science-fiction
Genre littéraire et cinématographique qui invente des mondes, des sociétés et des êtres situés dans des espaces-temps fictifs (souvent futurs), impliquant des sciences, des technologies et des situations radicalement différentes.
CINÉMA
Le merveilleux à l'écran
Le cinéma de science-fiction, qu'on appela naguère « cinéma d'anticipation », est un avatar du cinéma fantastique dont la caractéristique la plus commune est en effet d'anticiper sur un avenir possible en traitant de sujets tels que les voyages intersidéraux, les explorations de planètes, les invasions d'extraterrestres, les conflits intergalactiques, les triomphes de la machine sur l'homme. Si le mode narratif des films se réclamant de la science-fiction peut être varié, allant de l'utopie à la politique-fiction en passant par le space opera, le but recherché est en principe le même : réaliser par des effets spéciaux toujours renouvelés le merveilleux à l'écran.
La science-fiction des précurseurs
Au regard des critères précédents, on peut considérer que le premier film de science-fiction est le Voyage dans la Lune, tourné en 1902 par G. Méliès. Dans les années 1920, l'expressionnisme allemand fournit au genre ses premières œuvres majeures : Metropolis (1927) et la Femme sur la Lune (1928), l'un et l'autre de F. Lang.
Aux États-Unis, dès les débuts du parlant, s'ajouta à cette influence venue d'Europe celle de la bande dessinée populaire (en 1936 : Dick Tracy, de Ray Taylor et Alan James, et Flash Gordon, de Frederick Stephani).
La machine hollywoodienne
C'est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, puis avec la guerre froide, que la science-fiction explosa dans l'industrie cinématographique hollywoodienne, en jouant sur plusieurs registres : le mystère de l'espace (le Jour où la Terre s'arrêta, R. Wise, 1951 ; la Guerre des mondes, Byron Haskin, 1953) ; le mythe des ovnis (le Météore de la nuit, Jack Arnold, 1953) ; l'apocalypse nucléaire (le Dernier Rivage, Stanley Kramer, 1959 ; la Planète des singes, Franklin J. Schaffner, 1967).
Avec de nouvelles exigences de qualité, le cinéaste qui a fait accomplir à la science-fiction un bond en avant décisif est S. Kubrick, avec 2001 : l'Odyssée de l'espace (1968), qui combine les ressources de la science, de la métaphysique et de la poésie, et Orange mécanique (1971), qui décrit sur le mode satirique le prototype d'une société livrée à la violence urbaine et au pouvoir technologique.
Avec le développement des images de synthèse, les cinéastes qui ont le plus renouvelé l'imaginaire cinématographique sont G. Lucas, avec sa saga de la Guerre des étoiles (1977-2005), et S. Spielberg, avec des films cultes comme Rencontres du troisième type (1977), E.T. (1982), Jurassic Park (1993 et 1997), A.I. Intelligence artificielle (2001) et Minority Report (2002).
Parmi une production florissante se détachent des films qui déclinent sur une gamme variée le thème du futur : ceux de Richard Fleischer (Soleil vert, 1973), John Boorman (Zardoz, 1973), R. Scott (Alien, le 8e passager, 1979 ; Blade Runner, 1982), Steven Lisberger (Tron, 1982), D. Lynch (Dune, 1984), J. Cameron (Terminator, 1984 et 1991), Robert Zemeckis (Retour vers le futur, 1985), Tim Burton (Batman, 1989), Paul Verhoeven (Total Recall, 1990), Terry Gilliam (l'Armée des douze singes, 1995), Roland Emmerich (Independance Day, 1996), Andrew Niccol (Bienvenue à Gattaca, 1999), Andy et Larry Wachowski (Matrix, 1999), Bryan Singer (X-Men, 2000 et 2003).
Les autres cinémas
En France, le genre a donné lieu à des tentatives intéressantes, avec des auteurs comme J.-L. Godard (Alphaville, 1965), F. Truffaut (Fahrenheit 451, 1966), R. Vadim (Barbarella, 1968) et L. Besson (le Cinquième Élément, 1997).
Dans l'ex-URSS, A. Tarkovski a réalisé l'ambitieux Solaris (1972). La trilogie du Néo-Zélandais Peter Jackson, le Seigneur des anneaux (2001-2003), peut être rattachée à ce style de films.
Enfin, la science-fiction inspire une quantité considérable de téléfilms. Star Trek (1966-1969), les Envahisseurs (1967-1968), V : les visiteurs (1983-1985), X-files (1993-2002) et Stargate SG 1 (depuis 1997) comptent parmi les séries les plus célèbres.
LITTERATURE
Après avoir construit des utopies, imaginé des voyages interplanétaires, les écrivains, forts des avancées scientifiques du xixe et du xxe s., ont voulu, à partir des données en leur possession, conquérir le temps futur, qu'ils le voient radieux ou semé de guerres et de catastrophes, livré au chaos : autant de romans, de nouvelles, autant de réponses et de possibles.
Origine du mot
À mesure que le genre se développe, on lui cherche un nom. Les frères Rosny, qui, à la fin du xixe s., se sont fait une spécialité du roman d'anticipation, parlent de « roman scientifique », l'Anglais Herbert George Wells de scientific romance ; l'éditeur de magazines scientifiques américain Hugo Gernsback lance, en 1924, le terme de « scientifiction » et enfin, en 1929, celui de « science-fiction ». Le terme recouvrira, notamment aux États-Unis, un mouvement, une culture à part, avec ses magazines, ses solidarités d'auteurs et de lecteurs, ses conventions et ses anthologies, qui n'accédera que bien plus tard au rang de genre littéraire.
Les précurseurs du genre
Depuis longtemps les écrivains rêvent d'un ailleurs, l'écrivent et le décrivent. L'ailleurs peut être un pays imaginaire, une utopie, une planète. Lucien de Samosate, auteur grec du iie s., raconte la fable d'un voyage sur la Lune (l'Histoire vraie, dont le titre annonce, à son niveau, le terme de science-fiction), et Cyrano de Bergerac, dans son Histoire comique des États et Empires de la Lune (1657), s'envole sur cet astre pour y rencontrer toutes sortes de personnages et de situations imaginaires. Ce type de voyage est alors ce qui permet la critique féroce des choses présentes, de l'actualité politique, religieuse et philosophique. Entre conte et prophétie naissent le voyage imaginaire et le roman d'anticipation auxquels s'arrimera le genre de la science-fiction.
Les utopies
L'île d'Utopia de Thomas More, l'abbaye de Thélème de Rabelais, ou l'Eldorado de Voltaire décrivent souvent avec bienveillance un monde idéal qui n'est nulle part et où rien ne se passe puisque tout y est parfaitement réglé. Comme la Cité du Soleil (1602-1611), de Tommaso Campanella, ces récits ne s'appuient sur aucun mouvement temporel, puisque le temps y est fixe : il s'agit ici de mettre en scène le bien idéal ou le mal absolu tout en visant les travers du monde réel. Cependant, les auteurs des xviie et xviiie s., et en particulier Voltaire, dans Micromégas (1752), font intervenir dans leurs contes des voyageurs capables d'aller dans les étoiles ou des extraterrestres au regard critique. L'humour et la satire ont leur part, et l'ensemble de ces œuvres constitue surtout une arme contre la société du temps ; l'objectif est politique ou philosophique.
L'anticipation
C'est en 1770 que le genre s'établit, avec l'An 2440 ou Rêve s'il en fut jamais. L'anticipation est née : Louis Sébastien Mercier imagine en effet que, dans un rêve, le narrateur est transporté au xxve s. et qu'il y voit les progrès accomplis par les hommes, après le renversement, sans violence, de la monarchie. Paris est bouleversé, et Versailles en ruine ; plus de tyrannie, un bonheur pour tous, et surtout l'idée qu'un futur radieux est possible compte tenu des apports philosophiques et techniques propres au siècle des Lumières. Par l'anticipation, le futur devient le révélateur des tendances profondes du présent et de l'engagement de l'écrivain.
Le savant fou
La conscience d'une avancée philosophique et scientifique se mue bientôt en crainte, sous l'influence du roman noir venu d'outre-Manche. Si le savant peut être utile à la cité, il est aussi parfois dangereux, sinon nuisible, car à trop vouloir maîtriser la connaissance on en vient à affronter le création divine : Frankenstein, savant fou du roman de Mary Shelley (1818), donne la vie, à l'instar de Dieu, mais sa création lui échappe au point qu'il produit le malheur de tous. Le progrès a donc ses limites, ce que l'anticipation se charge de démontrer dans les romans. Suit alors la longue tradition du savant fou et dépassé par ses œuvres, qu'on retrouve chez Edgar Poe – « la Vérité sur l'étrange cas de M. Valdemar » (Histoires extraordinaires, 1840) –, chez Villiers de L'Isle-Adam (l'Ève future, 1846) ou H.G. Wells (l'Île du Docteur Moreau, 1896 ; l'Homme invisible, 1897).
L'homme dupliqué
Les robots
Si l'homme est capable de construire de ses propres mains une autre humanité, qui ensuite lui échappe, il se révèle aussi capable de construire des machines, sur lesquelles il semble avoir plus de prise. Ainsi naît le robot (« travail pénible [et forcé] », en tchèque), machine asservie à celui qui l'a créée. Isaac Asimov (les Robots, 1950) assigne aux machines trois lois fondamentales, dont la majeure consiste à ne jamais mettre l'homme en danger, les incartades des machines restant seulement logiques. Cependant, les robots romanesques, répliques trop parfaites de l'homme, en viennent à s'émanciper. Ceux du Polonais Stanislas Lem (Mémoires d'Ijon Tichy, 1977) et les ordinateurs fous d'Arthur C. Clarke (2001 : l'Odyssée de l'espace, 1968) et de Dean R. Koontz (la Semence du démon, 1973) s'affranchissent au point qu'ils mettent l'homme en danger ou qu'ils le détruisent : l'homme peut avoir peur de ses propres créations comme, dans la réalité, il a bien des raisons de craindre ses inventions.
Les mutants
Ainsi de l'homme et de son double passe-t-on à l'homme modifié, au surhomme et au mutant. Les auteurs de science-fiction créent un héros en marge, un incompris que les hommes pourchassent parce qu'il est différent, ou parce qu'il menace leur pouvoir (Alfred E. Van Vogt : À la poursuite des Slans, 1946 ; Theodore Sturgeon : les Plus qu'humains, 1953). Comme avec les robots, mais avec plus de danger encore, l'homme doit se battre contre un autre lui-même, qui peut symboliser ses tendances les plus violentes, mais aussi parfois les meilleures. Les mutants ou les surhommes apparaissent enfin dans l'heroic fantasy, à la fois marqués par un passé archaïque (cycle de Conan, de Robert Erwin Howard) et par un futur lointain, capables de tout, même d'être immortels et de s'affronter les uns aux autres en de grandes batailles cosmiques (Roger Zelazny : Toi l'immortel, 1965 ; Seigneurs de lumière, 1967 ; les Neuf Princes d'Ambre, 1970). La magie et le mystère remplacent la science comme moteurs de l'aventure, et la science-fiction se fait récit mythologique, épopée poétique où les montagnes sont lancées comme autant d'armes, où les planètes vibrent sous la pression des héros, où l'Univers entier est un champ de bataille pour les sept grandes figures d'un tarot homérique.
Les paradoxes du temps
Si les écrivains de science-fiction inventent de nouveaux personnages, des robots ou des surhommes, ils jouent aussi, fondamentalement, sur la question du temps, puisqu'il est ici question de futur : H.G. Wells, dans la Machine à explorer le temps (1895), permet aux hommes de connaître le passé extrême et le futur le plus lointain ; mais, ici encore, l'écrivain doit limiter les pouvoirs qu'il se donne et poser la question de son intervention, qu'elle concerne les périodes reculées de son histoire ou l'avenir de la Terre, si effrayant soit-il.
Influer sur le cours de l'histoire
À supposer qu'on puisse voyager dans le temps, que doit-on y faire ? Doit-on en modifier les données historiques ou ne rien changer ? Et dans ce cas, comment faire ? Le voyage dans le temps fait de son paradoxe (Barjavel : le Voyageur imprudent, 1944 ; Fredric Brown : Paradoxe perdu, 1973) le ressort essentiel des récits, puis des films. En allant aux sources de l'histoire de l'humanité, le moindre pas peut briser l'évolution d'une espèce et changer la chaîne écologique, et, au retour, les voyageurs ne retrouvent pas la réalité telle qu'ils l'avaient quittée. En connaissant le déroulement de l'Histoire, n'est-on pas tenté de supprimer certaines horreurs du passé, mais, dès lors, vers quoi revient-on ? En allant dans le futur, se rencontre-t-on soi-même ? Que voit-on de son propre futur ? Que dit-on à ses descendants ? Et, lors du retour, que fait-on du soi-même qu'on a quitté ? La science elle-même – en supposant que l'on puisse dépasser la vitesse de la lumière, le voyage dans l'espace lointain est aussi un voyage dans le temps – permet d'imaginer qu'un homme qui se déplace dans l'espace vieillit moins vite que ceux qu'il laisse sur sa planète : le voyageur les retrouvera donc plus vieux, ou morts, à son retour.
Les mondes parallèles
Dès lors, réalités relatives, croisements et rencontres folles mettent en question l'homme, une fois de plus. Par le jeu sur les Univers parallèles, la science-fiction approfondit la question essentielle de la relation entre les modes de réel : dans l'Univers en folie (1949), Fredric Brown laisse son héros naviguer entre les mondes et les réalités au point qu'il en vient à se perdre, à ne plus savoir lui-même où il se trouve.
C'est ainsi qu'en jouant sur le temps la science-fiction réactualise un genre ancien, l'« uchronie » : il s'agit d'imaginer que ce qui s'est passé dans l'histoire est l'une des éventualités du temps et que d'autres, parallèles, ont eu lieu. Philip K. Dick (le Maître du haut château, 1962) imagine que les nazis ont gagné la Seconde Guerre mondiale en 1947 ; suivant une démarche analogue, Ward Moore (Autant en emporte le temps, 1953) décrivait une Amérique où les sudistes auraient remporté la guerre de Sécession.
Se servir du futur pour analyser le présent
Récit prenant souvent place dans le futur, mais en général narré au passé, la science-fiction repose avant tout sur une supposition : il s'agit de faire varier dans le temps futur l'un des éléments qui composent le temps présent de l'écrivain et du lecteur. C'est pourquoi les romans de science-fiction prennent leurs racines dans la réalité présente pour la transposer dans le futur. On peut, par exemple, imaginer qu'une découverte (la possibilité des voyages interplanétaires, la pratique de la communication non verbale...), l'arrivée inopinée sur terre d'un individu (Superman), ou d'un peuple venu de l'espace (les Martiens), modifient les conditions de vie des hommes à tel point que l'ensemble de l'univers est bouleversé. Élément nouveau qui pousse à réfléchir sur ce que le monde était avant, sur les comportements des lecteurs du livre, sur leurs activités quotidiennes, leur morale et leur politique. Ainsi, H.G. Wells revendique clairement dans la Guerre des mondes (1897) la place de son texte dans la critique des conflits coloniaux menés, à l'époque, par le Royaume-Uni. Anagramme de sa date de rédaction (1948), 1984, de George Orwell, dénonce les tendances profondes de la société et de la politique d'alors, le danger totalitaire. Fahrenheit 451, de Ray Bradbury, est à la fois une interrogation sur une société future où les livres seraient interdits ou brûlés et la mise en scène d'une réflexion sur les années d'intolérance – de nazisme et de maccarthysme – qui marquent encore les lecteurs de 1951, tandis que ceux de toujours peuvent trouver dans le Meilleur des mondes (1932), d'Aldous Huxley, une sorte de documentaire philosophique sur les années 1930.
Les visions pessimistes
Loin de se limiter à un optimisme béat, la science-fiction trouve dans le futur les conséquences des terreurs présentes. Les écrivains soviétiques des années 1940-1950 cèdent ainsi souvent au rêve d'une révolution triomphante et d'un monde nouveau sur Terre et dans les étoiles ; mais le genre a ceci de précieux qu'il rassure le pouvoir et en permet aussi la critique voilée. Tout ne va donc pas d'un bloc. Jules Verne lui-même, dont on dit souvent qu'il est l'apôtre du progrès (De la Terre à la Lune, 1865), plaçait en regard des conquêtes technologiques la face sombre du capitaine Nemo (Vingt Mille Lieues sous les mers, 1870 ; l'Île mystérieuse, 1874), paranoïaque notoire utilisant la technologie pour nourrir sa folie destructrice. Les héros de Jules Verne sont aussi ceux qui mettent le monde en danger par les excès de la science.
Un monde sans amour
Dans ces conditions, et avec ces contraintes thématiques, comment ce genre parlerait-il d'amour ? Le sentiment, en effet, n'est pas sa matière forte, et quand l'amour paraît, c'est pour en consigner la brutalité, la monstruosité (Philip José Farmer : les Amants étrangers, 1952) ou l'impossibilité (Richard Matheson : la Jeune Fille, la Mort et le Temps, 1975).
L'homme autodestructeur
Le regard sur le futur laisse imaginer un monde dur, archaïque, violent et sauvage, soumis à des guerres spectaculaires (Isaac Asimov avec sa série Fondation, commencée en 1942 ; Frank Herbert : Dune, 1965). La conscience profonde des écrivains, acquise dès l'explosion de la première bombe atomique en 1945, que l'homme peut détruire sa propre espèce et sa planète se transcrit immédiatement en récits. Les romans postatomiques se multiplient (R. Matheson : Je suis une légende, 1954 ; Stefan Wul : Niourk, 1957 ; John Brunner : le Troupeau aveugle, 1972) et l'homme va parfois jusqu'à s'effacer ou disparaître après la grande déflagration (S. Wul : Oms en série, 1957 ; Pierre Boulle : la Planète des singes, 1963 ; Clifford D. Simak : Demain les chiens, 1952).
Les civilisations sont mortelles, et le genre l'illustre clairement (Arthur C. Clarke : l'Étoile, 1958). L'image la plus saisissante est peut-être celle donnée par Ray Bradbury dans les Chroniques martiennes (1950), où les quelques hommes qui réussissent à s'installer sur Mars voient exploser la Terre.