Arménie
en arménien Hayastan
Région du Proche-Orient, aujourd'hui partagée entre la Turquie (pour la plus grande part), la République d'Arménie et l'Iran (pour une part très faible).
Le concept géographique d'Arménie correspond à une région historique et ethnique dont les frontières ont varié. À l'époque moderne, le terme s'est appliqué essentiellement au pays situé entre les lacs de Van et Sevan, les cours supérieurs du Murat, de l'Euphrate et du Çoruh. Ce haut pays, accidenté de bassins et de reliefs volcaniques (Ararat), au climat continental rude, presque complètement déboisé, avait gardé une importante population qui, à la suite des événements de la Première Guerre mondiale (déportations, exode et massacres), a été dispersée en ce qui concerne la partie ottomane.
HISTOIRE
1. Du paléolithique aux Séleucides
Probablement peuplée dès l'ère paléolithique, l'Arménie est l'un des berceaux de la révolution néolithique. Autour du lac de Van, un État, l'Ourartou, se forme vers le ixe siècle avant J.-C., réunissant les diverses tribus du plateau arménien ; rival de l'Empire assyrien, il est submergé par les attaques des Cimmériens, des Scythes et des Mèdes au viie siècle avant J.-C.
C'est alors que sont mentionnés les Arméniens : leur origine reste obscure, mais on a longtemps admis que ces Indo-Européens se seraient mélangés à la population ourartéenne. Ils donnent leur nom au pays.
L'Arménie est d'abord une satrapie vassale de l'empire des Mèdes (612-549 avant J.-C.), puis des Achéménides (549-330 avant J.-C.), avant d'être intégrée à l'empire d'Alexandre le Grand. Après la mort d'Alexandre, elle se dégage progressivement de la suzeraineté séleucide.
2. D'Alexandre le Grand aux Abbassides
La défaite d'Antiochos III à Magnésie (189 avant J.-C.) permet aux stratèges d'Arménie, Artaxias et Zariadis, de prendre le titre de roi, respectivement de Grande Arménie et de Sophène-Arzanène, instaurant, pour la première fois, l'indépendance du pays.
2.1. Naissance de la Grande Arménie
Sous le règne unificateur et conquérant de Tigrane II le Grand (95-vers 54 avant J.-C.), l'Arménie domine tout le Moyen-Orient, de la Transcaucasie à la Palestine, de la Caspienne à la Méditerranée. Cet empire, qui a pour capitale Tigranocerta, ne résiste pas au choc des armées romaines de Pompée et, jusqu'au viie siècle de notre ère, l'Arménie, tantôt vassale (province romaine de 114 à 117), tantôt indépendante, devient un État tampon, champ de bataille permanent entre les puissants empires voisins.
2.2. Entre Romano-Byzantins et Parthes
Vers 390, Parthes et Romains se partagent le pays. La partie romaine, puis byzantine est administrée par un comte, avec pour capitale Karin (→ Erzurum). La Persarménie conserve d'abord une dynastie nationale, avant d'être gouvernée par un marzban qui réside à Dwin. La société, de type féodal, est dominée par des nakharars (seigneurs), qui se révoltent fréquemment contre le pouvoir central.
Conversion au christianisme
Dans ce premier État à adopter officiellement le christianisme (301), à la suite de la prédication de Grégoire l'Illuminateur, l'unité nationale se forge autour de l'Église arménienne, dans la lutte contre le mazdéisme persan.
Le schisme avec les Églises d'Occident (conciles de Chalcédoine [451] et de Dwin [506]), l'invention d'un alphabet original par le moine Mesrop Machtots (361-440), enfin le rôle dirigeant de cette Église autocéphale, dirigée par un catholicos, seule organisation commune à tous les Arméniens, favorisent un phénomène de confusion entre identités religieuse, culturelle et nationale, en l'absence d'une unité politique.
Cette tendance est renforcée lorsque, vers 640, les Arabes entreprennent la conquête et la conversion du pays à l'islam, comme en témoigne l'épopée de David de Sassoun.
3. Le royaume souverain des Bagratides (885-1079)
L'affaiblissement du pouvoir abbasside au ixe siècle permet à plusieurs princes arméniens de s'émanciper et de constituer des États semi-indépendants. Le plus important d'entre eux, le royaume souverain des Bagratides (885-1079), correspond à l'une des périodes les plus brillantes de l'histoire etde la civilisation arménienne, autour de la nouvelle capitale, Ani.
Impuissant à réaliser l'unité du pays, il succombe aux coups portés par Byzance (prise d'Ani en 1045), qui se révèle incapable de le défendre contre les Turcs Seldjoukides (destruction d'Ani en 1064). La Grande Arménie sera tour à tour ravagée par les Seldjoukides, les Mongols de Gengis Khan et de Timur Lang, les Turcomans.
4. Le royaume arménien de Cilicie ou le royaume de Petite Arménie (1180-1375)
Sous la conduite d'un prince bagratide, Rouben, des Arméniens émigrent en masse vers la Cilicie : un nouvel État, la Petite Arménie, y est fondé en 1080. Ses princes soutiennent les croisés dans leur lutte contre l'islam et nouent des alliances familiales avec les seigneurs francs. L'influence latine s'exerce fortement.
Sous le règne de Léon II le Magnifique (1187-1219), la Petite Arménie est érigée en royaume feudataire du Saint Empire romain germanique et reçoit une organisation analogue à celle des États latins d'Orient (les Assises d'Antioche y ont force de loi). La prospérité du royaume cilicien, aux xiie et xiiie siècles, est fondée sur le commerce méditerranéen. Une culture arménienne originale s'y développe.
Malgré un essai d'alliance avec les Mongols, ce royaume succombe aux attaques des Mamelouks d'Égypte en 1375 (prise de Sis). Son dernier souverain, Léon VI de Lusignan, meurt à Paris en 1393.
5. Entre Turcs ottomans et Perses
Du xvie au xviiie siècle, l'Arménie est l'enjeu de conflits dévastateurs entre les Turcs Ottomans et la Perse. Dans ces deux États musulmans, les Arméniens ne sont reconnus qu'en tant que communauté religieuse.
5.1. L'Arménie orientale
Finalement, l'Arménie est partagée entre l'Empire ottoman et la Perse, qui reçoit sa partie orientale (régions de Erevan, du Nakhitchevan et du Karabakh). Cette période est marquée, notamment, par des déportations massives de la population, sur l'ordre de Chah Abbas Ier, dans la région d'Ispahan (Nor Djoulfa). Sous la direction de quelques méliks (princes), le Karabakh montagneux reste un dernier refuge d'autonomie, voire d'indépendance (1722-1730).
5.2. La nation arménienne dans l'Empire ottoman
Dans l'Empire ottoman, ils constituent, depuis 1461, l'Ermeni Millet (nation arménienne), sous la responsabilité du patriarcat de Constantinople, qui exerce des charges à la fois spirituelles et temporelles. Parmi les Arméniens de Constantinople se forme une petite oligarchie de financiers et de grands négociants (amira), proche du pouvoir ; mais la majeure partie de la nation, les paysans et petits artisans des vilayets (provinces) de l'Est sont soumis, sur leurs terres, à l'arbitraire des gouverneurs et des grands propriétaires fonciers, ainsi qu'aux brigandages des tribus nomades kurdes.
L'oppression s'accentue au xixe siècle, avec la décadence de l'Empire et une évolution démographique défavorable aux chrétiens (installation de tribus kurdes et de réfugiés musulmans de Russie et des Balkans en Anatolie). Exactions fiscales, expropriations, pillages, viols, massacres provoquent de nombreux exodes. Après avoir attendu en vain l'aide de la papauté et des princes européens, les Arméniens reportent leurs espoirs de libération sur la Russie orthodoxe, qui s'étend au Caucase, aux dépens des Empires ottoman et persan.
Pour en savoir plus, voir l'article Empire ottoman.
6. xixe siècle
6.1. Les Arméniens dans la Russie tsariste
Par les traités de Gulistan (1813), de Turkmantchaï (1828) et d'Andrinople (1829), l'Arménie orientale (khanats de Erevan, du Nakhitchevan et du Karabakh) passe sous domination russe. 150 000 Arméniens de Perse et de Turquie y ont déjà émigré en 1830.
Dans la Russie tsariste, les Arméniens trouvent la sécurité et connaissent un certain développement économique. Le contact avec la pensée russe et occidentale et l'écho des révolutions européennes de 1848 favorisent une renaissance culturelle et le réveil de la conscience nationale, sous la direction d'une intelligentsia laïcisée.
6.2. La guerre russo-turque
Dans l'Empire ottoman, l'ère du Tanzimat (réformes) aboutit, en 1863, à l'octroi d'une Constitution nationale arménienne qui garantit l'autonomie religieuse et culturelle extraterritoriale des Arméniens, sans que la situation des provinces orientales évolue réellement. Lors de la guerre russo-turque de 1877-1878, l'armée russe, qui, sous la conduite d'officiers arméniens du Caucase (Hovannès Lazarev, Loris-Melikov) conquiert Kars, Ardahan et Batoum, est accueillie en libératrice.
Par l'article 16 du traité de Berlin (1878), la Sublime Porte s'engage aux réformes nécessaires dans les provinces arméniennes. Mais cet article, acte de naissance officiel de la « question arménienne », ne sera jamais appliqué. Au contraire, la protection intéressée de la Russie désigne les Arméniens comme sujets dangereux et provoque un durcissement de la politique du sultan à leur égard.
6.3. Naissance du nationalisme arménien
Précédés par des révoltes spontanées de paysans et de bandits d'honneur, préparés par l'activité littéraire des intellectuels (→ Abovian, Raffi), apparaissent les premiers partis politiques arméniens : Armenakan (Van, 1885) ; Hintchak (« la Cloche », Genève, 1887), de tendance marxiste ; Dachnaktsoutioun (« Fédération » révolutionnaire arménienne ; Tiflis, 1890), proche des populistes. Tous se donnent pour but l'application des réformes, la défense et l'émancipation de l'Arménie turque, sur la base des libertés démocratiques et de l'égalité de tous les peuples, jusqu'à l'autonomie, voire l'indépendance. Des partisans fedaîs organisent l'autodéfense des paysans et les éveillent à la conscience politique. Leurs prouesses enflamment l'imagination populaire comme en témoigne le folklore.
6.4. La répression du sultan Abdülhamid II
En 1895, le sultan Abdülhamid II réagit par une politique de massacres, qui provoquent la mort de 100 000 à 200 000 Arméniens et l'exode d'autant de réfugiés vers le Caucase ou l'Occident. La prise de la Banque ottomane de Constantinople, en 1896, par les dachnaks est une tentative de protestation contre l'indifférence des grandes puissances.
7. Les débuts tragiques du xxe siècle
7.1. La lutte contre le régime tsariste
Au Caucase, la politique tsariste envers les allogènes se durcit aussi : russification, fermeture des écoles et confiscation des biens du clergé arménien (1903). Le mouvement révolutionnaire s'étend ; des groupes marxistes, sociaux-démocrates et spécifistes apparaissent. À partir de 1904, le parti dachnak inclut dans son programme la lutte contre le régime tsariste, qui prend une forme terroriste. Pendant la « guerre » arméno-tatare de Transcaucasie (1905-1906), il devient le parti hégémonique de la société arménienne.
Les fedaîs arméniens soutiennent efficacement la première révolution iranienne de 1906-1912, et le parti dachnak contribue au triomphe de la révolution jeune-turque en 1908. Le Dachnaktsoutioun adhère à la IIe Internationale en 1907, tandis qu'un nouveau parti, Ramkavar-Azadakan (démocrate-libéral, 1908), reflète les aspirations plus modérées de la bourgeoisie. Cependant, après une brève période de fraternisation entre les peuples de l'Empire ottoman, de nouveaux massacres (Adana, 1909 : 30 000 morts) et une politique de turquification provoquent déceptions et inquiétudes.
7.2. Le génocide arménien de 1915-1916
Un plan de réformes pour l'Arménie est imposé par les grandes puissances. La Première Guerre mondiale empêche son application et permet au gouvernement jeune-turc (triumvirat Talat-Enver-Djamal) d'en finir avec la question arménienne. Le 24 avril 1915, l'élite intellectuelle et politique de Constantinople est massacrée, juste avant que commencent la déportation et l'extermination systématique de la population arménienne : 1 500 000 morts sur les 2 300 000 Arméniens qui restaient dans l'Empire ottoman.
Pour en savoir plus, voir l'article génocide arménien.
7.3. La première République indépendante d'Arménie
Les rescapés de ce génocide se réfugient au Caucase, en Iran, en Syrie ou en Occident. L'Arménie occidentale est vidée des Arméniens. La révolution russe de 1917 laisse les Caucasiens seuls face à la Turquie. Ils forment une Fédération transcaucasienne (avril 1918), qui se dissout sous la pression turque. Le 28 mai 1918, après la Géorgie et l'Azerbaïdjan, la République d'Arménie est proclamée et reconnue par le traité arméno-turc de Batoumi (4 juin 1918).
Pour en savoir plus, voir l'article Arménie.