dispositif
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
En allemand, Gestell, « arraisonnement ». Le terme désigne au sens courant un « châssis » ou un « tréteau ».
Ontologie
Chez Heidegger, caractérise la technique moderne. Il s'agit du déploiement planétaire de la technique accomplissant la métaphysique et l'hégémonie du principe de raison.
La technique moderne est un mode de dévoilement consistant en une provocation par laquelle la nature est mise en demeure de livrer une énergie pouvant être accumulée comme un stock disponible. La technique manifeste ainsi la domination de la métaphysique moderne de la subjectivité, telle qu'elle s'accomplit dans la doctrine nietzschéenne de la volonté de puissance qui ne veut rien d'autre que son propre éternel retour en s'affirmant comme volonté de volonté, en un processus défini comme machination en lequel la totalité de l'étant est mise en sécurité et devient calculable. À ce processus appartient d'abord la planification comme organisation de tous les secteurs de l'étant. Lui appartient ensuite l'usure comme pure exigence de produire et de consommer, faisant de l'homme la première des matières premières. Lui appartient enfin l'uniformité résultant de l'abolition des hiérarchies métaphysiques et de l'égalisation de l'animalité et de l'humanité. L'ordre politique correspondant à ce dispositif est le totalitarisme, qu'il s'agisse de sa forme nationaliste (fascisme), socialiste (communisme) ou libérale (américanisme). Contrairement à une idée reçue, Heidegger ne rejette pas la technique de manière réactionnaire, ne la considérant même pas comme dangereuse en elle-même. Le danger tient au mystère de son essence non pensée, empêchant l'homme de revenir à un dévoilement plus originel et d'entendre l'appel d'une vérité beaucoup plus initiale. Si l'âge de la technique apparaît comme la figure achevée de l'oubli de l'être, où la détresse propre à la pensée se manifeste comme absence de détresse dans la sécurisation et l'objectivation inconditionnées de l'étant, il est aussi cet extrême péril à partir duquel est pensable le salut comme possibilité d'un autre commencement une fois la métaphysique achevée. Le dispositif procède en effet d'une mise en demeure de l'homme par l'être, lui révélant qu'il n'est pas le maître de la technique et le renvoyant par là à sa finitude essentielle et à une pensée de l'être en tant que tel. C'est en ce point qu'il est possible de reprendre le sens initial de la techné comme dévoilement produisant le vrai dans l'éclat de son paraître, à savoir le beau. Par là il apparaît que l'essence de la technique n'a rien de technique et que, à l'ère de son déploiement planétaire, il lui serait possible d'appréhender l'art comme un domaine parent. La question de l'essence de la technique permet ainsi d'ouvrir celle de l'œuvre d'art, en se demandant comment une nouvelle forme d'art peut alors devenir possible à l'intérieur même du dispositif.
Jean-Marie Vaysse
Notes bibliographiques
- Heidegger, M., Die Frage nach der Technik (la Question de la technique), Pfullingen, 1954.