Afrique du Sud : histoire
1. L'époque précoloniale
1.1. San et Khoi-khoi
Mis à part les hommes de la préhistoire, ce sont les populations de langue khoisan qui constituent le peuplement le plus ancien de l'Afrique australe. Confinées aujourd'hui dans les régions désertiques, ces populations occupaient jadis un territoire bien plus vaste. Les San (ou Bochimans), chasseurs et collecteurs, habitaient le pays avant les pasteurs Khoi-khoi, dont les descendants seront nommés Hottentots par les premiers colons.
1.2. Migration des Bantous
Entre le viiie et le xvie siècle, des populations de langue bantoue migrent d’Afrique centrale et orientale pour se sédentariser sur les terres vierges de l'Afrique australe. Parmi elles, les Ngunis se diviseront en quatre groupes : les Zoulous (dans le Nord et le Centre), les Xhosas (dans le Sud), les Swazis et les Ndébélés. Ils sont suivis des Sothos, des Tswanas et Vendas.
Refoulés, en partie éliminés ou intégrés par les Xhosas au cours de leurs déplacements vers l’ouest, les Khoi-khoi sont les premiers peuples originaires du pays avec lesquels les Hollandais entrent en contact.
2. Période coloniale
2.1. L'établissement des Hollandais (xvie-xviiie siècles)
Fondation du Cap, aux dépens des aborigènes
Durant tout le xvie siècle, les Portugais, qui pourtant ont découvert le pays (→ Diogo Cão, Bartolomeu Dias, Vasco de Gama) n'y installent aucun poste, la région leur paraissant hostile et peu riche. Tandis que des Anglais plantent l'Union Jack en Afrique du Sud (mais sans reconnaissance officielle), ce sont des Hollandais qui, à la suite d'une expédition de trois navires commandés par Jan Van Riebeeck (1616-1677) en 1652, fondent Le Cap, simple escale de la Compagnie hollandaise des Indes orientales. N'ayant pas l'intention de s'y installer durablement, ils envisagent d'y développer quelques plantations (vignes, vergers et potagers), dont les produits sont destinés au ravitaillement des navires faisant route vers Batavia.
À l'origine, tous les habitants, hormis quelques Allemands et Scandinaves, sont des salariés de la Compagnie des Indes et ne sont là que pour une période déterminée. Pour les inciter à améliorer les rendements de leur production, Amsterdam leur confère peu à peu le titre de burger « citoyen » et, dès 1657, Jan Van Riebeeck leur alloue quelques terrains : ainsi, les premiers citoyens libres (vrijburgers) s'installent comme agriculteurs à leur propre compte.
Ni les Khoi-khoi ni les Bochimans ne sont assez bien armés pour résister à l'occupation progressive de leur territoire par les colons, et, vulnérables aux maladies importées par ceux-ci, ils sont peu à peu refoulés.
Tandis que l'expansion territoriale se poursuit, l'esclavage se développe : outre, en partie seulement, des Khoi-khoi détribalisés, les esclaves sont surtout des Noirs achetés à Madagascar et au Mozambique, mais aussi des Malais.
Les huguenots français
En 1685, la révocation de l'édit de Nantes produit une importante immigration de protestants français ; les huguenots constituent le 1/6e de la population européenne de la colonie en 1699.
La rencontre avec les Bantous
La progression des Boers (les descendants des premiers colons) provoque, vers 1775, leur rencontre avec les Bantous. Une série de conflits se déroule durant les années 1779-1780 : c'est la première « guerre cafre » (les Cafres étant les Xhosas). Inférieurs en nombre, les Boers mettent au point la méthode du laager, camp retranché constitué par les chariots à bœufs sur lequel se brisent les assauts des Bantous. Les Boers prennent peu à peu le dessus, mais le gouverneur de l'époque préfère conclure un accord avec les Bantous, car la situation financière de la Compagnie des Indes est alarmante : la frontière est fixée à la Great Fish River.
2.2. La colonisation britannique
Mainmise britannique sur la colonie du Cap
Plusieurs événements viennent aggraver le mécontentement des Boers : la Compagnie des Indes cesse ses paiements en 1791 avant de disparaître en 1799. Après les conflits anglo-néerlandais de 1781-1784, les guerres européennes, consécutives à la Révolution française, sont marquées par des incursions anglaises au Cap (1795 et 1806). Après la capitulation des garnisons locales en 1806 et en vertu du traité de Paris de 1814, la colonie du Cap passe sous administration britannique.
La politique libérale britannique
Relativement bien accueillis au début, les Britanniques prennent, entre 1806 et 1834, un ensemble de mesures qui provoquent le soulèvement des Boers, ceux-ci leur reprochant de prendre la défense des Noirs. Par ailleurs, la fixation de la frontière au fleuve Orange, la modification du système d'acquisition des terres et le développement de la colonisation anglaise, dès 1819, deviennent d'autres motifs de conflits. Enfin, l'abolition de l'esclavage, en 1833, porte au paroxysme le ressentiment des Boers.
L'expansion zouloue
À la même époque, vers 1818, dans le nord-est du pays, le royaume zoulou se constitue sous le règne du chef Chaka puis de ses successeurs Dingane et Mpande. Son extension et les conflits entre tribus qui l’accompagnent, intensifient la dispersion déjà en cours des populations africaines et la dislocation des structures sociales. Ce Mfecane (« migration forcée ») des peuples en quête de terres, facilite la conquête européenne.
Le Grand Trek
En 1834-1835, des milliers de Boers, mécontents des décisions prises par le gouvernement britannique, quittent en chariots à bœufs la colonie du Cap et se dirigent vers le nord et l'est. Cette migration, dénommée le Grand Trek, entraînant le déplacement de 15 000 Boers sur une distance de 2 000 km, va durer jusqu'en 1852.
Ayant franchi le fleuve Orange, des Boers poussent vers le nord en direction du Transvaal ; d'autres se tournent vers l'est en direction du Natal.
De durs combats les opposent aux Xhosas, aux Tswanas et aux Swazis. La lutte contre les Zoulous, qui s'achève par la bataille de Blood River, au cours de laquelle 3 000 d'entre eux sont tués, ouvre aux Boers la route du Natal (1838), où ils établissent un État. Néanmoins, l'État boer du Natal aura une existence très brève, puisque les Britanniques l'attaquent en 1842, le déclarent possession britannique en 1843 et en font une colonie de la Couronne en 1856.
L'expansion britannique
Après avoir créé une zone tampon entre la colonie du Cap et les territoires xhosas de l’Est (1819), les Britanniques, poursuivant leur expansion, prennent possession de ces derniers sous le nom de « cafrerie britannique » (1847). Une neuvième et dernière « guerre cafre » conduit au rattachement des derniers territoires xhosas à la colonie du Cap en 1877-1879.
Parallèlement, entre 1879 et 1897, les guerres anglo-zouloues conduisent à la destruction du royaume zoulou et au rattachement de son territoire à la Couronne puis au Natal. Avec l’annexion du Basutoland (→ actuel Lesotho [1868 et 1884]), les populations africaines sont désormais largement soumises.
Mais l’affrontement entre les deux communautés blanches ne tarde pas à renaître : si l'indépendance du Transvaal est reconnue en 1852 (convention de Sand River) et celle de l'Orange en 1854 par la convention de Bloemfontein (→ État libre d'Orange), le conflit avec les États boers se rouvre bientôt.
2.3. La guerre des Boers (1880-1902)
La première guerre des Boers (1880-1881)
Libres et apparemment maîtres de leur destin, mais pauvres, démunis et sans expérience politique, les Boers demeurent dans une situation fragile. En 1880, à la suite de l'annexion du Transvaal (1877) par les Britanniques, ils se révoltent à l'appel d'Andries Pretorius, Petrus Joubert et Paul Kruger et battent les Anglais à Majuba Hill (1881). La paix de Pretoria (août 1881) reconnaît l'indépendance des républiques boers.
La résistance de Paul Kruger contre Cecil Rhodes
Celles-ci sont encerclées progressivement, à la suite de l'annexion du Bechuanaland par les Britanniques et de la concession des territoires au nord du Zambèze à la British South Africa Company, plus connue sous le nom de Chartered, société dirigée par Cecil Rhodes, qui anime toute la transformation économique de l'Afrique australe.
Les mines d'or (découvertes en 1885) et de diamants, la voie ferrée de l'Orange attirent une population d'aventuriers étrangers, pour la plupart britanniques, les Uitlanders, groupés dans les villes nouvellement fondées, et dont les intérêts, défendus par les grandes compagnies et le gouvernement britannique, sont fondamentalement opposés à ceux des Boers.
Cecil Rhodes, devenu Premier ministre de la colonie du Cap (1890), échoue dans ses tentatives d'attirer dans une union douanière le Transvaal, en passe de devenir, grâce aux mines d'or, l'État le plus riche de l'Afrique australe et d'échapper ainsi à tout contrôle britannique. Ne pouvant rien obtenir de Kruger, il fomente un mouvement révolutionnaire à Johannesburg qui doit être, le moment venu, appuyé par les troupes de la Chartered. Le docteur Jameson, malgré l'avis de Rhodes qui se ravise à la dernière minute sous l'influence de Chamberlain, tente cependant le raid au Transvaal (« raid Jameson », 1895) et échoue.
La guerre du Transvaal ou seconde guerre des Boers (1899-1902)
Il s'ensuit une vive réaction de l'opinion publique européenne, très favorable aux Boers. Cependant Chamberlain et le haut-commissaire sir Alfred Milner s'acheminent peu à peu vers l'idée que seule la guerre permettra d'établir définitivement la puissance britannique en Afrique australe. Les prétextes en seront le refus de Kruger d'accorder le droit de vote aux Uitlanders et un ultimatum de celui-ci pour réclamer l'arrêt des envois de troupes britanniques, précédant celui que Chamberlain avait lui-même rédigé. La guerre du Transvaal éclate donc le 11 octobre 1899.
Elle se termine en 1902 par le traité, dit de Vereeniging, qui avalise la perte d'indépendance des deux Républiques boers – l'État libre d'Orange et la République sud-africaine du Transvaal – désormais intégrées dans l'Empire britannique. Toutefois, reconnaissant que la population de langue anglaise ne pourra jamais devenir majoritaire, le nouveau gouvernement libéral britannique (élu en 1905) accorde aux colonies sud-africaines une assez large autonomie.
Les Boers font de la résistance passive devant l'occupant, mais, dans un cadre fédéral qui s'avère viable, ils renaissent rapidement à la vie politique et culturelle. Ils créent un enseignement privé, des sociétés culturelles, qui permettent l'avènement d'une nouvelle langue, l'afrikaans. En 1906, les partis boers, Het Volk et Oranje Unie, remportent des succès importants aux élections au Transvaal et en Orange.
3. L'Union sud-africaine (1910-1961)
Après la guerre, le problème essentiel est de reconstruire le pays, qui a été dévasté.
3.1. Création de l'Union sud-africaine
Dominion de l'Empire britannique, l'Union sud-africaine est créée le 31 mai 1910, avec l'entrée en vigueur du South Africa Act, Constitution commune aux quatre colonies – Le Cap, Transvaal, Orange, Natal –, qui deviennent alors des provinces.
Celles-ci, administrées par un gouverneur et représentées par une assemblée locale, disposent d'une assez large autonomie en particulier dans les domaines scolaires et sociaux. Le pouvoir législatif, pour l'Union tout entière, est confié à un Parlement bicaméral, dont l'Assemblée est élue par le seul suffrage des Européens, tandis que les membres du Sénat sont nommés. Le pouvoir exécutif est assumé par un gouverneur général nommé par Londres ; par ailleurs, un cabinet, dont le Premier ministre – siégeant à Pretoria (capitale administrative) – est le leader de la majorité, est responsable devant le Parlement. Le Premier ministre désigné est un Afrikaner, Louis Botha (1910-1919).
Dans l'Union demeurent deux enclaves noires : le Basutoland et le Swaziland ; il faut enfin noter la présence allemande dans le Sud-Ouest africain (future → Namibie) depuis 1884.
3.2. Un dominion blanc
La réconciliation entre Anglais et Boers et l’autonomie octroyée aux colonies permettent l’adoption des premières lois ségrégatives. Après des mesures de discrimination à l’égard des Indiens – qui provoquent la naissance du mouvement de résistance non violente du Mahatma Gandhi – le régime de l'apartheid commence à être légalement encadré avec l’adoption, en 1911, de plusieurs lois :
– le Native Labour Regulation Act, criminalise la rupture d’un contrat de travail sauf pour les Blancs ;
– le Dutch Reformed Church Act – interdit aux Noirs d’être membres à part entière de l’Église ;
– le Mines and Works Act réserve aux Blancs les emplois qualifiés.
En 1913, le Natives Land Act, la plus sévère des lois alors adoptées, interdit aux Noirs d’acheter, louer ou exploiter des terres en dehors des « réserves » – plus tard appelées bantoustans (ou homeland) –, plus de 90 % des terres étant ainsi réservées à la minorité blanche.
3.3. Évolution de l'Union sud-africaine de 1910 à 1948
La Première Guerre mondiale
En août 1914, l'Union déclare la guerre à l'Allemagne ; cela se traduit surtout par une expédition dans le Sud-Ouest, qui est occupé (reddition des Allemands en juillet 1915). En 1916, l'Afrique-Orientale allemande tombe à son tour sous les coups de Jan Christiaan Smuts. Après la guerre, l'Union sud-africaine recevra de la Société des Nations (SDN) le mandat d'administrer le Sud-Ouest africain (actuelle Namibie).
Nationalisme afrikaner et premières tentatives de résistance
Le National Party et la « ségrégation honorable »
En janvier 1913, le général James Hertzog fonde le National Party antibritannique, issu d'une scission du parti afrikaner dirigé par L. Botha (mort en 1919) puis par son successeur à la tête du gouvernement, le général Smuts. Ce dernier doit faire face à une coalition du parti travailliste et du National Party, dont le leader, James Hertzog, devient Premier ministre (1924) et participe à la Conférence impériale de 1926 à l’issue de laquelle la pleine autonomie est accordée aux dominions, membres librement associés au Commonwealth (déclaration Balfour du 19 novembre).
Le National Party se fait le champion de l'eerbaare apartheid, « ségrégation honorable », selon laquelle les indigènes doivent être séparés des Blancs. Le nationalisme afrikaner se traduit par l'annexion de fait du Sud-Ouest africain et par des visées sur d'autres territoires d'Afrique australe, principalement la Rhodésie. Racisme et nationalisme font leur apparition lors de la grève des ouvriers européens de 1922, qui a pour origine une décision de la Chambre des mines de 1921 modifiant le système de recrutement des Noirs. Des mesures sont prises, permettant d'embaucher des Africains pour un salaire qui peut être le dixième de celui des Blancs.
D’autres mesures de discrimination sont adoptées : outre la restriction du droit de vote, l’application stricte des pass laws – lois imposant des permis de circulation aux Noirs à la recherche d’un emploi adoptées dès le début de la colonisation en vue de contrôler cette main-d’œuvre – est ordonnée à la suite de la crise de 1929.
La résistance de l'élite politique noire
Face à cette intensification de l’apartheid, l’élite politique noire, organisée depuis 1912 avec une plate-forme réformiste et modérée au sein de la South African Native National Convention (SANNC), rebaptisé African National Congress (ANC) en 1923, tente de consolider sa résistance avec celle de l'All African Convention (AAC) en 1935. Elle essaie surtout, depuis la création, en 1919, de l'Industrial and Commercial Workers Union (ICU), de développer son action sur le terrain syndical. Malgré quelques succès, cette mobilisation sociale se solde cependant par un échec à la fin des années 1920.
Par ailleurs, fondé 1921, le parti communiste sud africain (South African Communist Party ou SACP) est la première organisation politique non raciale du pays.
L'United Party
Alors que James Hertzog et Jan Smuts décident de faire alliance en créant l’United South African National Party, ou United Party (UP), qui remporte les élections de 1934, Daniel Malan et ses partisans font scission pour créer un « parti national purifié », qui prend la tête de la minorité raciste et extrémiste au Parlement.
La Seconde Guerre mondiale
En 1939, Hertzog, qui a proposé la neutralité, est mis en minorité et démissionne, rejoignant le Dr Malan au sein d’un Parti national réunifié (Herenigde Nasionale Party, HNP). Smuts, qui lui succède (1939-1948), lutte contre l'influence du nazisme, mais ne peut contenir la vague des « pauvres Blancs », qui proclament la supériorité des Afrikaners sur les Anglais et celle des Blancs sur les Noirs.
3.4. La poussée ségrégationniste (1948-1961)
La politique stricte d'apartheid du Dr Malan
À la tête du National Party (nouveau nom du HNP), le Dr Malan triomphe aux élections de 1948 et devient Premier ministre (1948-1954) : la politique d'apartheid s'étend dès lors non seulement aux Noirs, mais aussi aux Indiens du Natal, privés du droit de vote (1948). Les mariages mixtes sont interdits puis les relations sexuelles entre Blancs et non Blancs ; toute une législation (Population Registration Act, Group Areas Act, 1950-1953) sépare les communautés sur une base raciale, restreint les libertés des Noirs et vise même à gêner l'installation de Britanniques dans l'Union et l'éventuel développement du parti communiste.
Parallèlement, la politique expansionniste se poursuit : l'annexion du Sud-Ouest devient effective en 1949.
Le référendum de 1960 : vers la République d'Afrique du Sud
Les successeurs du Dr Malan, J. C. Strijdom (1954-1958) et Hendrik Frensch Verwoerd, accentuent sa politique. C'est ainsi que les métis du Cap sont rayés des listes électorales (1956).
Ces mesures exaspèrent l'opposition indienne et noire. En 1952, l'African National Congress et son chef, Albert Luthuli, lancent un « mouvement de défi », caractérisé par la désobéissance civile. Malgré la répression, le mouvement se poursuit et culmine lors du massacre de Sharpeville, où, le 21 mars 1960, 69 protestataires pacifiques sont tués par la police.
Exaspéré par les critiques de l'ONU et du Commonwealth à l'égard de sa politique, et particulièrement de l'apartheid, le National Party organise le 5 octobre 1960 un référendum, qui s'avère largement favorable à la république et à la sécession à l'égard du Commonwealth.
Pour en savoir plus, voir l'article Afrique du Sud : vie politique depuis 1961.