Charles Alexis Henri Clérel de Tocqueville
Homme politique et historien français (Paris 1805-Cannes 1859).
Aristocrate d'esprit libéral, Alexis de Tocqueville est l'auteur d'un ouvrage phare de la pensée politique, De la démocratie en Amérique. Témoin et acteur de trente ans d'histoire de France, de la monarchie de Juillet au second Empire, il fut le contempteur du régime de Napoléon III.
1. Le penseur politique
Troisième fils d'un aristocrate qui sera préfet de Charles X, Alexis de Tocqueville est aussi l'arrière-petit-fils de Lamoignon de Malesherbes, l'un des avocats de Louis XVI.
Élevé dans le culte de la monarchie et le respect de la religion, il se cultive en lisant les grands auteurs, avec une prédilection pour Pascal et pour les philosophes du siècle des Lumières. Après sa licence en droit (1826), il devient juge auditeur au tribunal de Versailles. Mais son objectif est déjà de faire une carrière politique.
Gagné aux idées libérales, Tocqueville n'a pourtant que réticences envers la monarchie de Juillet issue de la révolution de 1830 (→ journées de juillet 1830) : « Le vrai cauchemar de notre époque, c'est de n'apercevoir devant soi ni à aimer ni à haïr, mais seulement à mépriser » écrit-il dans ses Souvenirs.
Lié par sa famille à la maison de Bourbon, il pressent des relations difficiles avec le nouveau souverain, Louis-Philippe Ier, descendant de la famille d'Orléans. Il préfère alors partir en mission. En compagnie de son ami et alter ego, le comte Gustave de Beaumont (1802-1866), il arrive aux États-Unis en vue d'y étudier le système carcéral. Mais il est également curieux d'observer le fonctionnement des institutions américaines afin de mieux appréhender les évolutions de la vie politique française.
Les deux hommes passent neuf mois aux États-Unis durant les années 1831 et 1832. À leur retour, ils publient Du système pénitentiaire aux États-Unis et de son application en France (1833). Mais, surtout, Tocqueville, rassemblant les réflexions que lui a inspirées son séjour, se lance dans la rédaction de son œuvre maîtresse, De la démocratie en Amérique, dont deux volumes paraissent en 1835, puis deux autres en 1840. Fêté comme un second Montesquieu, dont il revendique la filiation, il est élu à l'Académie des sciences morales et politiques en 1838, puis à l'Académie française en 1841.
2. L'homme politique
En 1839, Tocqueville a fait son entrée à la Chambre des députés, où il siège au centre gauche. Il est l'élu de la circonscription de Valognes, dans la Manche, qu'il représentera jusqu'en 1851, sous les régimes successifs de la monarchie de Juillet et de la IIe République. Pendant trois ans (1849-1852), il présidera aussi le conseil général du département. Très implanté localement, il déplore en revanche de ne pas trouver sa place sur l'échiquier politique national, car il s'oppose autant à Thiers qu'à Guizot.
Républicain de raison au lendemain de la chute de Louis-Philippe, parce que la république telle qu'il la conçoit est le régime qui garantit le mieux les libertés publiques, Tocqueville est élu au suffrage universel (masculin) à l'Assemblée constituante de 1848 (→ assemblées politiques en France). Durant les journées insurrectionnelles de juin, il se range hardiment parmi les défenseurs de la IIe République à peine née et, lors de l'élection présidentielle de décembre, il soutient la candidature du général Cavaignac, qui a dirigé la répression. Il s'affiche ainsi dans le camp opposé à Louis Napoléon Bonaparte, qui remporte l'élection.
Réélu à l'Assemblée législative de 1849, Tocqueville est appelé au portefeuille des Affaires étrangères le 3 juin 1849. Il s'efforce avant tout de préserver l'équilibre européen et d'éviter l'intervention des puissances étrangères dans les affaires intérieures françaises, tout en supervisant l'expédition de Rome déclenchée pour venir en aide au pape Pie IX après la proclamation de la république italienne par Garibaldi. Il ne parvient qu'à mécontenter le prince-président, qui hâte la chute du cabinet auquel il appartient.
Tocqueville fait partie des députés qui s'élèvent contre le coup d'État du 2 décembre 1851. Brièvement incarcéré, il est ensuite privé de ses mandats électoraux. Retiré dans le château familial de Tocqueville, il reprend ses travaux d'historien, qui donneront lieu à un autre ouvrage majeur, l'Ancien Régime et la Révolution, où il analyse les raisons pour lesquelles les révolutions se succèdent en France depuis près de soixante ans. Le premier volume paraît en 1856, mais Tocqueville meurt avant d'avoir achevé le second. Brillant mémorialiste (Souvenirs, posthume), laissant des jugements tranchés tant sur les hommes que sur les événements, il aura également été un épistolier aussi prolixe qu'édifiant. Ses œuvres complètes, publiées par Gustave de Beaumont de 1860 à 1865, comportent notamment : Histoire philosophique du règne de Louis XV (1846) et Coup d'œil sur le règne de Louis XVI (1850). Sa pensée ne sera vraiment remise en honneur qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
3. Portrait d'un aristocrate engagé
Tocqueville était un aristocrate de naissance qui rêvait pour son pays d'un régime présidentiel à l'américaine. « Je n'ai point de parti, je n'ai point de cause, si ce n'est celle de la liberté et de la dignité humaine » affirmait-il dans une lettre en 1850. Il transposa cet idéal dans des combats nouveaux pour l'époque. À peine élu député, il fit sensation en dénonçant le fléau de l'esclavage et en réclamant son abolition dans les colonies françaises. En toute occasion, il prit fait et cause pour les libertés du culte, de l'enseignement et de la presse. Conscient également des méfaits de l'exode rural en pleine révolution industrielle, il rédigea, pour le conseil général de la Manche, un Mémoire sur le paupérisme, où il posa les jalons d'une politique innovante de solidarité publique envers les déshérités.