L'ancien président n'a pas été inactif en 1984. Il a publié en février un nouveau livre, Deux Français sur trois, qui a remporté un grand succès dans les librairies tout en marquant un infléchissement conservateur de sa part. L'affaire des « avions renifleurs » soulevée par l'Administration des finances et exploitée par le gouvernement Mauroy lui a permis de répliquer vertement et de vérifier que son successeur à l'Élysée n'entendait pas l'embarrasser. En septembre, il a retrouvé son siège de député du Puy-de-Dôme avec 63 % des suffrages, faisant en octobre sa rentrée au Palais-Bourbon. Il a enfin normalisé ses relations avec Jacques Chirac. Celui-ci, en se rendant au conseil national du parti républicain — qui a confirmé à sa place de secrétaire général le jeune François Léotard, le plus populaire des nouveaux dirigeants de l'opposition —, a témoigné de sa volonté unitaire.

Le RPR a lui aussi voulu faire peau neuve. À ses assises nationales de novembre, le secrétaire général Bernard Pons s'est effacé devant son cadet Jacques Toubon, un lieutenant inconditionnel et dynamique du maire de Paris. Le parti néogaulliste a précisé aussi son « projet politique » qui marque un certain retour aux sources et prend des distances avec l'idéologie libérale, fort à la mode cette année. Jacques Chirac, préoccupé par l'ascension du Front national qui séduit une partie de ses sympathisants, a lui aussi durci le ton, notamment en matière de mœurs. Comme Valéry Giscard d'Estaing, et à l'inverse de Raymond Barre, il a cependant souligné qu'en cas de victoire de l'opposition il était prêt à jouer le jeu de la « cohabitation » institutionnelle avec le président Mitterrand. Mais il est vrai que sa demande réitérée de dissolution de l'Assemblée nationale durant l'été semble quelque peu contradictoire avec ces intentions. En fait, Jacques Chirac, qui dispose des troupes les plus nombreuses et les mieux organisées, est irrité par la percée de Raymond Barre. D'où son rapprochement avec Valéry Giscard d'Estaing, dont le problème est le même... en plus aigu.

La situation de la gauche paraît en somme, à la fin de l'année 1984, plus mauvaise que la situation de la droite n'est vraiment bonne. Le gouvernement est impopulaire. La détérioration du marché de l'emploi le handicape terriblement. L'an 1984 reste pour lui l'année du divorce involontaire avec son partenaire communiste. Le déclenchement durant les dernières semaines de l'année de l'affaire de la Nouvelle-Calédonie complique encore sa position. Le boycott des élections de l'Assemblée territoriale par les indépendantistes ayant conduit à une victoire des partisans du maintien dans la République, de graves incidents ont éclaté (fermes incendiées, routes coupées, gendarmeries occupées, sous-préfet séquestré) ; une fusillade a fait 10 morts, tous canaques. Le gouvernement expédie alors l'ancien ministre gaulliste Edgard Pisani, devenu rocardien, à Nouméa avec de larges pouvoirs et le titre de haut-commissaire délégué du gouvernement. L'objectif est de mettre au point en deux mois un processus d'autodétermination permettant d'aboutir à une solution qui satisfasse les indépendantistes tout en protégeant les droits des Européens. Une tâche plus qu'ardue qui suscite une nouvelle polémique sur la capacité du gouvernement à faire régner l'ordre. Le fond de l'affaire reste cependant que le parti socialiste ne représente actuellement à lui seul qu'au mieux le quart des Français et qu'il est difficile de gouverner en s'appuyant sur une base aussi étroite. Personne ne met en doute la légitimité du pouvoir (le boycott organisé par l'opposition lors du voyage de François Mitterrand en Alsace s'est retourné contre ceux qui en avaient pris l'initiative), mais la fragilité de la majorité demeure grande. En décembre, François Mitterrand décide un remaniement limité de l'équipe Fabius. Roland Dumas, un ami personnel de trente ans, devient ministre des Relations extérieures à la place de Claude Cheysson. Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales et de la Solidarité nationale, hérite de ses fonctions de porté-parole, Catherine Lalumière jusqu'alors secrétaire d'État à la Consommation recevant ses attributions des Affaires européennes. Ainsi le chef de l'État pourra-t-il en 1985 s'appuyer sur un homme avec qui il sait pouvoir travailler efficacement en ce qui concerne la politique étrangère... et ainsi se consacrer davantage à la politique intérieure.