Il en aura bien besoin. Le président de la République est en effet un analyste trop avisé pour ignorer les difficultés extrêmes de sa situation. Certes, il peut parier sur les rivalités entre les leaders de l'opposition et le fait qu'aucun d'entre eux ne bénéficie d'une popularité éclipsant celle de Michel Rocard, de Jacques Delors ou de Laurent Fabius. Mais les chiffres sont les chiffres. Ils indiquent que le rapport des forces à la fin de 1984 est de 60/40, dans les intentions de vote, au bénéfice de l'opposition. Les scrutins dans les démocraties occidentales touchées par la crise tendent à devenir de plus en plus négatifs, l'équipe en place, quelles que soient sa couleur et sa valeur, étant tenue pour responsable des malheurs du temps même si elle ne peut agir que partiellement et temporairement sur eux. Telle est cependant la règle du jeu qui s'impose à tous. Celle-ci place le chef de l'État sur la défensive et ne lui fait pas la part belle. Il lui faudra durant l'année 1985, qui sera celle de la préparation de l'échéance législative, faire preuve d'une résolution, d'un talent et d'une chance hors du commun pour rétablir ses affaires. Les institutions de la Ve République lui donnent la durée et la stabilité, et il sait s'en servir. Mais, dans l'année qui reste avant le verdict des électeurs, il ne sera pas aisé de remonter un handicap de 20 points. Il dispose, certes, d'une équipe renouvelée, menée par un chef jeune qui a appris à gouverner. Il peut modifier le mode de scrutin et ne s'en privera pas. Il tentera d'attiser la discorde chez ses adversaires. Mais il sera jugé avant tout sur son bilan économique et social. À la fin de l'année 1984, celui-ci exaspère et mobilise l'opposition, déçoit et désoriente la « gauche profonde ». Il ne peut qu'aviver les difficultés avec le parti communiste.
L'année 1984, année de la rupture de l'exécutif socialiste avec son partenaire-rival communiste, aura donc vu la majorité parlementaire devenir potentiellement minoritaire dans le pays. L'élection européenne l'a vérifié et mesuré. Le divorce avec le PC creuse encore le handicap. 1984 n'a pas été une bonne année pour la France, qui a le plus grand mal à sortir de la crise : pour la gauche, elle prépare avec 1985 l'année de tous les dangers.
Alain Duhamel