René Harot
Histoire
1986 a été l'année des bilans. Lors du colloque réuni en mars à Paris par l'Unesco, les fidèles de Clio constatèrent qu'« Être historien aujourd'hui » posait le problème de l'objectivité. Sans porter atteinte à la valeur scientifique de leur œuvre, l'immersion des historiens dans leur temps modifie de fait le champ de leurs recherches. Ce n'est pas pur hasard si les médiévistes démontent les mécanismes de formation de l'État justement en ce xxe siècle, où l'on a tant renforcé son appareil. Les exemples foisonnent en 1986 : traduction en français chez Gallimard de l'ouvrage d'Andrew Lewis, le Sang royal. La famille capétienne et l'État, France xe-xive siècles ; publication par l'École normale supérieure de celui de Françoise Autrand, Prosopographie et genèse de l'État moderne ; animation par ce dernier auteur et par le professeur Philippe Contamine du groupe de recherches sur les Pouvoirs du xiiie et xvie siècle à l'École normale supérieure et à l'université de Paris X. Parallèlement, la personnalisation du pouvoir explique le succès des études biographiques au contenu renouvelé grâce à une relecture des sources.
La volonté de la monarchie de contraindre la noblesse à renoncer à ses droits pour mieux renforcer l'État explique la lutte que mènent les souverains pour éteindre ses ardeurs fratricides, ce que démontre François Billacois dans sa thèse, le Duel dans la société française des xvie et xviie siècles. Essai de psychosociologie historique (EHSS, Paris, 1986). Le Dictionnaire des sciences historiques du nouveau responsable des Annales, André Bruguière (PUF, 1986), fait prendre conscience de l'élargissement continuel du champ de recherche des historiens. Fernand Braudel a su synthétiser leurs apports dans un message d'adieu : cette Identité de la France dont il ne rédigea que les deux premiers volumes avant sa mort : Espace et Histoire et les Hommes et les Choses (Arthaud-Flammarion, 1986).
Pierre Thibault
Littérature française
Si le monde littéraire a été traversé d'un vent de folie et de non-conformisme quand l'Académie française a élu en son sein Bertrand Poirot-Delpech, romancier malicieux, chroniqueur au Monde, et Jacques Laurent, le père de Caroline chérie, la France n'a pas oublié ses valeurs sûres en célébrant les centenaires de Pierre Benoit, de Pierre Loti et d'Alain-Fournier et, surtout, le dixième anniversaire de la mort de Malraux. Les classiques contemporains ont été salués aussi en la personne de Jean Genet, malgré les réactions diverses à son dernier livre Un captif amoureux, remis à la maison Gallimard peu de jours avant sa mort.
En cette fin de siècle où l'audiovisuel est roi, le public a encore un intérêt pour la lecture ; il l'a montré par son empressement au 6e Salon du livre, au Grand Palais, où conférences, signatures, rencontres avec les écrivains ont guidé ses achats. Le prix des Libraires a été décerné à cette occasion à Robert Mallet pour Ellyne. Les lecteurs semblent avoir surtout prisé les essais : en témoignent les meilleures ventes pour L'un est l'autre, d'Élisabeth Badinter (chez Odile Jacob), une réflexion historique sur le couple, Biologie des passions, de Jean Didier Vincent (Odile Jacob), Catherine de Médicis, de Jean Orieux (Flammarion), Louis XIV, de François Bluche (Fayard).
Mais le roman reste le meilleur mode d'évasion, même quand les romanciers font revivre de manière plus ou moins autobiographique l'épopée familiale, qu'elle soit enfantine : l'Écolier des rêves de Georges-Emmanuel Clancier (Albin Michel) ou tragique et hallucinée : la Vie Ripolin, de Jean Vautrin (Mazarine) ; qu'elle soit douloureuse : l'Absence, de Jean-Denis Bredin (Gallimard), ou tendre : Comète, ma comète, de Régis Debray (Gallimard). L'amour a toujours sa place privilégiée dans la littérature quand il dit toutes les violences du cœur et du corps, Désirs d'Irène Frain, ou la Passion des femmes de Sébastien Japrisot, ou Corps de jeune fille : ce premier roman d'Élisabeth Barillé, publié chez Gallimard, révèle la plume drôle, élégante et joueuse d'un auteur de vingt ans. Parfois l'amour se fait enlisement dans la médiocrité quotidienne, c'est l'objet du livre de Danielle Sallenave, la Vie fantôme ou celui de Jacques Bellefroid, le Voyage de noces. Mais il est aussi le prétexte à de folles ou magnifiques aventures qui ont ravi le grand public, comme l'Impératrice, de Jean-Loup Sulitzer, ou encore l'Année de l'oiseau-tonnerre, de Sabine Cayrol.