Lorsque leur densité a ainsi augmenté dans des proportions considérables, les lemmings se mettent en route. Ils ne constituent pas une horde compacte, mais cheminent chacun pour son compte : ils se réunissent cependant en face de certains obstacles, et franchissent en masse les lacs et les rivières, bien qu'ils soient médiocres nageurs. Une barque s'y trouve-t-elle, ils y grimpent et la font chavirer.

Pas de suicide

Ces invasions, le fait est curieux, suivent à chaque fois des trajets identiques. Elles se terminent fréquemment à la mer, ce qui a fait naître la légende du suicide des lemmings : en fait, il n'y a pas de suicides chez les animaux. Mais ; Il est exact que les lemmings se précipitent en masse dans la mer, d'où leurs petites têtes émergent par milliers : ils y nagent jusqu'à épuisement et s'y noient.

Ces invasions constituent une aubaine pour de nombreux animaux : les hermines, les chats, et même les chèvres et les rennes se jettent sur cette manne providentielle. Les rapaces, et notamment la chouette des neiges, peuvent, grâce à cette nourriture surabondante, élever plus de jeunes que d'habitude. Les lemmings en marche sont également décimés par une maladie, la fièvre des lemmings, qui semble être une sorte de tularémie : il est bien connu que plus une population est dense, plus elle est sensible aux épidémies.

L'invasion de 1970, en raison de son importance, fera date dans les annales de la zoologie. Celles-ci gardent, de même, le souvenir d'années à criquets, ou encore d'années à jaseurs, ces beaux oiseaux de Scandinavie qui envahissent parfois l'Europe. Les lemmings sont actuellement absents de France et d'Europe occidentale, mais lors de la dernière glaciation ils se sont répandus jusqu'à la Méditerranée.

L'Homme

Archéologie

Les origines de la notion d'État

De nombreuses théories ont été proposées pour expliquer l'apparition des premiers États dans les plus anciennes régions civilisées du monde. La dernière en date, formulée par Robert L. Carneiro, du Muséum d'histoire naturelle de New York, fait intervenir la superficie de la terre arable disponible, la promiscuité, enfin la violence.

On admet aujourd'hui que les premiers États centralisés ont dû se former vers la fin du IVe millénaire av. J.-C, en Mésopotamie : ce sont les cités-États sumériennes. Mais en Mésopotamie comme sur le terrain des autres civilisations, il est pratiquement impossible aux archéologues de dire comment s'est faite cette apparition. On ne peut même pas donner de date précise : les niveaux archéologiques montrent seulement l'importance croissante prise par les édifices publics au cours des temps. L'évolution est progressive, et surtout rien ne fait apparaître le contexte social lié à cette transformation.

Pour V. Gordon Childe, le grand archéologue australien mort en 1957, la naissance de l'État fut un résultat presque automatique du développement de l'agriculture. Celle-ci permettait aux sociétés d'accumuler des surplus, et par conséquent de nourrir des gens qui ne travaillaient pas la terre. D'où les diverses spécialisations, la division du travail et, avec la nécessité d'une coordination, l'apparition d'une classe dirigeante.

Le manque d'eau

Mais il faudrait alors expliquer pourquoi toutes les régions agricoles n'ont pas donné naissance à des États. Il y a des endroits où les sociétés paysannes pourraient produire des surplus alimentaires et où elles ne le font pas : on y produit juste de quoi se nourrir et se procurer par échange ce qui n'est pas obtenu sur place.

Il faut donc trouver un facteur supplémentaire qui n'a joué que dans le cadre de certaines sociétés agricoles. Ce facteur, l'historien Karl Wittfogel le découvrait dans les besoins en eau. Les premières civilisations — explique-t-il dans son ouvrage sur le Despotisme oriental — sont nées dans des réglons arides ou semi-arides, ou encore dans des réglons où, comme en Chine ou dans l'Asie du Sud-Est, le contrôle des eaux représentait une question vitale. Les nécessités de l'irrigation, la construction et l'entretien de canaux et de digues auraient entraîné peu à peu l'apparition d'une autorité suprême, d'un pouvoir centralisé, d'une administration.