Jean Renoir
Cinéaste français (Paris 1894-Beverly Hills, États-Unis, 1979), fils d'Auguste Renoir et frère de Pierre Renoir.
Des premières œuvres à la Règle du jeu
Fils du peintre Auguste Renoir, il est d'abord céramiste avant de s'intéresser au cinéma à partir de 1923. Il débute comme producteur et scénariste de Catherine ou Une vie sans joie (d'Albert Dieudonné, 1924), film au cours duquel il rencontre Catherine Hessling, la vedette du film, qui deviendra sa femme. Mais cette œuvre ne sera projetée publiquement qu'en 1927. Le cinéaste réalise entre-temps son premier film, la Fille de l'eau (1924), que suit Nana (1926, d'après E. Zola). Produit par le metteur en scène, ce dernier film est un désastre financier qui ruine Renoir. Celui-ci exécute alors un travail de commande (Marquitta, 1927), et est l'interprète de la P'tite Lilie (d'Alberto Cavalcanti, 1927) avant de réaliser la Petite Marchande d'allumettes (1928, d'après H. C. Andersen) : la féerie et les trucages de ce film lui confèrent une place originale parmi les autres cinéastes français. Mais c'est un nouvel échec commercial, qui contraint Renoir à tourner deux vaudevilles militaires, Tire-au-flanc (1929) et le Tournoi (1929).
Le Bled (1929), film d'aventures, est aussi une œuvre de commande où le réalisateur rend hommage au cinéma d'action américain. Il tourne ensuite deux films comme comédien et aborde le cinéma parlant avec une adaptation de G. Feydeau, On purge bébé (1931), qui est un succès. La Chienne (1931) est le premier film parlant auquel Renoir imprime réellement sa marque : c'est un hommage au comédien Michel Simon à travers la peinture d'un Français moyen dont la seule évasion, le seul rêve, est précisément la peinture. L'année suivante, la Nuit du carrefour (1932) adapte l'univers étrange et poétique de G. Simenon. Peut-être est-ce le fait que trois bobines en furent égarées qui donne à l'œuvre une tonalité « mystérieuse ». C'est certainement le premier film policier important du cinéma français.
Toujours en 1932, le réalisateur signe Chotard et compagnie et surtout Boudu sauvé des eaux, où il dirige de nouveau M. Simon, dans un rôle de clochard anarchiste. Le cinéaste oppose la liberté du vagabond au confort de la petite bourgeoisie parisienne de l'époque, dans une sorte de désordre lyrique qui surprend : le film est un échec commercial cuisant.
Madame Bovary (1934) en est un aussi. Prenant du recul par rapport au roman et au style de Flaubert, Renoir adapte le livre sous la forme d'une comédie tragique où les personnages sont volontairement utilisés comme des héros de théâtre. Cet antiacadémisme choque les partisans de la fidélité à une œuvre écrite, et Renoir ne doit qu'à l'estime de Marcel Pagnol de pouvoir réaliser Toni (1934).
Tourné dans le midi de la France, « là où la nature détruisant l'esprit de Babel sait si bien opérer la fusion des races », comme il est dit dans le prologue, le film constitue la première œuvre néoréaliste de la production française. Tourné en majorité par des acteurs non professionnels, Toni unit le quotidien à la tragédie dans une atmosphère onirique et ensoleillée.
L'année suivante, Jean Renoir rencontre Jacques Prévert. De la collaboration entre les deux hommes naît le Crime de monsieur Lange (1935), qui amorce un tournant dans l'œuvre du cinéaste où les préoccupations sociales vont désormais occuper une place essentielle. Féerique, le Crime de monsieur Lange doit autant au brio caustique de son dialogue qu'à l'invention poétique de sa mise en scène, spontanée, presque improvisée. C'est un conte philosophique dirigé contre le capitalisme, qui porte la marque du Front populaire.
La vie est à nous (1936), produit pour la propagande électorale du parti communiste, est l'un des premiers films militants français ; il est rempli de documents d'actualités et de discours politiques auxquels se mêlent des scènes jouées. À sa sortie, les spectateurs qui vont le voir ne payent pas leur place, mais s'abonnent en échange au journal Ciné Liberté, spécialement créé pour la circonstance. Curieusement, la véritable carrière commerciale de La vie est à nous ne commencera qu'à la fin de 1969 et sera la conséquence probable des événements de mai 1968.
Après son moyen métrage Une partie de campagne (1936), Renoir adapte Gorki (les Bas-fonds, 1936), puis réalise ce qui demeure aujourd'hui encore son œuvre la plus connue : la Grande Illusion (1937). Ce film illustre, à travers une histoire d'évasions, les souvenirs d'aviateur et de prisonnier de 1914-1918 de J. Renoir ; c'est l'œuvre de Renoir où la psychologie occupe la plus grande place. Le film, boycotté lors de sa sortie, a connu une réédition triomphale.
En 1937, le metteur en scène donne la Marseillaise, que finance une souscription de la C.G.T., et qui ressemble moins à un film à costumes qu'à une sorte de montage d'actualités sur la Révolution française, à laquelle va la sympathie du cinéaste.
Ce dernier adapte en 1938 Zola pour la seconde fois : la Bête humaine est avant tout le portrait d'une femme, de la femme, qui révèle l'actrice Simone Simon. Après cette œuvre naturaliste, Renoir tourne alors son « film maudit », la Règle du jeu (1939). Ce « drame gai » est aujourd'hui reconnu comme le chef-d'œuvre de Renoir. Cette minutieuse description des bourgeois de l'époque est accueillie par des huées avant d'être interdite en septembre 1939 par la censure militaire. Motif : la Règle du jeu est démoralisante. Démoralisante pour la classe visée par le film, parce qu'elle a confusément deviné que, sous les allures de blague entre copains qu'affiche la Règle du jeu, perce une critique acerbe du mode de vie des Français nantis, dans laquelle on peut lire, prémonitoire et fatidique, l'annonce de la défaite de 1940.
Renoir, une fois de plus déçu, part pour l'Italie, où il commence la Tosca (1940), mais l'entrée en guerre de l'Italie l'empêche de filmer plus de cinq plans. Le film sera terminé par Carl Koch. Le cinéaste revient alors à Paris, où il exécute plusieurs travaux pour le Service cinématographique des armées, puis descend dans le Midi. C'est là qu'il reçoit du metteur en scène Robert Florey une lettre l'invitant à se rendre aux États-Unis. Il s'embarque en automne 1940.
La période américaine
À Hollywood, engagé par la Twentieth-Century-Fox, Renoir tourne l'Étang tragique (Swamp Water, 1941). Le réalisateur définira plus tard sa période américaine comme divisée en deux parties : « Quelques essais dans les grands studios et d'autres avec des indépendants. » À Hollywood, le film provoque une (petite) révolution : c'est en effet la première fois qu'un grand studio admet l'idée qu'on puisse tourner des extérieurs en décors naturels et non pas devant des toiles peintes. Jean Renoir réalise ensuite Vivre libre (This Land is Mine, 1943), dans lequel il veut dévoiler aux Américains un visage peu connu de la France occupée. La mise en scène en est plus didactique qu'inspirée, et le film, qui étonne Hollywood, déchaînera l'hostilité à sa sortie en France.
Second film de propagande, Salut à la France (Salute to France, 1944), lui, ne provoque aucune réaction lorsqu'on le projette à Paris. Aucun commentaire, nulle allusion. Le silence. Il est cependant bien accueilli en Amérique. En 1945, Renoir tourne l'Homme du Sud (The Southerner). C'est le film de la liberté retrouvée : le cinéaste le réalise exactement comme il l'entend, dans la bonne humeur et la simplicité de ses films français d'avant guerre. Pour la première fois apparaît chez le cinéaste l'idée de Dieu. La mise en scène est hiératique, d'une austérité « protestante ». Abandonnant les planteurs de coton qui lui ont d'ailleurs valu le prix du meilleur film à la Biennale de Venise 1946, Renoir évoque ensuite les gens de maisons chers à Octave Mirbeau dans le Journal d'une femme de chambre (Diary of a Chambermaid, 1946). C'est une tragédie burlesque, à la fois drôle et atroce, entièrement réalisée en studios, ce qui lui donne un caractère théâtral ridiculisant à merveille les bourgeois, dont l'auteur du roman se moquait à longueur de page. Dernier film américain de Renoir, la Femme sur la plage (The Woman on the Beach, 1946) ressemble à un film noir de Fritz Lang, avec en plus cette chaleur humaine, ce feu qui couve sous les cendres de l'apparence qui sont typiques des films de Renoir, lorsqu'il se sent libre de les tourner selon son cœur.
La pureté, la simplicité, la netteté intransigeante qu'a acquises le réalisateur, on les retrouve dans les couleurs mordorées de l'Inde quand il ramène de ce pays le Fleuve (The River, 1950). Naissance et mort s'y rencontrent en un ballet de symboles métaphysiques et de métaphores limpides qui nous révèlent, chatoyante et déchirée, l'Inde sans folklore.
Le retour dans les studios français
Le folklore, que Renoir déteste, a été évoqué à la sortie du Carrosse d'or 1952, (d'après P. Mérimée). C'est refuser d'en voir la gravité profonde. Le film est un nouvel échec, qui permet à Renoir de mettre en scène au théâtre d'Arles le Jules César de Shakespeare (1954), avant de faire sa rentrée dans les studios français avec French Cancan (1955) qui sera son dernier succès. En effet, ni Orvet, la pièce qu'il écrit et monte en 1955, ni Éléna et les hommes (1956), ni le Testament du docteur Cordelier (1959, son unique essai de fantastique) ne lui ramènent la faveur du public. Le Déjeuner sur l'herbe (1959) et le Caporal épinglé (1962) sont mieux accueillis. Sept ans plus tard, Jean Renoir donne en quelque sorte son testament filmé dans une bande à sketches réalisée pour la télévision : le Petit Théâtre de Jean Renoir (1969) est à la fois une mise en scène et, sur scène, une mise en jeu du cinéaste, qui présente lui-même les sketches pour mieux y réfléchir.
Juvénile comme une première œuvre, ce film en couleurs splendides, insolent et serein comme tout film de Renoir, célèbre les noces du spectacle et de la vie. Y a-t-il un style Renoir ? Il y en a un : on ne le voit pas parce qu'il est en avance et se cache pudiquement derrière sa modeste perfection. Comme chez Stendhal.