Afrique noire
Une zone secouée par des crises endémiques
L'évolution de la situation en Afrique sud-saharienne au cours de l'année 1983 montre, une fois de plus, qu'en dépit d'une tenace légende cette partie du monde n'est marquée au sceau ni d'une malédiction ni d'une bénédiction spécifique.
Présentée, à tort, par certains censeurs comme une zone d'instabilité politique particulièrement grave, l'Afrique noire n'a guère connu que deux tentatives sérieuses de putsch. La première, qui a eu lieu le 4 août en Haute-Volta, voit, à Ouagadougou, le capitaine Thomas Sankara éliminer son aîné et supérieur hiérarchique, le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouedraogo, auquel il succède comme président de la Haute-Volta. La seconde, perpétrée le 6 octobre à Niamey par un groupe d'officiers mutins, échoue, grâce à la détermination du général Seyni Kountché, qui conserve la présidence de la République du Niger.
Élections et successions
Au demeurant, la démocratie ne se porte ni mieux ni plus mal que partout ailleurs à travers le monde. Au Sénégal, en février, Abdou Diouf, qui avait constitutionnellement succédé à Léopold Sédar Senghor, a été élu par ses compatriotes, devançant très largement ses quatre concurrents.
De façon tout aussi démocratique, au Nigeria, en août, Shehu Shagari a été réélu chef de l'État, au terme d'une campagne qui a été l'occasion, il est vrai, de nombreuses violences. Le parti national nigérian de S. Shagari a également obtenu près des deux tiers des sièges de gouverneurs et de sénateurs. Une cinquantaine de personnes ont, officiellement, trouvé la mort, lors des divers scrutins. Mais ce tragique bilan demeure quand même limité pour un pays immense, qui compte 90 millions d'habitants.
C'est en août également, à Maurice, que les règles du jeu démocratique donnent leur pleine mesure, à l'occasion des élections législatives. Aneerood Jugnauth, Premier ministre sortant, enlève 41 des 60 sièges, tandis que le turbulent Paul Beranger, leader populiste, chef de file du Mouvement militant mauricien, battu dans sa propre circonscription, n'est pas réélu.
Au Cameroun, le retrait volontaire de A. Ahidjo de la scène politique, l'an dernier, a failli tourner à un affrontement direct entre le président sortant et son successeur désigné, Paul Biya. Fort heureusement, après une dangereuse escalade verbale, tout est rentré dans l'ordre progressivement et force est restée à l'homme constitutionnellement détenteur du pouvoir.
Guerres et tensions
Il ne faudrait pas pour autant verser dam l'angélisme et ignorer les conflits régionaux, qui, pour la plupart, continuent, depuis de longues années, d'éprouver la partie sud-saharienne du continent : guerre civile du Tchad, qui entraîne une troisième intervention militaire française, à la demande du gouvernement de N'Djamena ; guerres d'Érythrée et de l'Ogaden, sur lesquelles pèsent le silence calculé des dirigeants éthiopiens et de leurs alliés soviéto-cubains et l'indifférence coupable de l'opinion mondiale ; guerre civile d'Angola, qui voit le gouvernement central de Luanda perdre du terrain face aux maquisards de l'UNITA ; guerre de libération de Namibie, à propos de laquelle les dirigeants sud-africains observent une discrétion exemplaire ; retombées sud-sahariennes du conflit du Sahara occidental, etc.
Deux États sud-sahariens — l'Ouganda et le Zimbabwe — connaissent des tensions internes si aiguës qu'ils risquent, à tout instant, de basculer à leur tour dans la guerre civile qui a déjà sévèrement éprouvé leurs populations respectives. À la fin du mois de mai, le monde apprend que l'armée a massacré en territoire ougandais plusieurs centaines de civils. Cette tuerie confirme qu'en dépit de l'élimination du sanglant dictateur Idi Amin Dada le pays n'a pas retrouvé la paix. Au Zimbabwe, ce sont les opposants que traque le gouvernement central : Joshua Nkomo doit fuir à Londres, en mars, pour échapper à la prison, tandis que, dans le Matabeleland, ses partisans sont systématiquement massacrés par l'armée ; en octobre, c'est au tour de l'évêque Abel Muzorewa d'affronter l'intransigeance de l'irascible Premier ministre Robert Mugabe.
Impuissance et indifférence
En juillet, après deux sommets avortés, l'Organisation de l'unité africaine, qui n'a su apporter aucune contribution à la solution du drame tchadien, ni à celle du conflit saharien, se révèle incapable d'élire son nouveau secrétaire général. Cela n'émeut point pour autant une opinion internationale plus sensibilisée aux affaires de Pologne ou du Liban. C'est dans une indifférence à peu près absolue qu'elle a successivement accueilli la folle décision d'expulsion des étrangers « illégalement installés » au Nigeria (janvier), qui jette pourtant plusieurs millions de fugitifs sur les routes de l'exode, le décès du vieux roi Idriss de Libye (mai) — prédécesseur de l'extravagant colonel Kadhafi dont le nom fait trembler tous les dirigeants politiques modérés du tiers monde — et la mort de John Vorster (septembre), Premier ministre sud-africain, zélateur malchanceux du dialogue entre Pretoria et les capitales d'Afrique noire.