Sciences

Prix Nobel

Médecine et physiologie

Les travaux des trois lauréats ont montré qu'il existe chez les bactéries des enzymes capables soit de modifier, soit de découper l'ADN (acide désoxyribonucléique) des virus (les bactériophages) qui les parasitent. Les développements de cette découverte ont donné des moyens nouveaux à la génétique moléculaire et inauguré 1ère des modifications dirigées de l'ADN où s'inscrit le patrimoine héréditaire du vivant. Dès 1952-1953, plusieurs chercheurs, parmi lesquels Salvador Luria, prix Nobel 1969 (Journal de l'année 1969-70), avaient découvert que lorsqu'un bactériophage est cultivé sur une souche de la bactérie Escherichia coli, il devient incapable de parasiter d'autres souches de la même bactérie. Analysant ce phénomène, Werner Arber a découvert que la bactérie possède un système enzymatique qui, selon le cas, réalise une méthylation de certaines bases de l'ADN du virus (enzyme de modification) ou, lorsqu'il n'y a pas méthylation, coupe cet ADN en des sites déterminés, détruisant ainsi le virus (enzyme de restriction). Travaillant sur une autre bactérie, Hamilton Smith a établi que le site de méthylation, sur la double chaîne de l'ADN viral, est proche du site de restriction. Depuis, plusieurs dizaines d'enzymes de restriction ont été isolées à partir de bactéries diverses. Toutes agissent sur des sites qui leur sont spécifiques. Enfin, Daniel Nathans a utilisé les enzymes de restriction pour découper des chaînes d'ADN et avancer ainsi dans la compréhension des séquences de nucléotides, variables selon l'espèce, qui constituent le support de l'hérédité. Ainsi a été ouverte la possibilité de construire des molécules hybrides en introduisant un gène prélevé sur un organisme supérieur (insecte, mammifère) dans un virus ou dans un plasmide (fragment d'ADN bactérien) et de contraindre de cette façon des bactéries à synthétiser une protéine spécifique de cet organisme. Après avoir soulevé quelques craintes, ces techniques de génie génétique ouvrent des voies nouvelles à la recherche biologique et médicale.

Hamilton Smith

Américain. Né en 1931 à New York. Études de médecine à l'université Berkeley (Californie). En 1967 devient l'un des plus proches collaborateurs de Daniel Nathans à Baltimore. Entreprenant d'étudier le comportement des bactériophages sur un micro-organisme autre qu'Escherichia coli, Smith a réussi à isoler une enzyme de restriction capable de couper de l'ADN étranger à cette bactérie, mais inactive vis-à-vis de l'ADN de bactéries de cette espèce. Il a isolé ensuite une autre enzyme qui protège l'ADN bactérien contre l'enzyme de restriction.

Daniel Nathans

Américain. Né en 1928 à Wilmington (Delaware). Études de médecine à Washington University. De 1955 à 1957, chercheur à l'Institut national américain du cancer. En 1959, nommé professeur de microbiologie à l'université John Hopkins de Baltimore ; depuis 1972, directeur de ce département. Étudiant le virus cancérogène SV40, il a utilisé une enzyme de restriction que venait de purifier Smith pour découper l'ADN de ce virus en onze fragments et localiser plusieurs gènes de ce virus, dont la séquence nucléique complète a été établie par la suite.

Werner Arber

Suisse. Né en 1929 à Gränichen (canton d'Argovie). Études de sciences naturelles à Zurich. Assistant de recherches au laboratoire de biophysique de l'université de Genève (1953-1958). En 1958 et 1959, assistant de recherches à l'université de Los Angeles. Professeur de génétique moléculaire à l'université de Genève (1959-1970). Depuis 1971, professeur de microbiologie à Bâle, où il poursuit ses recherches au Biozentrum, complexe scientifique financé par l'État et les industries pharmaceutiques.

Sciences économiques

Complexe, évolutive et jusqu'ici peu connue du public français (même parmi les spécialistes), l'œuvre du lauréat déborde largement le domaine classique de l'économie. Elle est partie du management, étude de l'ensemble des moyens propres à optimiser la direction et la gestion d'une entreprise ; c'est à ces recherches déjà anciennes que le jury suédois s'est référé en récompensant Herbert Simon « pour son travail de pionnier sur le processus de la prise de décisions au sein de l'organisation économique ». Mais la réflexion de H. Simon l'a conduit ensuite à s'intéresser aux aspects psychologiques de la prise de décision, lesquels ne sauraient se réduire à une rationalité élémentaire. L'avènement des ordinateurs, vers 1955, apporte le moyen de simuler le comportement réel de l'esprit humain en face des problèmes. Avec deux chercheurs de la célèbre Rand Corporation, Simon élabore successivement un logiciel de démonstration de théorèmes, une théorie générale de la solution des problèmes, un programme de jeu d'échecs par ordinateur et un langage de programmation qui ouvre l'ère des recherches sur l'intelligence artificielle. « Il existe maintenant, écrit-il, des machines qui pensent, qui apprennent et qui créent... Leur capacité de faire ces choses va augmenter rapidement jusqu'à ce que, dans un avenir prévisible, la gamme des problèmes traitables soit identique à celle à laquelle s'est appliqué l'esprit humain. » Si Alfred Nobel avait créé un prix d'informatique — science qu'il ne pouvait prévoir —, c'est à ce titre que H. Simon aurait été couronné. Il n'en reste pas moins que ses travaux, naguère tenus par certains comme s'aventurant aux frontières de la science-fiction, le font à présent considérer par des théoriciens anglo-saxons du management comme le père des sciences modernes de la décision. Au concept irréel de la recherche d'une solution optimale unique, qui ne tient pas compte de la complexité de l'environnement, il a substitué des modèles de rationalité limitée, à la fois plus riches et moins susceptibles d'engendrer de graves erreurs.

Herbert Simon

Américain. Né en 1916 à Milwaukee (Wisconsin). Assistant de recherche à l'université de Chicago (1936), puis docteur ès sciences (1943). Après avoir exercé diverses fonctions universitaires, nommé professeur à l'université Carnegie-Mellon de Pittsburgh (1965) où il enseigne la psychologie et l'informatique. Auteur de nombreux ouvrages, dont deux seulement (Les organisations et La science des systèmes) ont été traduits en français.

Physique

Arno Penzias et Robert Wilson entreprirent, en 1964, avec une installation de la Bell Telephone destinée aux télécommunications avec satellite, de mesurer l'intensité des ondes émises par la Galaxie dans les régions éloignées du plan galactique. Ayant réussi à éliminer les bruits radioélectriques engendrés par l'atmosphère terrestre et l'appareil récepteur lui-même, ils détectèrent, outre les divers rayonnements de la Galaxie, un rayonnement de longueur d'onde 7,35 cm, identique dans toutes les directions d'observation, ne variant ni avec l'heure ni avec la saison. L'absence totale de variation directionnelle indiquait que les ondes ne venaient pas d'une source localisée : elles emplissaient l'Univers. Leur longueur correspondait à celle du rayonnement qui règne dans une enceinte fermée (le « corps noir » des physiciens) à la température de 3,5 K (kelvins ; au-dessus du zéro absolu). Or, l'existence d'un rayonnement universel isotrope (le même dans toutes les directions) avait été prévue par plusieurs physiciens comme conséquence de l'expansion de l'Univers. Aux premières fractions de seconde après l'explosion initiale (le big bang), la boule de feu originelle était constituée de photons et d'autres particules à une température de plus de 100 milliards de degrés. En se dilatant, l'Univers s'est refroidi : le rayonnement observé par Penzias et Wilson est un résidu de la fournaise originelle. Ils ont eux-mêmes brillamment développé cette interprétation et poursuivi leurs mesures en les affinant. Les deux Américains partagent leur prix avec le physicien soviétique Piotr Kapitza, qui, dès 1924, réussit à créer pendant quelques millisecondes des champs magnétiques de 320 000 gauss, puis de 500 000 gauss. Perfectionnant les procédés de liquéfaction de l'hélium, Kapitza a montré qu'au-dessous de 2,19 K la viscosité de l'hélium liquide devient nulle. La découverte de l'hélium superfluide, aux propriétés paradoxales, a entraîné d'importants développements théoriques et vérifié les lois de la mécanique quantique.

Piotr Kapitza

Soviétique. Né à Kronstadt en 1894. Étudiant, puis professeur (1919) à l'Institut polytechnique de Leningrad. En 1921, envoyé en Angleterre, il travaille avec lord Rutherford au Cavendish Laboratory. En 1929, il est élu membre de la Royal Society, qui fait construire pour lui le Mond Laboratory. Séjournant en URSS en 1934, il se voit refuser son visa de sortie. Le gouvernement soviétique le nomme directeur de l'Institut des problèmes physiques et rachète pour lui le Mond Laboratory, qui est intégralement transporté à Moscou et porte aujourd'hui son nom.

Arno Penzias

Américain. Né à Munich en 1933. Études à New York. Doctorat de physique à l'université Columbia (1962). Après son service militaire, entre en 1961 aux laboratoires Bell Telephone dans le New Jersey, où il travaille au département des communications. En 1972, il est nommé à la direction du département de recherches en radiotechnique. Depuis 1974, il dirige le laboratoire de recherches en radioastronomie.

Robert Wilson

Américain. Né à Houston en 1936. Doctorat de physique en 1962 à l'Institut de technologie de Californie, où il est chargé de recherches en radioastronomie en 1962-1963. Entre ensuite dans l'équipe technique des laboratoires Bell Telephone, où il dirige actuellement le département de radiophysique. Sa carrière est indissociable de celle de Penzias : leurs recherches sont menées en commun et ils ont signé ensemble plus d'une centaine de communications, notamment sur la découverte de molécules d'intérêt biologique dans l'espace interstellaire.

Chimie

Pour alimenter son activité chimique ou mécanique, tout organisme vivant dépense de l'énergie. La plupart des cellules tirent cette énergie de la respiration, c'est-à-dire, pour les biochimistes, de l'oxydation du glucose. Dans un organisme pluricellulaire comme le nôtre, la prise d'air par les poumons permet au sang de porter jusqu'aux cellules l'oxygène nécessaire à la respiration cellulaire. Les animaux trouvent leur glucose dans les aliments : la plupart des végétaux le synthétisent à partir du gaz carbonique de l'atmosphère et de l'énergie du rayonnement solaire (photosynthèse). Chez l'animal comme chez le végétal, l'énergie est stockée et transportée aux points d'utilisation par des molécules d'ATP (adénosine triphosphate). La rupture de la liaison avec un des groupes phosphate donne de l'ADP (adénosine diphosphate) en libérant une énergie immédiatement disponible. L'ADP est ensuite rechargée en ATP grâce à l'énergie fournie par la respiration : c'est la phosphorylation oxydative, processus complexe qui se déroule dans la cellule au sein d'organites spécialisés, les mitochondries. Plusieurs hypothèses ont été avancées quant aux mécanismes par lesquels l'énergie chimique est ainsi transférée de la molécule de glucose à celle d'ATP. La plus communément admise est la théorie chimiosmotique, élaborée par Peter Mitchell. Dans cette conception, le transport des électrons et des ions hydrogène (ou protons) issus de la respiration crée, entre la face interne et la face externe de la membrane de la mitochondrie, une différence de potentiel. C'est cette différence de potentiel qui est utilisée par une enzyme appropriée pour synthétiser l'ATP, grâce au passage des protons à travers la membrane. Bien quelle n'ait pu être vérifiée qu'indirectement (on ne peut marquer des protons pour suivre leur déplacement), la théorie de Mitchell est presque universellement acceptée. Elle a été étendue à un grand nombre d'autres phénomènes qui se situent au niveau des membranes, dont la photosynthèse.

Peter Mitchell

Britannique. Né en 1920 en Grande-Bretagne. Études à Cambridge, où il travaille, de 1943 à 1955, au département de biochimie. De 1955 à 1963, directeur de l'unité de chimie biologique au sein du département de zoologie de l'université d'Édimbourg. Depuis 1964, poursuit ses recherches avec une équipe peu nombreuse de collaborateurs, au laboratoire Glynn qu'il a lui-même fondé. Il a formulé pour la première fois la théorie chimiosmotique en 1961 et l'a précisée en 1966. Travaille volontiers en solitaire, à l'écart des grandes rencontres scientifiques.

Médailles Fields

Mathématiques

En fondant les prix devenus désormais la récompense la plus haute qui puisse consacrer l'œuvre d'un savant, Alfred Nobel avait négligé la discipline qui, depuis Pythagore, est souvent considérée comme la science par excellence et qui aujourd'hui les pénètre toutes : les mathématiques. Au congrès international des mathématiciens tenu à Toronto en 1924, le Canadien John Fields proposa que des médailles d'or soient décernées à chaque congrès international pour des travaux exceptionnels en mathématiques. Un fonds fut constitué sur les crédits restant après le congrès et, en 1932, après la mort de Fields, le congrès de Zurich entérina définitivement sa proposition. Décernées seulement tous les quatre ans, lors des congrès de l'Union mathématique internationale, les médailles Fields jouissent, dans leur domaine, d'un prestige égal à celui des prix Nobel. Mais, tandis que ces derniers consacrent volontiers toute une carrière, les médailles Fields récompensent des mathématiciens âgés de moins de quarante ans. En août 1978, au congrès réuni à Helsinki, quatre médailles ont été attribuées respectivement à Pierre Deligne, Charles Fefferman, Daniel Quillen et Grigory Margoulis. Ce dernier, citoyen soviétique de « nationalité » juive, n'avait pas été autorisé à se rendre à Helsinki, ce qui a provoqué, en séance plénière, une ferme protestation de Jacques Tits, professeur au Collège de France, chargé de présenter l'œuvre du mathématicien soviétique. Margoulis avait déjà été empêché de répondre à l'invitation qu'il avait reçue quatre ans auparavant pour le congrès de Vancouver. En 1978, quinze mathématiciens soviétiques qui devaient donner des conférences à Helsinki n'ont pu s'y rendre. Cinq des vingt-quatre titulaires de la médaille Fields depuis sa création ont travaillé ou travaillent en France, tel le Belge Pierre Deligne, un des quatre lauréats 1978, qui a réalisé l'essentiel de ses recherches à l'Institut des hautes études scientifiques de Bures-sur-Yvette et y a été nommé professeur en 1970. Il a donné une démonstration des conjectures formulées par A. Weil en 1949, donnant des estimations sur le nombre de solutions de certains systèmes d'équations polynomiales à coefficients et à valeurs dans des corps finis. Les systèmes d'équations polynomiales constituent un lien entre deux domaines mathématiques en interaction : la géométrie algébrique et la théorie des nombres. Se fondant sur des idées proches de celles qui ont servi à démontrer les conjectures de Weil, un autre lauréat, Daniel Quillen, a démontré une conjecture du mathématicien britannique Adams sur les fibres vectoriels. Le trait commun aux quatre jeunes lauréats est l'originalité et parfois l'audace intellectuelle qui leur ont permis de traiter des problèmes dont certains attendaient depuis longtemps leur solution.

Daniel Quillen

Américain. Né en 1940, il est le plus âgé des quatre lauréats. A commencé ses travaux mathématiques à l'université Harvard avec une thèse sur les équations différentielles partielles linéaires. S'est orienté ensuite vers la topologie et la géométrie algébrique. Travaille au Massachusetts Institute of Technology.

Grigory Margoulis

Soviétique. Né en 1946. A reçu sa formation auprès du célèbre mathématicien Gelfand. Malgré sa renommée mondiale, due notamment à la démonstration d'une conjecture de Piatetski-Shapiro, il n'est que candidat et occupe un poste d'attaché de recherches dans un laboratoire consacré aux problèmes de transmission de l'information.

Pierre Deligne

Belge. Né à Bruxelles en 1944. À l'âge de 14 ans, sa vocation est encouragée par un professeur de lycée qui lui fait lire les premiers volumes des Éléments de mathématique de Bourbaki. À l'université de Bruxelles, il reçoit l'enseignement de Jacques Tits, puis il suit à Paris les séminaires de A. Grotendieck et de J.-P. Serre.

Charles Fefferman

Américain. Né en 1949. Reçu docteur à Princeton en 1969, il est en 1971 le plus jeune professeur jamais nommé à l'université de Chicago. Lauréat du prix Salom en 1971. Depuis 1973, professeur à Princeton. Il a été le premier mathématicien à recevoir le Waterman Award de la National Science Foundation.

Recherche : le plan Aigrain

Nommé secrétaire d'État à la Recherche auprès du Premier ministre, en avril 1978, Pierre Aigrain fait connaître, en septembre, les grandes lignes d'un plan destiné à réorienter la recherche française en l'adaptant aux réalités socioéconomiques, conformément à la déclaration de politique générale présentée par le gouvernement devant l'Assemblée nationale. Plusieurs missions d'étude ont déjà été lancées. La plus importante, confiée à Michel Massenet, conseiller d'État, concerne la politique de l'emploi dans la main-d'œuvre scientifique.