littérature et amour courtois
(ancien français court, cour princière)
Étymologiquement, le terme « courtois » fait référence à la cour (de l’ancien français cort). En vieux français, le mot corteis prend le sens d'« honnête », « loyal ». Par ailleurs, ce qui est courtois s'oppose à ce qui est « vilain », c'est-à-dire le monde rude et grossier du paysan. Enfin, la notion de courtoisie renvoie à un ensemble de valeurs, de règles de savoir-vivre et surtout à une conception bien particulière de l'amour, car nul ne peut être parfaitement courtois sans aimer.
L'amour courtois
L’amour courtois est une conception de l'amour d'un homme pour une femme qui est née au xiie s., dans le midi de la France, avec les troubadours occitans, et qui s'est éteinte dans la seconde moitié du xiiie s. Elle s'est développée ensuite dans le Nord, avec les trouvères, ainsi que dans d'autres pays d'Europe, notamment germaniques, avec les minnesänger.
Amour courtois et fin’amor
Plus que le reflet fidèle d'une société qui, malgré l'affinement progressif de la vie de cour, reste assez fruste, la courtoisie représente son modèle idéal : profond sens de l'honneur, importance de la parole et du serment, noblesse des sentiments, conduite généreuse, politesse dans le langage et les manières, et surtout primauté de l'amour. En effet, « la courtoisie est une conception à la fois de la vie et de l'amour » (Michel Zink), et si l'amour courtois doit être distingué de la courtoisie au sens large du terme, il en constitue une dimension tellement importante que les termes d'amour courtois et de courtoisie ont souvent été employés indifféremment.
La fin'amor (« amour parfait ») désigne plus précisément une religion de l'amour. C'est moins une étiquette ou un ensemble de règles, comme on pourrait le croire en lisant les 31 articles formulés par André Le Chapelain dans son opuscule Tractatus de Amore (Traité de l'Amour, 1184), qu'une idéologie mystique qui place l'amour au sommet de toutes les lois sociales et religieuses.
Une conception de l'amour issue du modèle féodal : la dame suzeraine
L'amour courtois n'est ni libertinage, ni passion brutale, il est presque une ascèse pour le chevalier, qui doit, pour mériter la femme qu'il aime, se soumettre entièrement à elle. La dame est suzeraine, le chevalier est son vassal. Afin que l'amant ne puisse pas user de son pouvoir pour soumettre sa belle, celle-ci est souvent d'un rang social supérieur à celui du chevalier.
La relation amoureuse est régie par un véritable code du « savoir aimer ». La dame est hautaine, méprisante et semble inaccessible. Le chevalier se doit de la vénérer, de s'humilier pour elle (tel le Lancelot de Chrétien de Troyes, qui, pour délivrer Guenièvre, doit monter sur l'infamante charrette des condamnés) ; il doit tout accepter, même le déshonneur, dans une discrétion totale, pour espérer obtenir enfin que la dame accepte ses hommages.
Cette conception de l'amour transpose, dans le domaine des rapports d'homme à femme, les idées de soumission, de mérite et de générosité sur lesquelles repose l'exercice de la chevalerie.
La confusion de l'amour et du désir
L'amour courtois repose essentiellement sur la notion de désir qui, ici, se confond entièrement avec l'amour. Et, puisque le désir disparaît quand il est assouvi, l'amour, pour perdurer, doit être difficile à satisfaire. Cela explique la position de supériorité de la dame, qui doit toujours paraître insaisissable sans pour autant rester totalement inaccessible (car l'amour courtois n'est pas un amour platonique).
Une telle conception implique qu'il n'y a pas d'amour possible dans le mariage puisque, dans la relation d'époux à épouse, le désir peut être sans cesse assouvi. Dans cette logique, la jalousie est souvent perçue comme une vertu dans la mesure où elle découle de cette insatisfaction fondamentale et stimule par là même le désir.
L'importance accordée au désir explique encore que l'amour courtois se porte généralement vers un objet défendu et penche donc volontiers vers l'adultère, la dame convoitée étant bien souvent l'épouse d'un autre. Un tel amour est donc généralement conçu dans le secret, tout comme le nom de la dame, qui est donné dans un senhal, c'est-à-dire un nom codé, tandis que les lauzengiers et les gelos perfides surveillent l'amant pour le dénoncer au mari.
Si la courtoisie est un phénomène de civilisation, la doctrine amoureuse qui l'accompagne, contraire aux enseignements de l'Église et très éloignée des usages de l'époque, doit avant tout être comprise comme un jeu littéraire.
Le vocabulaire de l'amour courtois
Ne pouvant être assouvi facilement, l'amour courtois engendre diverses réactions, le plus souvent paradoxales. Le chevalier amoureux oscille de l'enthousiasme au désespoir, du plaisir à la souffrance, de l'angoisse à l'euphorie, notamment lorsque l'une de ses attentes est enfin satisfaite ; le terme joy (masculin, donc différent de joie) est généralement utilisé pour évoquer le sentiment d'extase qui s'empare de l'amant quand son désir est récompensé.
Deux autres notions fondamentales caractérisent l'amour courtois : la mezura, qui désigne la dignité et la maîtrise de soi dont l'amant doit faire preuve en toute circonstance, et la joven qui fait référence à tout un ensemble de vertus morales (fidélité, mérite, disponibilité d'esprit, etc.) propres à l'amant courtois. Pour obtenir les faveurs de sa dame, le chevalier doit suivre un parcours semé d'épreuves ; l'une d'entre elles, l'asag, lui impose de rester chaste pendant toute une nuit passée « nu à nue » à côté de l'objet de son désir. En attendant que la dame se donne au chevalier, elle lui offre des récompenses (guerredon) au gré des prouesses qu'il réalise pour elle.
La littérature courtoise
Au début du xiie s. apparaît dans les petites cours seigneuriales du midi de la France un nouveau thème littéraire qui donne naissance à la célébration de l'art d'aimer et qui procède de la mise en œuvre par le troubadour du trobar, c'est-à-dire de l'art de « trouver » en matière de poésie.
Le développement de la littérature courtoise
Origines de la littérature courtoise
La littérature courtoise a puisé sa matière dans trois fonds principaux : l'Antiquité, les légendes celtiques et la lyrique occitane. Dans les œuvres antiques, les poètes ont trouvé thèmes et inspiration ; ils ont vulgarisé en français certains auteurs comme Ovide. Le Roman d'Alexandre, le Roman de Troie et l'Enéas, un peu plus tardifs, sont les mieux connus. Chrétien de Troyes lui-même a commencé par adapter Ovide. Le fonds celtique et la « matière de Bretagne » ont fourni au roman courtois l'essentiel de ses thèmes, et plus particulièrement son atmosphère féerique : l'enchanteur Merlin ou la fée Mélusine interviennent dans le récit pour favoriser ou entraver la course du héros. Enfin, la chanson d'amour provençale fournit aux romanciers le thème du service amoureux, assimilé au service féodal : l'amour est considéré comme une exaltation quasi mystique et comme une source de vertu ; la dame est inaccessible.
Naissance et développement de la courtoisie
À partir du xiie s., la conception de l'amour courtois inspire la poésie lyrique en territoire de langue d'oc, et c'est chez les troubadours du Midi de la France que la fin'amor trouve son expression la plus spécifique, avec la chanson courtoise. L'esprit courtois gagne progressivement le Nord de la France. Le mariage, en 1137, d'Aliénor d'Aquitaine, petite-fille du troubadour Guillaume IX, avec Louis VII joue un rôle important dans cette diffusion. Ses filles savent à leur tour perpétuer la tradition, notamment Marie de Champagne, qui s'impose comme une figure emblématique de la dame courtoise.
En langue d’oïl, la littérature courtoise est représentée par les chansons des trouvères (Guiot de Provins, Conon de Béthune, Gace Brulé, Thibaud de Champagne, etc.) mais surtout par le roman : les versions de Tristan et Yseult (en particulier celle de Thomas d'Angleterre), les Lais de Marie de France et les romans de Chrétien de Troyes comptent parmi les plus originales et les plus audacieuses illustrations de cette religion de l'amour courtois. Après avoir été codifiée par André Le Chapelain dans son Tractatus de amore, la doctrine courtoise se présente comme un art d'aimer dans le Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et de Jean de Meung. L'idéal courtois se répand par la suite dans toute l'Europe : Catalogne, Castille, Portugal, Italie (sous la forme du dolce stil nuovo), Allemagne (poésie des minnesänger).
Déclin et survivances
Le déclin, ou du moins la transformation de l'esprit courtois, s'opère dès la fin du xiie s. On continue d'exploiter la matière de Bretagne dans les romans de la Table ronde ou dans le Lancelot en prose. Gautier d'Arras utilise des thèmes gréco-byzantins dans son Éracles. La première partie du Roman de la Rose est un véritable exposé de l'art d'aimer courtois.
Mais, à côté de ces œuvres encore solides, on sombre parfois dans la mièvrerie du roman idyllique (seul Aucassin et Nicolette fait exception) ou dans la grandiloquence des romans de chevalerie dont la mode survit jusqu'au xvie s. Toutefois, aux xive et xve s., la tradition courtoise est encore très présente et inspire de nombreux poètes, notamment Guillaume de Machaut, Eustache Deschamps, Alain Chartier (la Belle Dame sans merci, 1424), François Villon et Charles d'Orléans. Enfin, il convient de noter que le pétrarquisme et la poésie précieuse du xviie s. sont directement issus de la tradition courtoise.
Les genres littéraires courtois
La poésie courtoise
La canso (ou chanson courtoise)
La canso, encore appelée grand chant courtois ou chanson courtoise, est la forme poétique la plus représentative du lyrisme courtois. Composé de 40 à 60 vers répartis en une dizaine de strophes (coblas) et se terminant généralement par un envoi (tornada), la canso est un poème chanté et rimé selon de savantes combinaisons, qui parle de l'amour et des joies et des peines qui en découlent. Illustrée par des troubadours comme Guillaume IX d'Aquitaine, Jaufré Rudel, Bernard de Ventadour, Bertran de Born, la canso reprend le modèle traditionnel de la courtoisie et célèbre l'amour idéal d'un soupirant pour une dame riche de beauté et de vertus, et théoriquement inaccessible.
La tenso
Variante littéraire de la canso, la tenso aborde des sujets plus larges (il peut être question d'amour, comme dans la canso, mais aussi de politique, d'idées générales ou de sentiments personnels) et se présente généralement sous la forme d'un dialogue, d'une discussion, d'un débat. La tenso est composée d'une série de couplets, de même structure, correspondant chacun à une réplique et généralement suivis d'un envoi. Destinée à être chantée, elle était souvent accompagnée d'une mélodie.
Le roman courtois
Parallèlement à la poésie courtoise, le roman courtois s'est développé à partir du milieu du xiie s., à l'intention d'une clientèle aristocratique dont les goûts frustes et brutaux se sont peu à peu affinés au contact de l'Orient des croisades et du Midi occitan. Le monde courtois, comme celui de l'épopée, est un monde de gloire et d'aventures : le héros de la littérature courtoise doit triompher de nombreux obstacles et embûches, tout comme le héros épique ; mais le premier sert sa dame alors que le second servait Dieu ou son roi. Cette littérature de cour, écrite en langue vulgaire, d'abord en vers, puis en prose, s'intéresse aux complications du sentiment et fait de l'amour son thème principal.
Composées de 1160 à 1183, les œuvres de Chrétien de Troyes fournissent l'un des meilleurs témoignages de la littérature courtoise française. Ne se contentant pas de complaire au public cultivé de la Cour de Champagne (c'est Marie de Champagne qui lui a suggéré le sujet de Lancelot), il expose et illustre les règles de la courtoisie, mais pose aussi les problèmes du mariage et de l'adultère, de l'amour, de l'aventure et, dans son Perceval (amorce du grand cycle de la conquête du Graal), celui de la sublimation de l'amour terrestre dans l'amour de Dieu.