit de penser de manière plus radicale la donation de la présence, le « il y a » (es gibt), étant admis que si l'être se donne comme présence, il n'est pas une présence absolue sans retrait ni réserve, mais implique une présence qui en s'approchant de nous se tient aussi en retrait. À l'Ereignis appartient l'Enteignis, le dépropriement, ce voilement qui est comme la léthé de l'aléthéia. L'être (Seyn) peut être considéré comme un mode de l'Ereignis, qui n'est pas un simple événement, mais l'avènement de la donation d'une présence qui ne s'ouvre qu'en se dissimulant. D'Être et Temps (1927) à Temps et Être (1962) s'est opéré un déplacement essentiel : si la question demeure celle de l'être et de son sens temporel, l'ontologie fondamentale s'est néanmoins découverte comme rebelle à toute démarche de fondation, à laquelle s'est substituée une donation, l'énigme du « il y a ». À la différence ontico-ontologique s'ouvrant dans le Dasein s'est substituée la duplicité de l'être même se retirant dans le dévoilement de l'étant. Si être signifie présence, il doit s'entendre comme ce qui, en portant l'étant au non-voilement, laisse se déployer dans la présence en étant lui-même le don de ce déploiement. Le temps est alors compris comme entrée en présence, Heidegger réhabilitant la présence massivement rejetée en 1927 dans la substantialité métaphysique. Il nomme « espace de temps » (Zeit-Raum) la dimension de donation des trois ekstases temporelles, dont le jeu constitue une quatrième dimension qui est la donation de la présence. La donation de l'être reposant sur le règne du temps, tous deux se co-appartiennent dans l'Ereignis. L'être est ainsi pensé comme éclaircie conçue à partir de l'Ereignis, qui est le temps comme présenteté (Anwesenheit), de sorte que ce qui donne à penser soit le rapport de l'éclaircie et de la présenteté. Une telle pensée a pour condition l'hégémonie du Dispositif. L'âge de la technique n'est donc pas seulement celui de l'aliénation dans la planification et l'objectivation, mais il porte en son extrême péril la promesse d'un nouveau commencement pour la pensée.

Jean-Marie Vaysse

Notes bibliographiques

  • Heidegger, M., Beiträge zur Philosophie (Contributions à la philosophie), Francfort, 1989.
  • Heidegger, M., Bremer und Freiburger Vorträge (Conférences de Brême et Fribourg), Francfort, 1994.
  • Heidegger, M., Être et temps (1927), Tübingen, 1967, tr. F. Vezin, Gallimard, Paris, 1987.

→ dispositif, éclaircie, être, tournant