Mais, si le parti socialiste enregistre un revers, le parti communiste, lui, subit un nouveau désastre. Avec 11 % des voix, le PCF obtient son plus mauvais score... depuis 1928. En cinq ans, il a perdu la moitié de ses suffrages. Ainsi, sa participation gouvernementale n'a en rien enrayé le déclin engagé. La formation de Georges Marchais reflue au pouvoir comme elle le faisait dans l'opposition. Elle a pourtant tout essayé : l'union, la désunion, la participation. Depuis le début de l'année, elle tentait d'expérimenter un nouvel équilibre. Les quatre ministres se montraient loyaux, le parti se comportait de façon de plus en plus critique (Georges Marchais parlant même d'« erreur tragique » à propos de la politique économique), la CGT agissait, elle, de façon franchement oppositionnelle. Cette défense graduée avait contraint Pierre Mauroy à exiger, c'était au Club de la presse, une « clarification » de la part du PC. Celle-ci n'a pas eu lieu avant l'élection, mais le parti communiste a été la première victime de sa propre ambiguïté. Certes, ses défaites depuis janvier aux élections municipales partielles de La Seyne-sur-Mer, de Brétigny-sur-Orge, de Noisy-le-Grand l'avaient averti. Mais, un mois avant la consultation européenne, il était parvenu à conserver ses bastions de Thionville et de Houilles, et avait pu ainsi croire que sa tactique devenait enfin payante. Il tombe de haut.

Pire, le Front national de Jean-Marie Le Pen fait pratiquement jeu égal avec lui, obtenant 11 % des voix. La percée de l'extrême droite est en réalité sensible depuis le début de l'année. Son chef de file a réussi à la télévision (à l'Heure de vérité sur Antenne 2) une habile prestation. On n'imaginait pourtant guère qu'il soit capable d'atteindre les 10 %. Il les dépasse de peu, faisant ainsi son entrée à l'Assemblée de Strasbourg. L'exploitation systématique des thèmes de l'immigration et de l'insécurité a payé, dans une France traumatisée par la crise. La droite, nettement majoritaire le 17 juin, s'est radicalisée. La gauche parlementaire réunit à peine le tiers des suffrages exprimés et, avec le renfort de l'extrême gauche et du centre gauche, n'atteint pas tout à fait les 40 %. François Mitterrand ne peut accepter sans réagir une telle défaite. Le gouvernement Mauroy, visiblement, est usé jusqu'à la corde, lui qui naguère était si populaire. Le président de la République a besoin de reprendre l'initiative, le temps des grandes manœuvres approche.

Le tournant de juillet

De fait, le chef de l'État déclenche une offensive estivale dès le mois de juillet. L'opposition a commis l'imprudence de demander au Sénat l'organisation d'un référendum sur l'enseignement privé. François Mitterrand la prend au mot. Le 12 juillet, il annonce qu'il engage une procédure de révision de la Constitution afin de permettre l'organisation ultérieure d'un référendum à propos des libertés publiques. Par la même occasion, il décide le retrait de la loi Savary sur l'enseignement. Ainsi recule-t-il habilement sans perdre la face sur le terrain le plus dangereux (celui de l'enseignement privé) et agite-t-il l'idée d'un référendum sur un sujet assez ambigu pour troubler l'opposition. Cette première initiative entraîne, cependant, une conséquence immédiate : le ministre de l'Éducation nationale Alain Savary, dont l'action se trouve ainsi démentie, démissionne. Pierre Mauroy avertit lui aussi le chef de l'État de son désir de se retirer. Il faut donc un vrai remaniement ministériel avec changement de Premier ministre. Le 17 juillet, François Mitterrand appelle à l'hôtel Matignon Laurent Fabius, 38 ans. C'est le plus jeune chef de gouvernement depuis plus d'un siècle. C'est aussi l'un des socialistes les plus brillants, les plus couverts de diplômes et surtout les plus proches du président. Son mitterrandisme est absolu. Son talent est grand. Son caractère demeure énigmatique. Et ses convictions mystérieuses. Est-il plutôt un social-démocrate, ou bien est-il le maximaliste qu'il semblait être durant la campagne présidentielle et tout au long de la première année qui a suivi la victoire de la gauche ? Son arrivée à l'hôtel Matignon surprend et intéresse.