Pour être officialisé (et entrer dans les faits), l'accord communautaire doit être inscrit dans la Constitution. Or, la réforme constitutionnelle nécessite une majorité des deux tiers. La coalition au pouvoir (le Parti social chrétien ou PSC et le Parti socialiste belge ou PSB) ne possède pas cette majorité requise. L'appui du troisième grand parti, le PLP (Parti pour la liberté et le progrès), est indispensable. En effet, les voix manquantes ne peuvent guère venir des « extrémistes » du FDF (Front des démocrates francophones bruxellois) ou de la Volksunie (flamand), hostiles à l'accord pour des raisons opposées.
De toute façon, l'accord ou « compromis linguistique » ne soulève l'enthousiasme d'aucune formation politique. Les partis au gouvernement le soutiennent avec une certaine résignation. Quant au PLP, il se prononce, en mars 1970, pour la liberté de vote sur la question, position qui montre sa division en même temps qu'elle a l'avantage de préserver son unité. En fait, la seule chance de ce projet est d'abord qu'il n'apparaît pas de solution de rechange, ensuite la volonté d'aboutir du Premier ministre, qui, en juin 1968, a été principalement appelé pour résoudre cet irritant problème.
Le groupe des « 28 »
L'accord communautaire, pour aussi peu satisfaisant qu'il soit, a été difficile à mettre au point. À l'automne de 1969, la question linguistique doit en principe céder temporairement la place aux problèmes économiques et financiers. Mais, dès la rentrée politique de septembre, elle revient au premier plan de l'actualité avec l'ultimatum de Servais, président des sociaux-chrétiens wallons, qui exige une réforme rapide de la Constitution (avec des garanties pour la minorité wallonne) en brandissant la menace d'une démission collective des ministres francophones de son parti (au nombre de sept, parmi lesquels P. Harmel, ministre des Affaires étrangères).
Fort opportunément, à la fin de ce même mois de septembre 1969, Gaston Eyskens réussit à décharger son gouvernement de cette épineuse question, en en transférant la responsabilité sur un groupe de travail de vingt-huit membres réunissant des participants de tous les partis de l'opposition et de la majorité. Le problème linguistique doit être résolu avant le 15 novembre. Après une courte période euphorique, où un consensus s'établit sur le problème de l'autonomie culturelle, l'amorce de la discussion du statut futur de Bruxelles fait ressurgir les dissensions. La délégation de la Volksunie (extrémistes flamands) quitte le groupe à la fin du mois d'octobre, et peu de temps après, six semaines après sa constitution, la Conférence linguistique suspend ses travaux ; tous étaient d'accord pour constater leur désaccord.
Ne voulant pas rester sur cet échec, le Premier ministre décide de former une commission spéciale de vingt-quatre membres, cette fois destinée à régler la seule question bruxelloise. Constituée le 23 novembre 1969, la commission doit avoir achevé ses travaux avant le 15 décembre. Dès le départ, la commission ne réalise pas l'unanimité. La Volksunie refuse d'y siéger, ainsi que Vanden Boeynants, ancien Premier ministre, échevin de Bruxelles et personnalité la plus en vue de la capitale. Les travaux tournent court rapidement devant l'opposition irréductible des Flamands (refusant de revenir sur les lois de 1963 qui avaient déterminé la structure linguistique de l'ancien arrondissement de Bruxelles) et des Wallons (décidés à « faire sauter le carcan linguistique étouffant la capitale », c'est-à-dire empêchant la francisation progressive de l'agglomération).
La seule conclusion à laquelle on aboutit (dès la suspension des travaux de la conférence linguistique) est que « l'État unitaire a vécu », conclusion avalisée dès la première quinzaine de février 1970 par un ancien champion de l'unitarisme, Paul-Henri Spaak, qui préconise un « fédéralisme à trois » (Wallonie, Flandre, Bruxelles), accordant une certaine autonomie culturelle à chacune des communautés, mais demeurant centralisateur sur le plan économique. Dans la seconde quinzaine de février, le cabinet arrive enfin à mettre au point le projet d'accord qui doit être soumis au vote, en même temps que le projet 125 organisant la planification et la décentralisation économiques, réclamées par les socialistes.
Les conflits sociaux
Au début de l'année 1970, le problème communautaire a dû céder quelque peu la vedette à la grève sauvage des mineurs du Limbourg. Dans la première quinzaine de janvier, 15 000 mineurs de cette province cessent le travail et le mouvement s'étend rapidement à la quasi-totalité des effectifs (23 000 mineurs). Le motif initial de la grève, décidée et poursuivie sans l'appui des syndicats, est une insuffisance des augmentations salariales. Mais rapidement des implications politiques s'y mêlent. Les extrémistes de la Volksunie voient là une belle occasion d'« exciter les mineurs flamands contre la sidérurgie wallonne qui les exploite », cependant que des étudiants apportent leur appui à un groupement créé, Force des mineurs, aux objectifs révolutionnaires, débordant largement le cadre du syndicalisme traditionnel. Des incidents éclatent à la fin de janvier, alors que les 8 000 ouvriers de l'usine Ford de Genk se mettent en grève (appuyés aussitôt, cette fois, par les syndicats), suivis au début de février par les 5 000 travailleurs de l'usine de la General Motors d'Anvers.