château fort
1. Château fort et féodalité
Construction proprement médiévale, apparue vers la fin du xe siècle et dont la naissance est inséparable de l'essor de la féodalité, le château fort doit son originalité à la multiplicité de ses fonctions : forteresse et résidence du seigneur, centre politique d'une domination territoriale, enfin centre de l'exploitation seigneuriale (de la seigneurie).
En principe, le droit de construire une forteresse appartient au roi ou à ses délégués. Cette règle carolingienne ne s'est pas perdue aux xe et xie s., période durant laquelle, pourtant, le pouvoir royal est affaibli et l'émiettement politique effectif. Le morcellement du pouvoir politique qui caractérise le premier âge féodal ne peut que se traduire par la multiplication des forteresses, symboles de l'autonomie du seigneur, qui détient le droit de ban.
Mais une hiérarchie s'établit très vite lorsque la construction en pierre, coûteuse, remplace la construction en bois : seul un petit nombre de seigneurs peut posséder un château maçonné ; les autres n'ont plus qu'une maison forte, qui les distingue néanmoins du commun.
2. Origines du château fort
2.1. De l’oppidum romain aux fortifications carolingiennes
Dans l'Empire romain, tandis que les riches propriétaires terriens se bâtissent des villas, qui sont à la fois des fermes et des résidences, parfois luxueuses, les Celtes élèvent ce que Jules César appellera oppidum : généralement placé sur une hauteur, ceint d'un rempart et d'un vallum (retranchement), il entoure des édifices publics, des habitations, voire une ville entière, comme à Grabenstetten (Allemagne), d’une superficie de 1 600 ha.
À la fin de l'Empire romain, les villas sont fréquemment fortifiées, et les villes gauloises se dotent d'un réduit, où la population peut se réfugier en cas d'attaque : le castellum.
Entre le ive et le xe siècle apparaissent des défenses éclatées, de bois, de terre et parfois de maçonnerie, fortifications entourant souvent un bastion. Toutefois, ces enceintes fortifiées de l'époque franque puis carolingienne ne possèdent pas les caractéristiques du château. Ce sont soit de vastes enceintes couvrant plusieurs hectares, soit de petites enceintes circulaires de 50 m de diamètre environ. Dans l'un et l'autre cas, une palissade de bois rudimentaire, précédée d'un fossé, semble avoir pour fonction de protéger un domaine, un village ou une grande ferme contre brigands et maraudeurs ; ces enceintes ne sont pas aptes à résister à un assaut d'envergure.
2.2. Le château à motte
Vers la fin du xe siècle, tandis que la féodalité se constitue en Gaule, divisée en châtellenies, apparaît le château à donjon, ou château fort. Constitué d'une tour de bois – destinée à abriter le seigneur et les siens, une garnison et des vivres –, il est bâti sur une motte de terre (dont la tapisserie de Bayeux a conservé l'image).
Au pied de la motte, le fossé, qui précède un talus surmonté d'une palissade de bois, constitue une première ligne de défense ; au sommet, le donjon, tour de bois carrée, et la « chemise », autre palissade, forment l'ultime réduit défensif ; le donjon sert également de résidence au seigneur. Le plan se complique parfois : des mottes secondaires peuvent renforcer la défense de la palissade. La pierre est très tôt utilisée dans les régions où elle abonde ; au début du xie siècle, le comte Foulques Nerra fait élever en Anjou et en Touraine nombre de donjons en pierre, dont le plus ancien semble être celui de Langeais (994). L'usage du bois se maintient pourtant, notamment dans le nord de la France et de l'Europe, jusqu'à des dates tardives : xiie siècle en Île-de-France, xiiie siècle en Flandre ; en Bohême, le château de Karljstein, que Charles IV bâtit au xive siècle, comprend encore un étage en bois.
3. Le château roman
3.1. Un ouvrage maçonné
Bien souvent, les premiers châteaux en pierre ont été élevés sur le plan des châteaux à motte (Gisors, par exemple). Mais on passe vite à des bâtiments plus complexes : les châteaux dits « romans » (contemporains des grandes cathédrales romanes), dont le type le plus achevé se trouve à Château-Gaillard.
Les premiers ouvrages de maçonnerie apparaissent ainsi au milieu du xie s.siècle, le bois restant encore utilisé pour les planchers, les escaliers ou échelles – amovibles –, afin de faire d'ultimes retranchements des étages supérieurs en cas de pénétration de l'ennemi à l'intérieur du donjon.
3.2. L'apport oriental
Indéniable du fait des croisades, l'apport oriental est difficile à apprécier : des techniques comme celles des mâchicoulis dérivent de modèles orientaux. De même, les Occidentaux établis dans les États latins du Levant ont reproduit maintes fois le modèle du castrum byzantin.
Mais le château roman, tel le krak des Chevaliers du comté de Tripoli d'Asie, est différent. Il semble que les Occidentaux d'Orient, aux prises avec des problèmes militaires propres à leur situation, généralement défensive, aient élaboré, en utilisant les éléments trouvés sur place, une forme de château originale, apte seulement à la résistance.
Les Occidentaux ont pu s'en inspirer. Château-Gaillard, construit par Richard Cœur de Lion en 1197-1198, marque l'aboutissement de la tradition du château à motte en ce sens que tout est conçu en fonction du donjon, ultime défense qui tire sa force de sa masse, mais aussi cul-de-sac qui ne se prête qu'à une défense passive.
3.3. Une place forte
L'art de la fortification a fait des progrès considérables par rapport aux mottes : le château fort dispose de séries d'enceintes aux murs épais, les courtines, percées de meurtrières et couronnées d'un chemin de ronde que protègent des merlons ; des tours (plutôt rectangulaires ou carrées, dont les angles morts sont la principale faiblesse défensive) flanquent ces enceintes, permettant de battre les murs en cas d'attaque rapprochée ; pour atteindre à la verticale les assaillants, on place des hourds (constructions en bois) et des mâchicoulis au sommet des tours. L'entrée de la place forte est particulièrement protégée par de grosses tours, une barbacane, des herses, des chaînes et des chicanes.
Les diverses enceintes – en général trois, en comptant le donjon – délimitent des cours, ou « bayles », qui peuvent abriter la population du domaine et une garnison : il faut se prémunir contre les mauvaises surprises, les trahisons, et donc isoler le seigneur de la garnison et celle-ci des réfugiés.
À l’intérieur, les escaliers en pierre, pratiqués dans l'épaisseur des murs, comme à Loches, n'apparaissent qu'à la fin du xie siècle ; leurs accès sont disposés en chicane pour forcer l'éventuel assaillant à traverser les pièces, et donc à s'exposer.
4. Le château gothique
4.1. Défense active et confort
Au xiie siècle, des modifications importantes sont apportées au château fort. Les éléments élaborés au cours de la période précédente sont conservés et améliorés : talutage soigné des courtines ; longues archères, qui donnent au tireur la possibilité de battre un vaste espace, remplaçant les grossières meurtrières ; hourds et mâchicoulis se perfectionnent ; des précautions sont prises contre le travail des sapeurs adverses.
L'agencement des éléments du château se modifie sous l'influence de deux facteurs principaux. Sur le plan militaire, l'offensive prime sur la défensive. Philippe Auguste (et d'autres à sa suite) a constitué un corps spécialisé de mineurs et de sapeurs qui savent prendre les châteaux réputés imprenables. Il faut donc trouver la parade, abandonner la défense passive, seule fonction du château roman, au profit d'une défense active.
Sur le plan résidentiel, la vie noble ne s'accommode plus de l'inconfortable et austère donjon. Dès le xiiie siècle, on commence à ouvrir sur une cour les appartements seigneuriaux et tous les bâtiments annexes. Dans le même temps, le château perd son rôle de refuge pour la population des alentours ; la coupure entre le monde aristocratique et le monde des rustres s'accentue.
4.2. La formule de Philippe Auguste
Les châteaux du xiiie s.siècle, construits selon ce qu'on a appelé la « formule de Philippe Auguste » (enceinte de Paris et forteresse du Louvre) – mais on pourrait aussi parler de « formule de Frédéric II » pour les châteaux du royaume de Sicile –, adoptent un plan ramassé, généralement quadrangulaire. De grosses tours d'angle flanquent les courtines, et chaque tour (souvent ronde) peut se défendre de façon indépendante.
Un chemin de ronde continu fait le tour de l'édifice. Le donjon, parfois supprimé (cas de Villandraut), perd sa prépondérance absolue : il n'est plus protégé pour lui-même et il acquiert aussi une autonomie défensive ; à Dourdan, le plan primitif le place hors de l'enceinte.
Casemates, écuries, logements de garnison sont rationnellement distribués autour de la cour : celle-ci se trouve entièrement dégagée, ce qui facilite les manœuvres de la garnison. La porte est toujours bien protégée, mais des poternes sont ouvertes dans les tours. Tout est conçu pour que la garnison puisse agir rapidement à l'intérieur du château et à l'extérieur, où les ouvertures facilitent les sorties.
5. Vers la forteresse pure et le palais d'agrément
5.1. Le Louvre, le palais des Papes
Au xive siècle, tandis que l'on continue de ceindre les villes de remparts, on apporte à la construction des châteaux de nouveaux perfectionnements techniques et esthétiques. Le Louvre, qui a perdu son utilité de citadelle après la construction de l'enceinte de Charles V et de la Bastille, est réaménagé en luxueuse résidence. Et si le palais des Papes, commencé par Benoît XII et continué par Clément VI, domine Avignon comme une forteresse, il accueille une cour brillante, dans un décor intérieur raffiné.
5.2. L'Alhambra
À ce prestigieux séjour de la papauté en Avignon répond le chef-d'œuvre de l'architecture civile islamique, le palais des monarques de Grenade, dans une Espagne où la coexistence des chrétiens et des Maures avait fait proliférer les alcazars de type oriental. L'Alhambra, commencé dès le xiiie siècle par Muhammad Ier, est embelli au siècle suivant : derrière l'enceinte de la cité, dont il intègre des éléments (le salon des Ambassadeurs est aménagé dans une de ses tours), le palais organise ses salles à la luxuriante décoration autour de jardins, de cours et de patios rafraîchis par des bassins et des fontaines.
Châteaux de plaisance
La guerre de Cent Ans suscite l'édification de nombreux châteaux forts, alors même qu'elle les rend caducs. En effet, ceux-ci continuent leur adaptation aux techniques de combat : les mâchicoulis disparaissent peu à peu, tandis que les meurtrières s'ouvrent pour le passage des canons ; mais ces derniers se perfectionnant, le château fort n'est plus imprenable et perd sa raison d'être. Des éléments de son architecture constituent cependant encore un répertoire stylistique symbolique : la tour, en particulier, reste l'emblème de la féodalité.
À la fin du Moyen Âge, apparaissent châteaux de plaisance, sans valeur militaire, et forteresses pures, dont les vastes escarpes, enterrées, résistent à l'artillerie. Rois et princes ont déserté les châteaux forts, mais petits et moyens seigneurs conservent jalousement leur motte, restaurent leur château, élèvent une tour dès qu'ils en ont les moyens. La fonction sociale, symbolique, du château demeure, même si cette construction a perdu toute valeur militaire ; est significative la survivance de la place du château dans la civilisation médiévale.
Pour en savoir plus, voir l'article Moyen Âge.