Les acquisitions si rapides de la génétique et de la biologie, au cours des dernières années, sont perçues dans des milieux étendus. On prend conscience qu'elles ouvriront bientôt la voie à la manipulation de l'hérédité, qu'elles font apparaître sous un jour nouveau la signification de l'homme et du même coup le devenir de notre espèce.
Les thèses de Jacques Monod se présentent avec l'austère rigueur d'un système d'équations, logiquement déduit de tout ce que nous savons maintenant sur le fonctionnement des organismes vivants. Le patrimoine héréditaire inscrit dans l'ADN des gènes ne subit aucune influence du milieu extérieur. Il détermine la forme, le fonctionnement, toutes les particularités de l'organisme, selon une nécessité aussi totale que celle qui est enfermée dans une mémoire d'ordinateur.
Mais de temps à autre, au niveau moléculaire, qui relève de la physique quantique, un changement apparaît au cours de la réplication de la chaîne d'ADN. Ce changement est aléatoire, il n'est déterminé par rien ; il est hasard pur. Mais il est irréversible : la chaîne d'ADN ainsi modifiée continuera de se reproduire selon la nouvelle formule. Si toutefois elle survit, car ici intervient la sélection naturelle. Le mécanisme n'en est d'ailleurs pas tout à fait celui qu'avait entrevu Darwin. Une mutation viable peut engager la lignée dans une voie nouvelle, instituer des critères différents pour l'appréciation des mutations ultérieures : c'est la pression de sélection. Elle explique ce que Monod appelle la téléonomie, c'est-à-dire l'apparente obéissance de l'évolution à un projet préétabli. Ce projet n'existe pas comme tel, il n'y a pas de finalité véritable. C'est à tort que les religions et la philosophie marxiste assignent un sens immanent à l'histoire humaine. Au nom de la vérité biologique, il nous faut rejeter les vieux mythes : « L'homme sait enfin qu'il est seul dans l'immensité indifférente de l'Univers d'où il a émergé par hasard. Non plus que son destin, son devoir n'est écrit nulle part. »
Prestige de la recherche
C'est donc à l'homme qu'il appartient de les forger lui-même, s'il ne veut pas sombrer dans les ténèbres ; et Monod propose de fonder la morale, comme la construction d'une société humaine rationnelle, sur une valeur librement choisie : celle de la connaissance scientifique.
Cette philosophie hautaine a rencontré des objections. Ses critiques ont souligné qu'elle suppose la science biologique achevée, alors que de nouveaux phénomènes et d'autres lois sont peut-être à découvrir ; elle ignore les sciences humaines, qui nous montrent à l'évidence que les systèmes de valeurs morales ne se fondent pas sur des choix axiomatiques. Mais que le livre de Monod ait trouvé un tel écho témoigne du prestige qui s'attache à la recherche fondamentale, particulièrement dans un domaine où ses progrès sont impressionnants, la biologie moléculaire. Dans le même temps où la prolifération technologique de la société de consommation incite certains à mettre en cause la science, c'est vers la science que d'autres se tournent pour trouver une réponse aux problèmes qui hantent l'humanité contemporaine.
Sous le titre Science et société, l'astrophysicien Evry Schatzman, tout en partant d'une philosophie différente, propose lui aussi la valorisation de la connaissance comme fin de l'activité humaine et remède à ses contradictions. L'astrophysique est, avec la biologie, la discipline qui a accumulé la plus riche moisson en peu de temps. Les quasars, les pulsars, les objets inattendus observés en rayonnement radio, infrarouge, ultraviolet renouvellent les grands problèmes de la cosmogonie. Les équipages du programme Apollo, les robots téléguidés sur la Lune ou vers Mars poursuivent l'exploration directe du système solaire. Ainsi l'astrophysique et l'astronautique, comme la biologie, proposent à l'homme une nouvelle vision de sa place dans l'Univers.
Résoudre les problèmes
Qu'on le voie comme une menace ou comme le suprême recours, le développement des sciences et des techniques pèse de plus en plus lourd parmi les facteurs de notre destin. Mais ceux-là même qui lui font confiance (et qui demeurent les plus nombreux) sont bien éloignés de la foi naïve des scientistes du siècle dernier. La technique a trop bien montré qu'elle est capable d'apporter, au lieu du progrès, la détérioration des conditions de vie, voire le suicide collectif. C'est plutôt à l'esprit scientifique qu'on fait appel, en lui demandant de s'appliquer à résoudre les problèmes de la société humaine (y compris ceux que pose l'essor technologique) de la même façon qu'il fait triomphalement progresser notre connaissance de la nature.