Orson Welles
Cinéaste et acteur américain (Kenosha, Wisconsin, 1915-Los Angeles 1985).
Des premières œuvres à Citizen Kane
Orson Welles naît dans une famille d'artistes. Sa mère est pianiste et son père un inventeur farfelu, qui aime surtout voyager aux États-Unis et en Europe avec son fils. Le tuteur du petit Orson, le docteur Bernstein, offre un jour à l'enfant un théâtre de marionnettes, sur lequel il s'initie, dit-on, à la mise en scène. Grâce à lui, le jeune Orson Welles étudie le dessin et la peinture, en arrive même à brosser les décors du théâtre de son école et à illustrer quelques obscurs ouvrages. À la Todd School, où il reste jusqu'à l'âge de quinze ans, il monte et interprète des pièces, notamment un condensé des pièces historiques d'un écrivain qui demeure encore aujourd'hui son préféré, William Shakespeare.
En 1931, il part pour l'Irlande, où il parvient à se faire engager dans un théâtre de Dublin. De retour aux États-Unis, il édite un Shakespeare pour tous et publie des nouvelles dans divers magazines. En 1933, il s'intègre à la troupe de Katharine Cornell, qui lui permettra de conquérir New York après avoir connu les louanges du public et de la critique de Chicago, où il organise un festival d'art dramatique. Parallèlement, il entre à la radio en 1934, où il collabore aux émissions les plus diverses et apporte son soutien à Roosevelt. Avec le producteur John Houseman, il crée le « Mercury Theatre », qu'il subventionne avec l'aide du gouvernement. Il y monte des pièces sociales, classiques et d'avant-garde. En octobre 1938, son adaptation radiophonique (très libre) de la Guerre des mondes de H. G. Wells sème la panique en Amérique et instantanément le fait connaître.
Sans abandonner le théâtre ni la radio, Orson Welles signe en août 1939 un contrat avec la compagnie cinématographique RKO, qui lui assure la réalisation d'au moins un film par an, une liberté totale et des conditions financières exceptionnelles. Ses deux premiers projets échouent, puis il tourne Citizen Kane durant l'été de 1940, et ce malgré l'opposition de W. R. Hearst, le célèbre magnat de la presse, dont il s'est manifestement inspiré pour son film. Bien accueilli par la presse, Citizen Kane est un désastre financier. Les ennuis et la légende d'Orson Welles, l'enfant terrible d'Hollywood, commencent. Welles revient à la radio pour quelques mois, en songeant sans cesse à prendre sa revanche sur un public et une industrie qui ne lui pardonnent pas d'avoir été le premier à remettre en question le principe selon lequel le style, au cinéma, doit passer inaperçu et s'effacer devant l'histoire. Par sa mise en scène révolutionnaire, l'audace de son montage et la complexité de ses mouvements d'appareil, Citizen Kane a, en effet, beaucoup dérouté les professionnels conservateurs d'Hollywood.
Un géant du 7e art
Bien décidé à continuer à faire de la « forme » la matière même de ses films à venir, Orson Welles dépense son extraordinaire énergie à préparer la Splendeur des Amberson (The Magnificent Ambersons), qu'il tourne en 1942. Nouvel échec commercial. Welles entreprend un film mineur, Voyage au pays de la peur (Journey into Fear, 1942), que termine, en le signant, Norman Foster. En 1946, il produit, interprète et dirige à Broadway le Tour du monde en 80 jours, d'après J. Verne, spectacle total et cinématographique qui remporte un grand succès. Pour oublier ses échecs publics comme cinéaste, il paraît dans des films tournés par d'autres (Jane Eyre, de R. Stevenson, 1944) et apporte bientôt à chacun de ses personnages une force, une originalité, une ambiguïté que les scénaristes, souvent, ne soupçonnaient pas en écrivant les rôles. Le Criminel (The Stranger), qu'il met en scène en 1946 sur un scénario de John Huston, est un film raté, d'ailleurs renié par lui. Ayant besoin de 50 000 dollars pour monter un spectacle entrepris avec Mike Todd, Welles les emprunte à un producteur de la Columbia et s'engage à faire pour ce prix un film pour cette compagnie. C'est la Dame de Shangai (The Lady from Shanghai, 1947), un « thriller » flamboyant dans lequel Rita Hayworth, qu'Orson Welles a épousée, trouve le rôle le plus insolite de sa carrière. Carrière qui se brise net à cause du film.
Après un Macbeth tourné sans moyens (1947), Welles vient jouer à Paris, réalise une série d'émissions de radio en Angleterre (en 1950 et en 1952) et tourne à la télévision américaine une adaptation du Roi Lear dirigée par Peter Brook. Célèbre comme comédien grâce au Troisième Homme (de Carol Reed, 1948) et à la Rose noire (d'Henry Hathaway, 1950), celui qu'on appelle non sans justesse le « père du cinéma moderne » doit attendre de longs mois avant de tourner en Italie et au Maroc un Othello superbe (1952), qui ne remporte pas plus de succès que ses œuvres précédentes. Toujours d'une activité débordante – émissions de télévision aux États-Unis et en Angleterre, films en France (pour Sacha Guitry notamment) ou en Amérique (Moby Dick, de J. Huston, 1956, qu'il a joué l'année d'avant sur une scène londonienne), romans (une Grosse Légume, 1953 ; Mr. Arkadin, 1954, dont il tire un film en 1955) –, il ne pense qu'à mettre en scène des films où la démesure, le mépris des normes et des genres rétabliraient enfin la seule notion qui lui tienne à cœur : la notion d'auteur total, mégalomane et tout-puissant.
Un génie tardivement reconnu qui ne bénéficiera pas de tous les moyens de son expression
Après avoir entrepris un film policier de commande, la Soif du mal (The Touch of Evil, 1958), dont il fait un grandiose opéra de série noire, Welles passe les quatre années suivantes dans un certain nombre de films qu'il ne réalise pas lui-même (le Génie du mal, de R. Fleischer, 1959, pour ne citer que le meilleur), puis reçoit une proposition qui l'enchante : tourner le Procès (The Trial) de Kafka en Yougoslavie avec une distribution internationale. L'accueil de la critique à la sortie du film en 1962 est plus tiède que celui du public, qui reconnaît enfin en Orson Welles un des seuls authentiques génies du septième art, comme le furent avant lui un Stroheim ou un Murnau.
D'innombrables figurations dans des films plus ou moins bons suivent, et puis Welles réalise, sans moyens, en Espagne, Falstaff (Chimes at Midnight, 1965), dont on loue au festival de Cannes les très grandes qualités. Mais sa suprématie reconnue ne lui donne pas pour autant les capitaux nécessaires à la réalisation de ses multiples projets. C'est pour l'O.R.T.F. qu'il tourne en 1967 un moyen métrage, une Histoire immortelle, où il prouve en cinquante minutes admirables qu'il n'a rien perdu de sa science du montage, de son goût pour le cadrage insolite et de sa force créatrice. Pour la première fois, il s'attaque à la couleur : la réussite est totale. Depuis, Welles a réalisé en collaboration avec F. Reichenbach un documentaire (de fiction) sur les faussaires intitulé Vérités et mensonges (Fakes) [1972-1974]), qui est une véritable leçon de montage.
Le film qu'il tourne en 1972-1973 à Hollywood et en Espagne, The Other Side of the Wind, ressemble fort à un testament spirituel. Il raconte en effet la mort d'Hollywood vue par un cinéaste qui y est revenu une dernière fois, après en avoir été inlassablement rejeté.
Le drame de la carrière d'Orson Welles, l'inaction forcée, le contraint à tourner chacun de ses films comme s'il réalisait son tout premier. Ses meilleures réussites, curieusement, appartiennent à un genre littéraire ou « hollywoodien » défini, cela quoi qu'il en ait : le « thriller » ou la saga familiale (la Splendeur des Amberson). Le cinéma est pour lui synonyme de « respiration », de raison de vivre et d'espérer. Excessif, infatigable, aussi peu conventionnel que possible, Orson Welles a poursuivi dans sa tête et dans ses trop rares films une œuvre de géant, à laquelle le cinéma doit beaucoup et devra toujours.