Trois aspects marquent, au fond, cette vague multiforme : la recherche de racines, soit un puissant désir de « loisir-patrimoine » ; la médiatisation de plus en plus poussée du fait culturel, avec la mise sur pied d'innombrables « événements » ; la tendance à tout annexer – rock, bande dessinée ou mode – à la culture, le tout assorti d'un souci marqué pour les apparences, le style, qu'il soit emballage ou contenu. Besoin irrépressible d'identité historique d'abord. Les fouilles du Grand Louvre, au pied de ce qui sera un jour le plus grand musée du monde, sont ici symptomatiques d'une plongée générale dans les tréfonds du passé national : romans, biographies, émissions radiophoniques (Ève Ruggieri). À ce titre, trois regards en arrière éditoriaux auront marqué l'année, l'Identité de la France, de Fernand Braudel, le maître de la « nouvelle histoire » s'attachant, à la veille de sa disparition, à dégager les permanences du destin national ; les Lieux de mémoire, dirigés par Pierre Nora, inventoriant tous les lieux – cérémonies, symboles, monuments, musées... – où se cristallise celui-ci et le De Gaulle de Jean Lacouture, cernant la carrière de celui qui fut, après tout, le dernier « héros » de l'Histoire de France.
Les deux grandes écoles d'histoire nationale apparaissent, en filigrane, dans les recherches archéologiques menées au Louvre ces deux dernières années (Un laboratoire d'archéologie urbaine, par Brigitte Gandiol-Coppin). Classiques et monumentales pour celles de la cour Carrée, dirigées par Michel Fleury ; plus attachées aux détails de la vie quotidienne pour celles de la cour Napoléon. Humbles témoins d'une vie parisienne vieille d'un millénaire, les ossements, tessons et menus objets qui furent retrouvés complétaient, après tout, les prestigieuses fortifications exhumées dans la première. Pressés par le temps, les archéologues ont dû interrompre définitivement leur travail à la mi-novembre. D'où l'inévitable question : le public pourra-t-il accéder à cette tranche inédite du passé de la capitale ? Intégrée à l'ensemble des aménagements du Grand Louvre, une crypte archéologique est prévue à cet effet pour la cour Carrée. Ce n'est pas le cas, semble-t-il, pour la cour Napoléon, là même où doit se dresser la pyramide de verre symbole du futur musée. À l'ère où toute production culturelle ne saurait se concevoir sans diffusion vers un vaste auditoire, il y a là un oubli surprenant, un essai non transformé.
Car l'année aura consacré, au centre Pompidou, le temple par excellence de la consommation culturelle, un de ces événements qui font date, l'exposition Vienne 1880-1938 : Naissance d'un siècle. Assortie d'une belle série de suppléments indispensables : catalogue de 820 pages (un record !), débats, concerts, reconstitution d'une pâtisserie viennoise, objets dessinés par les grands créateurs viennois et proposés au public. Celui-ci était au rendez-vous : près de 450 000 entrées, l'une des plus grosses affluences de Beaubourg depuis Dali ou Bonnard.
L'engouement pour l'ancienne capitale de la double monarchie austro-hongroise est sensible, de fait, depuis une décennie, avec la découverte de peintres tels Klimt ou Schiele, d'architectes comme Loos ou Hoffmann, de penseurs tel Wittgenstein (voir le Mythe de Vienne, par F. G. Dreyfus). Mais de quelle ville s'agit-il ? Les 2 000 œuvres rassemblées à Beaubourg évoquaient une Vienne à peine moins mythique que celle véhiculée par la valse, l'opérette ou les aventures cinématographiques de Sissi impératrice, celle plutôt d'une galerie de génies transcendant avec élégance les clivages culturels, maniant aussi bien la plume que le pinceau. L'antithèse du modernisme avant-gardiste et intolérant qui domina la majeure partie du xxe siècle. Nous préférons désormais un idéal « postmoderne » : apolitisme ironique, souci du décor et du style, emprunts choisis au passé. Au cœur d'une Europe centrale marquée par la Contre-Réforme baroque, Vienne nous devient en ce sens très proche, privilégiant une vision théâtrale du monde, marquée par tous les arts de la représentation : peinture, musique, architecture. Cette éthique qu'exprime à merveille l'héroïne d'une pièce du Viennois Hofmannsthal, le Chevalier à la rose : « Et c'est dans la manière que réside toute la différence. » Aux yeux d'une époque passionnée de mode et de looks (fut-ce en politique !), Vienne apparaît ainsi comme un troublant miroir...