Beaucoup plus difficiles à résoudre sont les conflits dans l'automobile, dans la sidérurgie et à Creusot-Loire. Chez Simca-Talbot, puis chez Citroën (deux filiales du groupe privé Peugeot), la CGT mène l'offensive contre les suppressions d'emplois. Les affrontements, notamment avec les ouvriers immigrés, sont parfois brutaux. Dans le cas de la sidérurgie lorraine, c'est toute une province qui se sent sinistrée. Journées d'action et marches sur Paris se succèdent, généralement dans l'ordre, parfois avec des accès de violence locaux. L'enjeu est assez important pour que, en avril, François Mitterrand y consacre l'essentiel d'une conférence de presse, à l'issue de laquelle des pouvoirs élargis sont confiés au ministre de l'Industrie Laurent Fabius. Un plan social, ambitieux et coûteux, est là encore mis en place pour tenter de guérir les plaies. À Creusot-Loire, où le destin de l'entreprise concerne la ville entière, la tension se fait parfois menaçante.
C'est cependant sur un terrain plus proche du politique que se situent les deux principaux débats de ce premier semestre. Il y a la discussion du projet de loi sur la presse écrite qui s'éternise et fait rage. L'opposition dénonce avec une grande véhémence la machine de guerre édifiée contre le groupe Hersant, et le Palais-Bourbon devient le théâtre de joutes oratoires homériques.
Et puis le projet de loi Savary sur l'enseignement (dont l'enjeu est l'autonomie des écoles privées) prend une importance croissante d'un mois sur l'autre. Les partisans de l'école privée (c'est-à-dire, pour l'essentiel, catholique), très combatifs et très organisés, rassemblent leurs sympathisants dans des manifestations imposantes, disciplinées et résolues, dont le succès ne cesse de s'affirmer. Les laïcs, de leur côté, mobilisent eux aussi leurs troupes. Un compromis entre l'enseignement catholique et le gouvernement manque de peu d'être trouvé, notamment après une entrevue entre François Mitterrand et le cardinal-archevêque de Paris, Mgr Jean-Marie Lustiger. Mais il achoppe sur la question du statut des maîtres d'écoles libres. Le Premier ministre Pierre Mauroy, qui ne croit plus alors au compromis, fait quelques concessions à la gauche laïque. Le 24 juin à Versailles, une manifestation monstre, sans précédent par son ampleur depuis au moins mai 1968, jette dans la rue des centaines et des centaines de milliers de supporters de l'école privée. Bien entendu, une controverse s'engage sur le point de savoir si le million de manifestants a été ou non dépassé. Une chose est sûre : la querelle de l'école libre est devenue une affaire nationale capable de mobiliser des masses immenses. Les défenseurs du pluralisme scolaire sont en force. Leur puissance constitue un fait dont le gouvernement doit tenir compte sous peine de prendre des risques encore accrus.
Alarme pour la gauche
L'élection européenne du 17 juin vient en effet d'enregistrer, tout juste une semaine plus tôt, une grave défaite électorale pour la gauche. 43 % des Français se sont abstenus, parmi lesquels les électeurs socialistes et communistes ont proportionnellement été plus nombreux que ceux de l'opposition. Mais il n'empêche : il s'agit là de la première consultation populaire à l'échelle nationale depuis juin 1981. Elle se déroule au scrutin proportionnel intégral avec une circonscription unique. Impossible de réunir de meilleures conditions pour connaître l'état exact des forces : il est alarmant pour la gauche. Certes, la liste unique de l'opposition (RPR-UDF), menée par Simone Veil et par Bernard Pons, numéro 2 du parti néogaulliste, n'a obtenu que 43 % des voix, donnant ainsi raison a posteriori à ceux qui — comme François Léotard, secrétaire général du parti républicain — militaient pour deux listes au sein de l'opposition parlementaire. Mais, à côté de cette petite déconvenue, quel échec et quel avertissement pour la gauche : le parti socialiste, malgré la très honorable campagne de son leader Lionel Jospin, n'obtient que 21 % des voix. Le candidat François Mitterrand en avait rassemblé près de 26 % au premier tour des élections présidentielles : le recul est sévère et ramène le PS à la situation modeste de 1973.