Luchino Visconti
Cinéaste et metteur en scène de théâtre italien (Milan 1906-Milan 1976).
Auteur d'Ossessione, film fondateur du néoréalisme, Luchino Visconti concilia avec un bonheur particulier le faste d'un art lyrique et la rigueur du constat social. Esthète raffiné, il s'imposa également comme l'un des grands metteurs en scène de théâtre et d'opéra de son temps.
Réalisme et lyrisme à l'écran
Descendant d'une grande famille milanaise – son père est duc de Modrone –, Luchino Visconti se passionne dans sa jeunesse pour les chevaux. C'est pourtant dans la décoration et le cinéma que le jeune aristocrate, aux idées progressistes par ailleurs malvenues dans l'Italie mussolinienne, décide de faire carrière. Parti en France, il travaille avec Jean Renoir : assistant de ce dernier pour Toni (1935) puis pour les Bas-fonds (1936), il crée les costumes de Partie de campagne (id.), avant que la Seconde Guerre mondiale ne les sépare.
De retour en Italie, Visconti collabore à la revue Cinema et devient sympathisant communiste. En tant que scénariste, il participe à Tosca (1941), film – commencé par Renoir et terminé par Karl Koch (1892-1963) après la déclaration de guerre de l'Italie en 1940 – qui présage de son attirance pour l'opéra. C'est en 1943 qu'il réalise Ossessione, d'après le roman Le facteur sonne toujours deux fois de James Cain. Il donne alors l'impulsion à ce qui va devenir le néoréalisme – courant qui aura une influence majeure sur le cinéma italien et qu'illustreront notamment Rossellini et De Sica. Ossessione, qui montre le quotidien du petit peuple, fait scandale par son non-conformisme : son exploitation est interdite presque partout par les autorités fascistes. Dans la même veine, La terre tremble (1948, d'après le roman de Giovanni Verga, les Malavoglia) et Rocco et ses frères (1960) brosseront le portrait sociologique de l'Italie des pauvres, de ses violences ambiguës et de ses migrations vers l'illusion.
Après-guerre, développant un autre pan de sa sensibilité, Visconti donne au cinéma une magistrale leçon d'esthétique et de raffinement. S'appuyant sur une galerie de figures exemplaires, il pose un regard poétique sur la civilisation et sur les hommes : Bellissima (1951), Senso (1954), le Guépard (1963, d'après Tomasi di Lampedusa), Sandra (1965), l'Étranger (1967, d'après Camus), les Damnés (1969), Mort à Venise (1971, d'après Thomas Mann), le Crépuscule des dieux ou Ludwig (1re version 1973 ; version intégrale 1983), Violence et passion (1974), l'Innocent (1976, d'après D'Annunzio). L'ampleur et la perfection plastique de son art atteignent alors à une magnifique plénitude. Servi par de fastueuses reconstitutions d'époque ainsi que par des acteurs tels que Burt Lancaster, Dirk Bogarde, Alain Delon, Anna Magnani ou Claudia Cardinale, le cinéaste connaît un succès mondial, tant public que critique.
Modernisme et classicisme à la scène
Parallèlement à sa carrière cinématographique, Visconti se consacre à la mise en scène théâtrale. Il monte sa première pièce au théâtre Eliseo de Rome en 1945 : les Parents terribles de Cocteau, que suivent notamment la Cinquième Colonne d'Hemingway, la Machine à écrire de Cocteau, Antigone d'Anouilh et Huis clos de Sartre. Avide d'imposer de nouvelles dramaturgies, il renouvelle le répertoire et, à partir des années 1950, fait connaître les auteurs américains, comme Arthur Miller (la Mort d'un commis voyageur) et Tennessee Williams (la Ménagerie de verre, Un tramway nommé Désir).
Pour autant, son goût ne se limite pas aux textes contemporains. Ainsi, après Comme il vous plaira (1948) de Shakespeare, Visconti met en scène la Locandiera (1952) et l'Imprésario de Smyrne (1957) de Goldoni. Sensible à l'univers réaliste et poétique de Tchekhov, il en revisite l'œuvre avec succès : les Trois Sœurs (1952), Oncle Vania (1955) et la Cerisaie (1965) contribueront à la redécouverte du dramaturge russe en Italie. Enfin, Visconti demeure célèbre pour ses mises en scène d'œuvres lyriques, notamment pour Maria Callas (la Traviata, Scala de Milan, 1955).