Sous le poids de la démographie et la poussée des ruraux qui quittent leurs campagnes, les villes craquent. Les infrastructures, mal entretenues, se dégradent. L'eau est rationnée dans presque toutes les grandes villes. On essaie un moment, sans succès, de réprimer les parasites.

Mais il est clair que la solution n'est pas là ; il faut construire un million de logements en dix ans pour satisfaire les besoins. Il faut construire 500 barrages pour régler les problèmes d'eau, alors que 5 barrages seulement ont été construits depuis l'indépendance. Il faut surtout repenser complètement la politique agricole si l'on veut rapporter des légumes sur les marchés. La production agricole algérienne, qui couvrait il y a dix ans 73 % des besoins alimentaires de la population, n'en couvre plus en 1980 que 40 %, le reste devant être importé.

À l'automne, le gouvernement et le FLN font donc un choix économique ; fin de la politique industrialiste des années 1965-1975 (marquée par le renvoi brutal d'Ahmed Ghozali, ex-P-DG de la Sonatrach, ex-ministre de l'Industrie et de l'Énergie), priorité donnée à l'agriculture, à l'hydraulique, aux problèmes sociaux. Bref, c'est la pause industrielle, la volonté affirmée d'améliorer les conditions de vie des simples citoyens, jusque-là un peu oubliés.

En même temps, on espère ainsi se dégager des dépendances extérieures qu'implique le recours à des technologies de pointe. Et on souhaite épargner au maximum le pétrole, qui doit être gardé en réserve, tout en conservant les mêmes ressources financières grâce à un relèvement sensible du prix du gaz naturel. Cette politique, bien accueillie à l'intérieur du pays, posera, à cause du gaz, quelques problèmes graves avec les partenaires commerciaux, notamment la France.

Coopération royale

En 15 ans, le dialogue franco-algérien est passé par bien des brouilles et des réconciliations. Le 13 juillet 1979, Chadli Bendjedid ouvre à nouveau la porte : dans un message envoyé au président français, il demande que soit repris sur des bases saines le dialogue entre les deux pays. Paris acquiesce, on échange de nouveaux ambassadeurs. Jean François-Poncet, ministre des Affaires étrangères français, se rend à Alger en juin 1979 et Jean-François Deniau, ministre du Commerce extérieur, inaugure la Foire d'Alger en septembre.

La négociation — qualifiée parfois à Alger de « négociation de la dernière chance » — se présente bien : la volonté d'indépendance nationale, le non-alignement, la nouvelle discrétion algérienne sur la scène internationale sont appréciés en France. Les positions de Valéry Giscard d'Estaing sur le Proche-Orient et surtout sa relative neutralité de fait dans l'affaire sahraouie satisfont les Algériens. Il y a donc une volonté d'accord sur les grands problèmes politiques, mais, comme toujours, cet accord est subordonné au règlement d'un contentieux lourd et vieux. C'est donc ce contentieux qu'il faut absolument apurer.

La chose semble en bonne voie lorsque arrive à Paris, le 18 janvier 1980, Mohamed Ben Yahia, ministre algérien des Affaires étrangères. Au cours de sa visite, certains problèmes sont réglés. On crée six commissions mixtes (main-d'œuvre et émigration, questions de personnes, sécurité sociale, questions financières et fiscales, biens et activités des Français en Algérie, transfert des archives de la période coloniale à Alger) et on leur donne mandat impératif d'aboutir avant le 14 juillet 1980. Le transfert des archives algériennes se fera par microfilms.

Surtout, le gros problème du retour chez eux des travailleurs immigrés algériens est suspendu : la loi Bonnet-Stoléru, qui frappait environ 400 000 travailleurs, ne sera pas mise en application avant 1981 et on essaiera, entre-temps, de trouver une formule plus humaine.

La convention consulaire franco-algérienne, signée le 24 mai 1974, est enfin ratifiée par Alger. Les relations se normalisent, et le ministre algérien parle, à Paris, de la « voie royale » de la coopération entre les deux pays. Restent malgré tout, avec le fisc, la sécurité sociale, les biens, des questions de gros sous qui devraient, dit-on, pouvoir être réglées. En tout cas, la bonne volonté des deux côtés semble un gage de succès.

Le gaz

On butera pourtant, très vite, sur les gros sous. La France, premier fournisseur, n'est plus que le troisième partenaire commercial de l'Algérie. Pour réduire le déficit algérien qui subsiste, Paris souhaite acheter beaucoup de gaz naturel. En 1980, l'Algérie doit livrer environ 4 milliards de m3 de gaz ; en 1981, on prévoit un contrat supplémentaire de l'ordre de 5 milliards de m3. Mais, en février 1980, l'Algérie décide de relever ses prix : sa thermie-gaz vaut deux fois moins cher que sa thermie-pétrole, ce qui lui semble illogique — d'autant plus que la liquéfaction est très onéreuse. S'ajoute le souci de conserver au maximum les précieuses réserves de brut, sans entamer les ressources financières.