La grande affaire de l'année 1978 fut le référendum du 6 décembre pour l'adoption de la nouvelle Constitution, élaborée, à partir d'août 1977, par une commission parlementaire comportant des représentants de toutes les formations politiques. La rédaction de ses 169 articles n'a pas toujours été aisée. Mais, finalement, de la droite à la gauche, chacun se reconnaît peu ou prou dans cette charte qui marque la rupture définitive avec l'ère franquiste. On y relève notamment l'abolition de la peine de mort (sauf pour les crimes ressortissant de la justice militaire), la liberté politique, syndicale et de presse, l'autonomie des provinces, la séparation de l'Église et de l'État, la légalisation du divorce, l'abaissement de l'âge électoral de 21 à 18 ans.

Le Parlement approuve le texte à une très forte majorité, le 31 novembre. Cependant, on devait s'en apercevoir au cours de la campagne pour le référendum, cette quasi-unanimité n'était pas toujours partagée dans le pays. L'extrême gauche nationaliste — basque et catalane —, comme la « droite de la droite » y étaient profondément hostiles, de même que le clergé intégriste, à la tête duquel le cardinal Gonzalez Martin, archevêque de Tolède et primat d'Espagne, dénonçait, le 28 novembre, l'absence de « toute référence à Dieu » et le danger « très grave » de proposer une constitution agnostique à « un peuple de baptisés ».

Plus raisonnable, la conférence épiscopale décidait, le 21 novembre, de renoncer au Concordat qui, depuis 1953, concédait à l'Église catholique un rôle privilégié au sein de l'État. Un accord fut signé à ce propos, le 3 janvier, entre le ministre des Affaires étrangères, M. Oreja, et Mgr Villot.

Élections

Quoi qu'il en soit, le 6 décembre, les électeurs espagnols approuvaient par 87,79 % de « oui », contre 7,91 % de « non » la Constitution. Mais l'ampleur du taux d'abstentions, 32,33 %, en particulier dans les provinces basques (il atteignait plus de 56 % en Biscaye et au Guipuzcoa), tempéra l'allégresse des états-majors politiques de Madrid.

Sur la lancée, Suarez fit dissoudre le Parlement par le roi, afin de procéder à de nouvelles élections législatives, fixées au 1er mars. En accordant la priorité au renouvellement des Cortes sur celui des municipalités, dont le scrutin devait se dérouler le 3 avril, le Premier ministre manifestait, une fois de plus, son habileté tactique en prenant de court l'opposition, qui comptait bien, en entrant en masse dans les conseils municipaux, derniers bastions du franquisme, organiser à son profit la campagne électorale pour le Parlement.

L'opération s'avéra avantageuse pour la formation gouvernementale, l'UCD, qui consolida son avance au détriment de la droite, qui s'est effondrée, et du parti socialiste, qui a perdu 800 000 voix en vingt mois, tandis que les communistes gagnaient quelques points. (Cette contre-performance contraignit Gonzalez à abandonner la direction du PSOE, lors de son IIIe Congrès, le 20 mai.) Toutefois, il manquait neuf sièges à l'UCD pour obtenir la majorité absolue. Le 28 mars, le roi reconduisait au poste de Premier ministre Adolfo Suarez, que les Cortes investissaient le surlendemain par 183 voix contre 149 et 8 abstentions.

L'opposition de gauche devait prendre sa revanche lors des élections municipales, dernier acte de la « transition démocratique ». Ce fut un véritable raz de marée : malgré — ou à cause — d'un fort taux d'abstentions (40 %), toutes les grandes villes furent conquises par les communistes et les socialistes, y compris Madrid qui se donna pour maire le professeur socialiste Tierno Galvan, figure légendaire de l'opposition à Franco.

Quelques jours après, on connaissait la composition du nouveau cabinet, dont les principales caractéristiques étaient le départ de Fernandez Ordonez, ministre de l'Économie et bête noire du patronat, et la désignation à l'Intérieur d'un militaire, le général Ibanez Freire, un ancien de la division Azul.

Terrorisme basque

Cette nomination apparaissait comme une concession faite à l'armée, de plus en plus exaspérée par la violence basque qui s'exerce contre les siens. Pas un instant, tout au long de cette année et en dépit des projets de large autonomie proposés par Madrid, l'ETA n'a abandonné sa revendication d'indépendance du Pays basque, multipliant meurtres et attentats pour l'appuyer : 60 personnes ont été tuées en 1978, et, du 1er janvier au 25 mai 1979, les terroristes en ont abattu 54 autres. Les irrédentistes basques choisissent avec soin les dates de leurs forfaits, généralement les campagnes électorales, et leurs cibles : en plus de dizaines de gardes civils anonymes, ils ont assassiné des officiers supérieurs parmi lesquels un général et son aide de camp, le 22 juillet à Madrid, le gouverneur militaire de la capitale, le général Ortin Gil, le 3 janvier, et encore un autre général, le 6 mars à Madrid. Et, le 25 mai, veille de la Journée des forces armées, trois officiers supérieurs, dont le général Gomez Hortiguela, chef du personnel de l'armée de terre, étaient abattus à leur tour. Le lendemain, une bombe explose dans une cafétéria de Madrid, faisant huit morts et une cinquantaine de blessés. Adolfo Suarez s'efforce cependant de ne pas se laisser entraîner dans l'engrenage de la répression : « Prendre des mesures d'exception au Pays basque serait tomber dans le piège. L'ETA ne peut prétendre contrôler ce pays, comme s'il lui appartenait. » Mais les élections démontraient la forte implantation de l'ETA qui faisait élire — par la persuasion ou par la terreur — quatre députés qu'elle soutenait.