Spectacles
Musique
Une saison éclectique dominée par des valeurs établies
Il est réconfortant, en cette période morose et instable que nous traversons, de constater que la musique acquiert en France un prestige de plus en plus étendu. Le bilan de cette année musicale n'est pas toujours positif, mais il contient suffisamment d'éléments de valeur pour nous donner l'embarras du choix. Deux de ces éléments apparaissent prédominants : ce sont, d'une part, la suprématie des grands virtuoses internationaux dans le domaine du concert, et, d'autre part, cet accroissement de la popularité du théâtre lyrique, à travers une période très étendue qui va de Monteverdi à Berg.
Jacques Charpentier
Le compositeur et organiste Jacques Charpentier est nommé par Jean-Philippe Lecat, ministre de la Culture, à la tête de la Direction de la musique. Cette nomination se justifie d'autant plus que Jacques Charpentier, indépendamment de sa culture musicale, appartient, depuis son origine en 1966, à la Direction de la musique, où ses qualités administratives et ses dons pédagogiques l'ont fait accéder, en 1975, au poste d'inspecteur général.
Récitals et solistes
Cette saison est très riche pour son activité parisienne concernant les récitals de chant et ceux qui sont consacrés aux instrumentistes. Il en est de même des grandes formations symphoniques qui s'y sont produites sous la direction des plus grands chefs. Les premières grandes manifestations sont celles qui sont données par le Festival estival de Paris où l'on a entendu, pour célébrer l'année Schubert, une exquise interprète des lieder du grand compositeur viennois en la personne d'Elly Ameling.
L'Opéra et le théâtre de l'Athénée se sont disputé le privilège de nous faire entendre, dans des récitals accompagnés au piano, les plus grands chanteurs internationaux actuels. Ce sont surtout les cantatrices qui ont brillé, notamment Jessye Norman, Elisabeth Soderström, Marylin Horne, Sena Jurinac à l'Athénée ; et, à l'Opéra : Léontyne Price, Christa Ludwig, Frederica von Stade, Kiri Te Kanawa, Joan Sutherland, Gundula Janowitz, Teresa Berganza, Margaret Price. Le récital Joan Sutherland, accompagnée par son mari Richard Bonynge, a été sinon le plus parfait, du moins le plus spectaculaire. Le public de l'Opéra lui a fait une ovation inoubliable (une ovation à la Callas), conscient qu'il se trouvait en présence de l'un des derniers monstres sacrés de notre époque. Cet hommage rendu à une carrière exemplaire de plus de vingt-cinq ans a été très émouvant. Il est dommage qu'après une si longue absence de Paris on n'ait pas fait venir Joan Sutherland dans un de ces opéras de pur bel canto où elle est souveraine, comme Maria Stuarda ou Lucrezia Borgia, même en version de concert.
À la salle Pleyel, également, les divas ont été à l'honneur avec Victoria de Los Angeles, Edith Mathis, Shirley Verrett ; le concert lyrique le plus attendu de la saison a eu lieu avec Montserrat Caballé dans le cadre de Prestige de la musique que dirige Jean Fontaine. La grande cantatrice espagnole donne la preuve à un public en délire qu'elle conserve toujours ce timbre unique dont la splendeur a fait sa gloire. Son compatriote, le jeune ténor José Carreras, partage avec elle, et à juste titre, les honneurs de cette soirée exceptionnelle.
Jessye Norman aux Champs-Élysées a offert un merveilleux tribut à Schubert, tout comme l'a fait Dietrich Fischer Dieskau, qui, admirablement accompagné par Daniel Barenboïm à Pleyel, démontre, une fois de plus, qu'il demeure irremplaçable dans l'art d'interpréter la mélodie. Un autre miracle : la soirée de mélodies russes donnée à Gaveau par le couple Vichnevskaïa-Rostropovitch. Il est impossible de citer tous les grands solistes internationaux qui se sont produits au cours des nombreux concerts de la saison, passionnément suivis par un public fervent, concerts où le piano sous le doigté d'un Wissemberg, d'un Brendell ou d'un Ciccolini et où le violon sous l'archet d'un Menuhin ou d'un Perlman ont été, une fois encore, à l'honneur. À côté de ces interprètes consacrés, quelques révélations : Gerhard Oppitz, jeune pianiste bavarois ; Krystian Zimerman, jeune pianiste polonais ; Arto Noras, violoncelliste, né en 1942 en Finlande, qui ne s'était produit jusqu'à présent en France qu'au festival d'Albi en 1977 et 1978 et qui se révèle cette année aux Parisiens dans un très beau concert salle Gaveau avec le Concerto en ut majeur de Haydn et le Concerto de Jolivet. Enfin, on découvre également un jeune chef bulgare de 30 ans, Emil Tchakarov, qui donne, en janvier 1979, au concert Prestige de la musique, la plus belle exécution que l'on puisse rêver du Roméo et Juliette de Prokofiev.
Concerts symphoniques
La saison s'ouvre en septembre 1978 avec deux événements importants : l'arrivée de l'Orchestre de Chicago au Palais des Congrès, sous la direction de Georg Solti, avec la 1re symphonie de Beethoven et la 1re symphonie de Mahler, et la rentrée de l'Orchestre de Paris, également au Palais des Congrès, avec cette fois, la 5e symphonie de Mahler sous la baguette de Daniel Barenboïm. Le mois suivant, Pierre Boulez dirige l'Orchestre de Paris pour un mémorable concert Bartok-Stravinski, et Claudio Abbado vient conduire, avec notre grande formation, un très beau programme Beethoven-Schubert-Prokofiev. Un autre grand chef italien, Carlo Maria Giulini, en mars, dirige un concert qui restera une des plus belles manifestations de l'année avec l'Orchestre de Paris, concert où l'on entend, après la 4e symphonie de Schubert, un sublime Stabat Mater de Rossini prestigieusement interprété par Mirella Freni, Lucia Valentini, Veriano Luchetti et Ruggero Raimondi. La présence, le 5 avril, de Lorin Maazel dirigeant Pilar Lorengar, Hanna Schwarz, Paul Riegel et les chœurs de Radio-France dans la grandiose Missa Solemnis de Beethoven est, sous les voûtes de Notre-Dame, un moment privilégié.