Fritz Lang
Cinéaste américain d'origine autrichienne (Vienne 1890-Hollywood 1976).
1. La période allemande
Après avoir suivi des études d'architecture et de peinture à Vienne, Fritz Lang sert pendant la Première Guerre mondiale dans les rangs de l'armée autrichienne, où il est blessé. Une fois guéri, il se fait remarquer par le producteur Erich Pommer (1889-1966), qui l'engage en 1916 comme scénariste (en compagnie de la romancière Thea von Harbou [1888-1954], qui va peu de temps après devenir sa femme). Il fait ses premières armes dans les serials, ces films à épisodes qui content les diverses aventures d'un même personnage. Le genre est fort en vogue à l'époque et Lang gardera toujours un vif penchant pour cet exercice.
Scénariste d'Otto Rippert et de Joe May, il signe en 1919 sa première mise en scène, Halb-Blut, et manque de tourner le célèbre Cabinet du docteur Caligari qu'Erich Pommer confie en toute dernière heure à Robert Wiene. Après avoir sacrifié au cinéma d'aventures populaires avec les Araignées (Die Spinnen, 1919-1920, en deux épisodes : Das Brillantenschiff et Der goldene See), Fritz Lang, quoiqu'il s'en est défendu par la suite, est l'un des plus talentueux représentants du mouvement expressionniste avec les Trois Lumières (Der müde Tod, 1921), le Docteur Mabuse (Doktor Mabuse der Spieler, 1921-1922, en deux épisodes : Der grosse Spieler et Inferno), Die Nibelungen (1923-1924, en deux parties : la Mort de Siegfried [Siegfrieds Tod] et la Vengeance de Kriemhilde [Kriemhilds Rache]) et surtout Metropolis (1925). Mais, loin de s'en tenir à un pur décorativisme tourmenté, le réalisateur, avec beaucoup de subtilité, insère dans la géométrie des formes une puissante dynamique de l'action. Cette dramaturgie est en quelque sorte à la fois le perfectionnement et la critique de l'expressionnisme.
Lang construit alors, film après film, le grand thème de son œuvre, qui sera le « combat de l'individu contre les circonstances, le combat contre les dieux, le combat de Prométhée ». Après les Espions (Spione, 1927) et la Femme sur la Lune (Frau im Mond, 1928), il parachève son brillant début de carrière par un chef-d'œuvre, M le Maudit (M, 1931), dont le scénario s'appuit sur un fait divers survenu en 1929 (l'histoire de Peter Kürten, tueur en série surnommé « le Vampire de Düsseldorf »).
Mais lorsque Hitler prend le pouvoir en 1933, un metteur en scène comme Lang devient suspect. Pour mieux le neutraliser (le cinéaste vient de tourner le Testament du Dr Mabuse [Das Testament des Dr. Mabuse, 1932]), Goebbels – ministre de la Propagande et de l'Information du IIIe Reich – lui propose comme cadeau empoisonné de prendre la direction générale du cinéma allemand. Lang, pour toute réponse, préfère s'expatrier, en France d'abord (où il tourne Liliom [1933]), puis aux États-Unis, où il poursuit sa carrière avec bonheur.
2. La période américaine
Hanté par la notion de culpabilité et de justice, Fritz Lang débute à Hollywood par deux films remarquables : Furie (Fury, 1936) et J'ai le droit de vivre (You only live once, 1937). Si ses œuvres ultérieures paraissent se plier davantage aux règles hollywoodiennes (Casier judiciaire [You and me, 1938] ; le Retour de Frank James [The Return of Frank James, 1940] ; les Pionniers de la Western Union [Western Union, 1941] ; Chasse à l'homme [Man Hunt, 1941] ; Les bourreaux meurent aussi [Hangmen also die, 1943] ; Espions sur la Tamise [The Ministry of Fear, 1944] ; la Femme au portrait [The Woman in the Window, 1944] ; la Rue rouge [Scarlet Street, 1945] ; Cape et poignard [Cloak and Dagger, 1946] ; le Secret derrière la porte [Secret beyond the Door, 1948] ; House by the River [1950] ; l'Ange des maudits [Rancho Notorious, 1951] ; Le démon s'éveille la nuit [Clash by Night, 1952] ; la Femme au gardénia [The Blue Gardenia, 1953] ; Règlement de comptes [The Big Heat, 1953] ; Désirs humains [Human Desire, 1954] ; les Contrebandiers de Moonfleet [Moonfleet, 1955] ; la Cinquième Victime [While the City sleeps, 1956] ; l'Invraisemblable Vérité [Beyond a Reasonable Doubt, 1956]), Lang n'abdique cependant jamais devant les impératifs commerciaux. Il sait ainsi préserver jusqu'au bout sa maîtrise technique et ses thèmes de prédilection, qui sont principalement la vengeance, la corruption, la soif de puissance et la quête de la justice.
De retour en Allemagne en 1958, il rend hommage aux serials (le Tigre du Bengale [Der Tiger von Eschnapur], le Tombeau hindou [Das indische Grabmal]) et consacre son ultime film au personnage de Mabuse (le Diabolique Docteur Mabuse [Die Tausend Augen des Dr. Mabuse, 1960]). Il n'abandonne cependant pas complètement le cinéma, puisqu'on le voit, en 1963, dans le Mépris de Jean-Luc Godard, interpréter le rôle d'un « célèbre metteur en scène de l'écran ».
3. Une œuvre sous le signe de la fatalité
Il n'y a pas, comme certains l'ont prétendu, de véritable cassure dans la filmographie de Fritz Lang. Si l'on excepte certaines haltes romantiques (les Contrebandiers de Moonfleet, par exemple), toute son œuvre (dans sa période allemande ou dans sa période américaine) est un vaste itinéraire placé sous le signe de la fatalité.
Fasciné par la puissance (d'où l'attrait qu'exercent sur lui les sociétés secrètes parallèles ou les organisations plus ou moins criminelles), l'homme « langien » subit aussi la loi du plus fort (thème du lynchage dans Furie, de l'intolérance sociale dans J'ai le droit de vivre), porte en lui une trouble culpabilité et en appelle à un équilibre critique (tout aussi bien social que psychologique). « Tout se joue et se noue chez Lang au cœur d'un univers hautement moral, analyse François Truffaut. Certes la morale conventionnelle n'y a aucune part et les forces en tant que telles (police armée) y sont toujours montrées basses, défaillantes et lâches… Les héros de Lang sont en fait à côté de la société… Seul l'être d'exception préoccupe Lang, une exception qui par pudeur sut parfois revêtir l'humble apparence d'une entraîneuse, d'une espionne, d'un flic ou d'un fruste cow-boy ».