Panorama

Introduction

Malgré l'irruption de nouvelles images télévisuelles et un changement de majorité politique, la culture aura, en 1986, continué son irrésistible ascension. Nouvelles images télévisuelles : les débuts d'émission de la « 5 » (le 20 février) et de TV6 (le 1er mars), la décision de privatiser TF1, entérinée au mois d'août, n'ont nullement affaibli les vertus d'un mot de plus en plus magique. Bien au contraire. Ainsi, l'attribution de TF1 en 1987 se fera-t-elle, notamment, selon le critère inédit du « mieux-disant culturel ». De plus, tout au long de l'année, les structures et compétences de la « 7 », la Société d'éditions de programmes de télévision, que préside l'historien Georges Duby, se seront affinées : sa vocation est de devenir une super-chaîne de production culturelle, destinée notamment au satellite européen TDF1. Changement politique : l'arrivée de François Léotard et de son secrétaire d'État Philippe de Villiers, dans ce qui est devenu le ministère de la Culture et de la Communication, le réexamen général des grands projets architecturaux du septennat de François Mitterrand n'ont guère bouleversé l'édifice culturel mis en place par cinq années de gestion socialiste. Le doublement du budget, c'est-à-dire de l'activité, du ministère de la rue de Valois, a été pour l'essentiel confirmé, les « grands chantiers du président » conservés, à la seule exception du Carrefour de la Communication. Même le plus controversé, l'Opéra de la Bastille, sera finalement construit, afin d'abriter « une grande salle de théâtre à vocation musicale, chorégraphique et lyrique », le palais Garnier conservant, lui, sa « vocation lyrique ». Voilà l'héritage de Jack Lang endossé, mais avec deux légers et significatifs infléchissements : une attention plus marquée envers le patrimoine, avec la nouvelle école qui lui est consacrée, des crédits en hausse pour la Bibliothèque nationale ou l'Institut français d'histoire de l'art ; et la promotion de l'« entreprise culturelle », dans la lignée du Puy-du-Fou, l'étonnant festival son et lumière créé en Vendée par Philippe de Villiers, mariant brillamment mémoire locale, grand spectacle, succès populaire et... financier.

Cette année de changement aura vu, en définitive, la conclusion de deux grandes opérations entamées sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing et poursuivies par la gauche au pouvoir : ouverture, le 14 mars, de la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette, le plus grand musée technique du monde, et le 9 décembre, du musée d'Orsay, consacré au xixe siècle, musée à l'inauguration duquel le président en exercice, accompagné de son prédécesseur, pouvait évoquer un « bel exemple de continuité esthétique ».

Car la culture fait aujourd'hui l'unanimité. Dressant un bilan impressionnant de l'explosion du phénomène, l'Express parlait même au mois de mai de « nouvelle communion des Français ». Fût-ce quand ceux-ci s'en disputent les reliques, comme ces plans-reliefs des Invalides, trop hâtivement déménagés à Lille et revendiqués à la fois par la capitale et par la grande métropole du Nord. Ou quand, de façon inattendue, resurgit une nouvelle version de l'éternelle querelle des anciens et des modernes, à propos des fameuses colonnes de Daniel Buren, dans la cour du Palais-Royal, décidées avant mars 1986 et finalement autorisées par François Léotard : droit moral de l'artiste et continuité de l'État obligent ! Une bataille du style dont notre pays est coutumier, et qui témoigne d'un tiraillement très national, entre l'obligation de modernité et l'attachement à un patrimoine prestigieux.

L'arbre contesté ne devrait pas cacher la forêt. Partout la culture est en hausse, portée notamment par une remarquable mobilisation financière des municipalités, devançant, dès les années 70, l'État. En 1962, la part des budgets communaux qui lui était consacrée oscillait autour de 2,4 p. 100. Elle bondit, entre 1967 et 1981, de 4,2 à 8,7 p. 100, pour atteindre aujourd'hui 11 p. 100. Et ce, quelle que soit la couleur politique des maires. Ailleurs, le décor culturel est à la mode : la direction du plus prestigieux fabricant de hamburgers a, par exemple, tapissé ses établissements des Halles et du boulevard Saint-Michel de bibliothèques en trompe-l'œil ! Le mécénat culturel a, lui, le vent en poupe, les entreprises françaises commençant à combler, en la matière, le retard pris, depuis plus d'un siècle, sur les États-Unis, comme en faisait foi Creacom, le premier Salon international du sponsoring et du mécénat, qui s'est tenu en novembre au palais cannois des festivals.