Il ne va pas durer. La politique étrangère redevient en effet un sujet de discorde. Le président de la République s'est rendu au Maroc pour y rencontrer le roi Hassan II en un voyage présenté comme « strictement privé ». Cela n'abuse personne et, si les informations sont rares, la procédure fait grincer. L'annonce du retrait concomitant des troupes françaises et libyennes du Tchad, maladroitement exposée par le ministre des Relations extérieures Claude Cheysson (qui nie contre toute évidence la présence persistante de colonnes libyennes au Tchad), y est aussitôt reliée. Un voyage du président en Algérie (pour équilibrer celui qui a eu lieu au Maroc) suscite lui aussi une aigre controverse, l'annonce de la présence de Claude Cheysson aux fêtes de l'Indépendance (qui marquent aussi l'anniversaire du soulèvement du FLN contre la France et de l'assassinat d'Européens) étant rendue publique à cette occasion. Enfin, la rencontre en Crète de François Mitterrand et du colonel Kadhafi, puis le voyage en Syrie du chef de l'État ne sont pas bien accueillis. On critique le choix de ses interlocuteurs, on dénonce la « diplomatie du secret », on ne croit pas à la bonne foi du colonel Kadhafi. La visite officielle en Grande-Bretagne, théoriquement de tout repos, est entachée par un incident ridicule entre les polices française et britannique. Le succès du sommet européen de Dublin, où est réglée l'affaire du vin qui permet de débloquer les négociations pour l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans la Communauté européenne, et la cordialité de l'atmosphère lors de la visite à Paris du Premier ministre israélien, Shimon Peres, ne compensent pas ces nouvelles crispations.
Celles-ci n'expliqueraient pas à elles seules la nouvelle détérioration de l'image du président de la République et de la majorité qui ressort de tous les sondages à la fin de l'année. En fait, c'est d'abord l'angoisse des Français qui altère la cote des gouvernants. Jamais les chômeurs n'ont été aussi nombreux qu'à la fin de 1984. Le niveau de vie se tasse, le budget 1985 présenté à l'Assemblée nationale annonce une nouvelle année de « vaches maigres ». Les « nouveaux pauvres », ces victimes de la crise sans ressources dont l'abbé Pierre, une figure populaire des années 50, se fait le défenseur, font honte à tous, inquiètent les plus exposés, donnent mauvaise conscience aux autres. Une série d'assassinats abominables de vieilles dames dans le XVIIIe arrondissement de Paris (la couleur politique du gouvernement n'y est pourtant pour rien) ravive le sentiment d'insécurité qui est déjà très fort. Les perspectives sont mauvaises pour tous, l'exécutif se métamorphosant inévitablement en bouc émissaire de la mauvaise humeur générale. Cela se retrouve, dimanche après dimanche, dans les résultats des élections municipales et cantonales partielles que la gauche perd avec une régularité de métronome.
Au parti communiste, la préparation du congrès qui doit avoir lieu en février 1985 (ce sera le dernier avant les élections législatives et la stratégie à venir du PC devra y être adoptée) se déroule dans de mauvaises conditions. Le parti communiste a été pris comme cible à propos de deux affaires que la France tout entière a suivies à la télévision. L'emprisonnement à Kaboul du journaliste d'Antenne 2 Jacques Abouchar, entré clandestinement en Afghānistān pour y faire un reportage, a considérablement gêné le PC qui a feint de laver l'Union soviétique de tous soupçons dans l'épisode. Malheureusement pour lui, la nouvelle de la libération du journaliste français est venue de Moscou. À quelques semaines de là, le martyre d'un prêtre polonais, le père Popiéluszko, a rappelé la barbarie des méthodes de la police politique de ce pays. Une fois de plus, l'image de l'URSS et de ses États satellites a nui au parti communiste français. Par ailleurs, les contestataires du PC n'ont pas désarmé et, à travers les tribunes de discussions préparatoires au congrès, continuent d'exprimer leurs réserves et leurs réticences. La crise du PC n'est pas près d'être réglée. Le leadership de Georges Marchais lui-même est en cause. Tout cela ne peut que durcir les positions d'une direction attaquée de partout et qui pratique la fuite en avant en s'en prenant de plus en plus rudement au gouvernement socialiste.
Dans l'opposition
Le grand bénéficiaire de l'année 1984 s'appelle indubitablement Raymond Barre. L'ancien Premier ministre a vu toute l'année sa cote dans l'opinion monter dans les sondages. À l'UDF, il compte désormais de très nombreux sympathisants. Le CDS des centristes lui accorde un préjugé favorable, des radicaux sont prêts à le soutenir. Le groupe UDF de l'Assemblée lui est assez largement acquis. Le député de Lyon, qui a réussi une prestation télévisée remarquée en novembre à l'Heure de vérité, mène un parcours faussement solitaire. Il affiche son indépendance vis-à-vis des partis politiques, ce que les Français qui n'aiment guère les appareils accueillent bien. Il poursuit une stratégie résolument présidentielle, n'acceptant aucun accommodement avec le pouvoir de gauche, s'assurant la neutralité équivoque du Front national et menaçant ses deux rivaux, Jacques Chirac et Valéry Giscard d'Estaing, qui, de ce fait, se sont rapprochés au cours de l'année.