Avec la démission, le 27 août, d'Ahmadou Ahidjo de son poste de secrétaire général de l'Union camerounaise, la crise est heureusement désamorcée. En effet, en conservant ce poste et en cherchant à institutionnaliser la prééminence du parti sur le gouvernement, le partant avait laissé la fâcheuse impression de vouloir continuer à exercer un contrôle direct sur les affaires publiques. Retiré dans sa propriété de Grasse, sur la Côte d'Azur, Ahmadou Ahidjo paraît avoir aujourd'hui renoncé à un retour au pouvoir qui risquerait de réveiller les démons de la guerre civile.
Une immense espérance
Si la polémique Biya-Ahidjo est essentiellement le résultat d'un affrontement personnel, sa matérialisation aurait pu avoir pour conséquence un véritable affrontement entre le nord et le sud du pays. Apaisé par la politique d'A. Ahidjo, poursuivie par P. Biya, l'antagonisme entre les sudistes, en majorité chrétiens, et leurs compatriotes nordistes, plus ouverts que ces derniers à l'islam et aux influences venues du monde arabe, peut à tout moment renaître et dégénérer en conflit ouvert. L'exemple du Tchad et le précédent de la longue guerre civile, commencée avant même l'indépendance du pays — avec la multiplication des maquis de l'Union des populations du Cameroun (UPC) —, montre que l'évocation de tels risques n'est pas chimérique.
Or, après le départ d'A. Ahidjo, P. Biya a très nettement fait savoir qu'il souhaitait libéraliser le régime, sans pour autant opter pour le multipartisme, à son avis « dangereux parce que prématuré ». Les élections législatives de mai, qui se déroulent dans des conditions sensiblement analogues aux scrutins antérieurs, permettent néanmoins l'accession de beaucoup d'hommes nouveaux sur la scène politique. C'est également ce que permettent les trois remaniements ministériels réalisés jusqu'en août 1983. Une importante fraction de l'opposition en exil ne s'y trompe pas et, dès mars, l'Union des populations du Cameroun est sortie de la clandestinité et s'est pratiquement ralliée au successeur d'A. Ahidjo. Dans tout le pays monte une immense espérance, les Camerounais appelant de tous leurs vœux non seulement une démocratisation, mais encore un assainissement de certaines instances dirigeantes dont les membres étaient accusés de corruption et de népotisme.
L'axe Paris-Yaoundé
Dans ce contexte, ce sont les relations avec la France, ancienne puissance tutrice, qui dominent, Paris s'étant d'ailleurs scrupuleusement tenu à l'écart de tout ce qui pouvait envenimer la querelle entre A. Ahidjo et P. Biya. Une volonté affirmée, non point d'isolationnisme, mais de liberté de manœuvre intégrale incite Paul Biya, exactement comme son prédécesseur naguère, à rester à l'écart de regroupements qui pourraient aliéner, fût-ce partiellement, le libre arbitre camerounais. C'est ainsi qu'en octobre le Cameroun ne participe pas à la conférence franco-africaine de Vittel, attitude d'abstention qui avait toujours été celle d'Ahmadou Ahidjo.
Cependant, ce comportement ne nuit pas à la réelle harmonie des rapports franco-camerounais et ne gêne en rien l'action discrète de médiation poursuivie depuis des mois par les dirigeants de Yaoundé dans le conflit du Tchad. Paul Biya, en février, est l'hôte officiel du président Mitterrand à Paris, et, en juin, ce dernier est reçu en visite officielle à Yaoundé, Douala et Garoua. Au contact des dures réalités tchadiennes, notamment dans la région du lac Tchad et le long du fleuve Chari, les Camerounais ne sont pas indifférents à une tragédie qui leur vaut notamment un important afflux de réfugiés sur leur territoire.
Philippe Decraene
Haute-Volta
Progressiste et tiers-mondiste
C'est la personnalité du capitaine Thomas Sankara, officier de 35 ans placé au premier plan de la scène politique avant même son accession à la magistrature suprême à la suite du putsch du 4 août, qui domine la vie publique de la Haute-Volta dès les débuts de l'année 1983.
Très nationaliste, flirtant volontiers avec les leaders syndicaux, populaire dans les rangs de la jeunesse et parmi le petit peuple des campagnes, Thomas Sankara, bien qu'officier subalterne, s'est très vite affirmé comme un battant. Secrétaire d'État à l'Information dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo (renversé en novembre 1982 par le médecin-commandant Jean-Baptiste Ouedraogo), il fit alors de tonitruantes déclarations exaltant la liberté de la presse et démissionna avec éclat, après avoir proclamé son désaccord avec son supérieur hiérarchique.
Trois coups d'État en trois ans
Considéré comme la cheville ouvrière du putsch de novembre 1982, il entre alors très rapidement en conflit avec le commandant Ouedraogo, qui, avec habileté, sait lui confisquer sa victoire. Le 17 mai, au moment précis où Guy Penne, conseiller pour les affaires africaines du Président Mitterrand, est en visite à Ouagadougou, le capitaine Sankara, devenu Premier ministre, est arrêté, accusé d'avoir tenté de renverser le chef de l'État. Ce dénouement est le résultat d'une épreuve de force au sein du Conseil de salut du peuple (CSP) entre les éléments modérés regroupés derrière le commandant Ouedraogo et un groupe de jeunes turcs menés par le capitaine Sankara, ardent zélateur des thèses progressistes et tiers-mondistes. Accusé d'avoir invité en visite officielle le colonel Kadhafi sans en avoir référé au chef de l'État, le Premier ministre Sankara avait dressé ce dernier contre lui. D'autre part, contrairement au commandant Ouedraogo, partisan du renforcement de la coopération avec l'ancienne métropole et artisan d'un resserrement des liens avec le Conseil de l'Entente (dont le chef de file est la Côte-d'Ivoire), le capitaine Sankara préconisait un rapprochement avec le Ghana révolutionnaire et une diversification des alliances avec d'autres États que la France.