chevalerie
(de chevalier)
Institution militaire féodale qui rassemblait les combattants à cheval, puis les nobles, et à laquelle on accédait par la cérémonie de l'adoubement ; corps des chevaliers, cavalerie noble.
La chevalerie est apparue en Occident, à la fin du xe siècle, comme une catégorie sociale rassemblant les spécialistes du combat à cheval. Les contours juridiques de la chevalerie se sont précisés peu à peu ; son prestige s'est accru, au point qu'elle s'est confondue, à des époques diverses selon les pays, avec la noblesse. Elle forme alors une caste héréditaire qui obéit aux prescriptions d'une morale spécifique que véhicule la littérature courtoise et épique.
Origines de la chevalerie
Les ordres antiques
En Grèce, et à Athènes en particulier, les hippeis – terme que l'on peut traduire indifféremment par cavaliers ou chevaliers – sont des citoyens assez riches pour pouvoir entretenir et équiper, à leurs frais, un cheval de guerre. Ils constituent à la fois la cavalerie dans l'armée et un groupe privilégié dans la société.
À Rome, les chevaliers (ou equites Romani equo publico), c'est-à-dire les citoyens servant dans la cavalerie avec une monture fournie et entretenue par l'État, se distinguent des cavaliers (ou equites) qui s'équipent eux-mêmes. Ils ont progressivement formé l'ordre équestre qui, se dégageant de ses origines militaires, a accueilli les hommes d'affaires quand ceux-ci se sont vus interdire l'ordre sénatorial nobilitas. À la fin de la République et sous l'Empire, l'influence de l'ordre s'est notablement accrue.
Les cavaliers carolingiens
À l'époque carolingienne, les cavaliers (comme les vassaux qui, par l'hommage, s'engagent à servir leur seigneur) ont une existence bien déterminée sans pour autant former une catégorie particulière, ni au sein de l'aristocratie, ni au sein de l'ensemble de la société : aux yeux des penseurs de l'époque (tous clercs), la société est partagée entre clercs et laïcs. Au cours du xe siècle, la réflexion s'affine et l'on oppose les « pauvres », qui, laïcs ou ecclésiastiques, sont désarmés, sans défense, aux « puissants », qui portent les armes.
Pour en savoir plus, voir l'article Carolingiens.
La constitution d'un ordre
Ce schéma se combine avec la théorie des ordines, apparue après l'an 1000, qui distingue trois ordres : ceux qui prient (oratores), ceux qui combattent (bellatores) et ceux qui travaillent (laboratores) ; ces ordres sont solidaires, car chacun d'eux a reçu une mission de Dieu.
À cette distinction, encore théorique, correspond une différence de statut sur le plan matériel : dans la seigneurie, les paysans sont soumis à des taxes et à des services de travail ; ceux qui combattent, les chevaliers, en sont exemptés. Ce privilège fait de la chevalerie un groupe cohérent. La notion de service demeure, mais acquiert du prestige en recouvrant le seul service des armes. Service d'autant plus honorable que l'Église propose au combattant un idéal conforme à l'œuvre de Dieu : il protège le peuple de Dieu, les « pauvres » qui sont incapables de se défendre seuls.
Chevalerie et noblesse
Au seuil du xie siècle, partout en Europe, les textes distinguent nettement les nobles des chevaliers. Lorsqu'il apparaît dans les documents écrits du xie siècle, le mot latin miles (soldat), pris dans le sens de chevalier, revêt une double signification : au sens militaire, il s'applique au cavalier ; au sens social, il désigne celui qui sert. Au Moyen Âge, le chevalier est d'abord tout simplement le guerrier à cheval. Par la suite, la chevalerie devient une véritable institution, et l'on a tendance à ne conférer le titre de chevalier qu'à des hommes de noble naissance. Seul le roi peut l'accorder à des roturiers.
Le nivellement des strates de l'aristocratie
Le chevalier connaît une promotion sociale, rapide dans la France du Centre et du Sud. Les chevaliers sont, soit des non-nobles nourris au château de leur seigneur, soit des cadets de noble lignée, possesseurs de quelques fiefs et qui, pour bien se distinguer de la masse paysanne dans laquelle ils craignent de tomber, entrent dans la chevalerie.
À la fin du xie siècle, l'exaltation de la condition chevaleresque par l'Église incite des nobles d'un niveau social de plus en plus élevé à se faire adouber chevaliers. La fusion entre les différentes strates de l'aristocratie au sein de la chevalerie s'opère lentement, au long du xiie siècle, sous la pression d'un pouvoir royal renforcé : les châtelains et les comtes, jusque-là autonomes grâce au ban, qui leur donnait autorité sur les hommes qu'ils avaient mission d'entraîner à la guerre, voient leur pouvoir réduit ; au sommet, le roi récupère les droits régaliens ; à la base, de simples chevaliers s'emparent du ban inférieur. Ce nivellement accélère le processus de fusion entre nobles et chevaliers. Celle-ci est réalisée lorsque, au début du xiiie siècle, des mariages unissent les membres de la chevalerie, sans distinction de rang.
L'évolution est plus lente dans la France du Nord et dans le Saint Empire romain germanique ; la fusion ne s'opère qu'au xive siècle. Dans le Saint Empire, la dépendance des chevaliers par rapport aux nobles est forte et le fossé social est très marqué entre nobles et chevaliers ; ces derniers, méprisés, sont proches des couches inférieures, au point qu’il existe des chevaliers-serfs. Le maintien des structures politiques carolingiennes et l'existence d'un pouvoir royal fort n'ont pas favorisé l'indépendance de la petite noblesse ; pour la même raison, les mouvements de paix, qui ont tant contribué à exalter la mission du chevalier en France, n'ont pas eu leur équivalent dans le Saint Empire, le souverain continuant à remplir sa fonction de garant de la paix. Cependant, malgré un décalage de deux siècles, le processus de fusion de la noblesse dans la chevalerie se produit dans les pays d'empire comme dans le royaume de France. Dès lors, la chevalerie n'est plus qu'une catégorie de la noblesse : l'adoubement est réservé aux seuls nobles. La chevalerie n'a plus un rôle uniquement professionnel ; elle acquiert un sens moral : éthique chevaleresque et genre de vie nobiliaire se fondent.
Les contraintes de la paix de Dieu
L'idéal religieux, la chevalerie ne l'a pas accepté d'emblée ; l'Église a dû combattre les mauvaises tendances des chevaliers ; par la paix de Dieu, puis la trêve de Dieu, elle a imposé des contraintes, des interdits. Elle a développé pour cet ordre, reconnu indispensable, une ascèse adaptée à ses fonctions, dirigeant les instincts belliqueux des chevaliers dans le sens du combat contre les ennemis de Dieu ; l'Église a offert à la chevalerie un modèle de sainteté qui débouche sur la croisade, sur la conception d'une milice du Christ. Sacralisée par l'Église et la croisade, distinguée des « pauvres » par ses activités militaires et ses privilèges, la chevalerie est prête à se fondre avec la noblesse.
Pour en savoir plus, voir l'article les croisades.
L'éthique chevaleresque
La chevalerie n'est pas héréditaire ; c'est l'aptitude à être chevalier qui l'est. La chevalerie s'acquiert par l'adoubement ; elle se mérite par le respect d'une éthique qui repose essentiellement sur deux vertus : prouesse et largesse.
La prouesse associe vaillance et loyauté : vaillance dans le combat, mais aussi dans la vie quotidienne ; loyauté envers son seigneur, son roi, sa dame ; le preux chevalier des chansons de geste est « sans peur et sans reproche », comme l'est encore le chevalier Bayard au xvie s.
La largesse comprend la prodigalité, la générosité, le faste. Dépenser sans compter, mais aussi être généreux envers ses adversaires, envers les faibles, tel est le code de l'honneur chevaleresque. Le chevalier a maintes occasions de prouver ses qualités, dans les tournois ou à la guerre, à la croisade ou dans les fêtes, sur les chemins ou auprès des dames, dans les châteaux. Tous ces sentiments se fondent dans la courtoisie, qui correspond très précisément au transfert de la notion de service : il s'agit désormais de servir sa dame, de lui obéir en toute circonstance. La fusion de la noblesse et de la chevalerie a entraîné la diffusion des modèles chevaleresques ; une idéologie de classe se forme, qui donne à la noblesse une plus grande cohésion et qui dresse, entre elle et le commun, une barrière infranchissable : roman courtois, épopée, poésie lyrique sont littérature de noble, non de vilain.
Le chevalier
L'écuyer
Au Moyen Âge, on devient chevalier à la suite d'une longue éducation, que sanctionne une cérémonie rituelle : l'adoubement (du germanique dubban, « frapper »).
Lorsque la chevalerie devient l'apanage de la noblesse, le rejeton d'une maison noble est placé chez un patron (un seigneur puissant et riche), pour le servir et recevoir une éducation essentiellement militaire. Vers quatorze ans, l'adolescent devient écuyer ; il continue à servir, avec des responsabilités accrues, et, surtout, il accompagne son maître dans ses guerres. Parvenu à l'âge d'homme, à vingt et un ans, il est armé chevalier, soit par son patron, soit par son père, à condition que ceux-ci soient déjà chevaliers.
La cérémonie de l'adoubement
L'adoubement, sacralisé par l'Église, équivaut à un nouveau baptême. Après un bain purificateur, le postulant se recueille et jeûne toute une journée ; il passe la nuit à l'église ; au matin, il assiste à la messe, communie et fait bénir son épée ; puis, revêtu des habits militaires propres à sa nouvelle condition, il reçoit d'un chevalier la paumée ou l'accolade (coup d'épée sur l'épaule ou solide bourrade), qui le consacre chevalier. Des fêtes, qui comprennent de belles « emprises d'arme », concluent la journée.
Le chevalier errant
Rite initiatique, l'adoubement implique aussi l'entrée dans une nouvelle classe d'âge : jusqu'à son mariage, parfois tardif, le chevalier est qualifié par les textes médiévaux de « jeune ». Sous la conduite d'un chevalier expérimenté, avec quelques compagnons, récents chevaliers comme lui, il quitte le château seigneurial et erre de longues années à la recherche d'aventures, d'exploits, de tournois, de richesses et de femmes. Car prouesse et largesse dissimulent un intense appétit de gains et la quête de riches héritières capables d'assurer au « jeune » un train de vie et une position qu'il ne peut trouver au château paternel.
Pour éviter la dispersion des patrimoines, les lignages nobles veillent à marier leurs fils le plus tard et le mieux possible. Le fils aîné seul peut espérer hériter de la seigneurie lorsque son père ne sera plus en état de la gérer. En attendant, il mène cette vie d'errance ou s'engage dans des expéditions lointaines, comme les croisades, véritable aubaine pour ces jeunes querelleurs. La littérature courtoise, qui trouve en eux ses auditeurs, témoigne de leurs frustrations (d'argent, de femme) et leur propose des modèles conformes à leurs aspirations : le chevalier qui, par sa prouesse, a réussi à dénicher la riche héritière.
Pour en savoir plus, voir l'article littérature et amour courtois.
Les ordres de chevalerie
La guerre de Cent Ans a-t-elle sonné le glas de la chevalerie ? Il est vrai qu’il n'est plus nécessaire d'être adoubé pour faire reconnaître sa noblesse ; il est vrai également que les batailles de Crécy (1346), de Poitiers (1356) et d’Azincourt (1415) ont ruiné le prestige des chevaliers français.
C'est pourtant à cette époque que sont fondés des ordres de chevalerie, qui diffèrent des ordres militaires, nés des croisades, par leur caractère purement laïque. Supprimer ou réduire les guerres privées, interdire la contestation violente du pouvoir tout en maintenant la tradition militaire d'une aristocratie qui encadre désormais l'armée nationale, les princes du xive et du xve siècle ont accompli cette tâche ardue en créant des ordres de chevalerie, destinés à raviver l'idéal chrétien du chevalier, en lui donnant un contenu politique : la société de Saint-Georges en Hongrie (1325), la Banda en Castille (1330), les ordres de la Jarretière en Angleterre (1348), de l'Étoile (1351) et de Saint-Michel (1469) en France, de la Toison d'or en Bourgogne (1429) sont les plus célèbres. Dans tous, on retrouve le même mélange d'ostentation chevaleresque (costumes, héraldique, cérémonies), de ferveur religieuse (messes, veillées nocturnes) et de fidélité politique (attachement à un prince, à sa lignée, à son pays).
À partir du xvie siècle, le titre perd de son prestige, et un nouveau type d'homme, le courtisan, se substitue au chevalier, dont Bayard est l'un des derniers représentants. À la fin de l'Ancien Régime, on donne le qualificatif de chevalier à des gentilshommes d'ancienne extraction, titrés ou non.