Les accusés sont l'écrivain Alexandre Guinzbourg, 41 ans, ami personnel d'Alexandre Soljenitsyne dont il a été le secrétaire et membre du groupe de surveillance de l'application des accords d'Helsinki, le mathématicien juif Anatole Chtcharansky, 30 ans, le Lituanien Victor Piatkus et le jeune infirmier Alexandre Podrabinek, tous trois militants des droits de l'homme.
Inculpés d'« agitation et de propagande antisoviétique » ou, dans le cas d'Anatole Chtcharansky, de « trahison et d'espionnage », ils sont condamnés par des tribunaux différents (Kalouga, Moscou, Vilnius, Elektrostal) à des peines allant de treize ans de détention à cinq ans d'exil.
Les premières sentences, prononcées les 13 et 14 juillet (celle d'Alexandre Podrabinek sera rendue le 15 août), provoquent de vives réactions à l'Ouest, notamment de la part de certains partis communistes comme le PCI et le PCF.
À Washington, le président Carter marque son mécontentement en faisant d'abord remettre, par ministre des Affaires étrangères interposé, un message très ferme, en annulant ensuite le contrat de vente d'un ordinateur de près de 7 millions de dollars à l'agence Tass.
Cette décision est rapportée neuf mois plus tard, peu avant l'échange (27 avril) de cinq dissidents détenus en URSS contre deux espions soviétiques condamnés aux États-Unis. Les cinq contestataires exilés d'office sont Alexandre Guinzbourg, les militants sionistes Edouard Kouznetsov et Mark Dymchitz, Valentin Moroz, dissident ukrainien et le pasteur baptiste Georges Vins.
Ce marché, qui rappelle l'échange, le 18 décembre 1976, de l'écrivain Vladimir Boukovski contre le secrétaire général du PC chilien Luis Corvalan (Journal de l'année 1976-77), permet à l'URSS de faire un geste à l'égard des États-Unis à la veille de la ratification des accords Salt-2, tout en se débarrassant de prisonniers dont on parle un peu trop en Occident et que Moscou tente ainsi de faire passer pour des espions, puisque le troc des véritables espions soviétiques est accepté par les Américains.
D'autres dissidents, tels Anatole Chtcharanski, le physicien Youri Orlov, le biologiste Serge Kovaliev, le psychiatre Sernion Glouzman ou le philosophe Igor Ogourtsov, continuent de croupir, dans des prisons ou des camps, mais ils représentent peut-être déjà la prochaine monnaie d'échange que les autorités soviétiques gardent en réserve.
Quant à ceux dont le renom est tel qu'on n'ose les arrêter et les juger, on les incite tout simplement à quitter le pays, avant de leur retirer la citoyenneté soviétique. Tel est le cas du philosophe Alexandre Zinoviev et de l'écrivain Victor Nekrassov. Irréductible entre tous, l'académicien et prix Nobel Andréi Sakharov résiste à ces manœuvres, mais se dit « très fatigué » de poursuivre, presque seul, contre le Kremlin, sa campagne pour les droits de l'homme.
Discrétion et prudence
L'élection en octobre, du cardinal polonais Karol Wojtyla à la tête de l'Église catholique, son voyage triomphal en Pologne en juin, les homélies qu'il prononce et où il rappelle de façon très précise la nécessité qu'il y a de respecter les droits de l'homme et d'« ouvrir les frontières », le retentissement dans le monde de telles prises de position provoquent une gêne certaine des autorités soviétiques. Officiellement, les rapports sont bons. Leonid Brejnev envoie un très conventionnel message de félicitations à Jean-Paul II quelques jours après son élection et, le 24 janvier, le ministre des Affaires étrangères Andréi Gromyko est reçu en audience par le pape, qui part le lendemain pour le Mexique.
Néanmoins, les médias soviétiques sont d'une discrétion rare sur cette rencontre. Même discrétion, quelques mois plus tard, sur le voyage polonais. Ils laissent à peu près complètement ignorer à l'opinion soviétique l'impact énorme de la visite du pape sur la population polonaise en particulier, et le monde chrétien en général.
Alors que Jean-Paul II n'est pas encore revenu au Vatican, un des membres du bureau politique, Vladimir Chtcherbitski, premier secrétaire du PC d'Ukraine, lance une véritable mise en garde envers les croyants des pays de l'Est. Dans un discours prononcé à Kiev et repris dans un rapport politique officiel, il demande un renforcement de la lutte contre la « diversion idéologique » et une intensification de la propagande athée.