Les événements pétroliers auront pour effet d'affaiblir la compétitivité des produits européens (et japonais) face à leurs concurrents américains, qui trouvent chez eux l'essentiel de leur pétrole, à des prix inchangés.

Autres sources d'énergie

Si la conjoncture mondiale vient de se retourner en faveur des producteurs, elle peut un jour redevenir favorable aux consommateurs. À court terme, grâce eu lancement des nombreux pétroliers géants actuellement en chantier, à l'ouverture de nouveaux pipe-lines et à la réouverture possible du canal de Suez, qui desserreront les goulets d'approvisionnement ; à moyen terme, si les nouveaux champs pétroliers tiennent leurs promesses ; enfin, à plus long terme, parce que la hausse des prix du pétrole va donner, ou redonner, leurs chances aux autres sources d'énergie, qui contribueront à rétablir l'équilibre.

Il s'agit moins du charbon et du gaz naturel, dont on connaît bien les limites et les possibilités (quantités et prix de revient) que d'énergies nouvelles. Ainsi, il existe aux États-Unis et au Canada des gisements énormes de pétrole inclus dans des sables ou des schistes, dont le volume équivaut à toutes les réserves actuellement connues. Elles sont restées inexploitées jusqu'à présent parce qu'il était plus facile et plus rentable de forer des puits au Moyen-Orient. Mais cela pourrait changer : les prix de revient ne sont plus tellement éloignés, et les recherches sur les méthodes d'exploitation des sables et schistes, qui sont menées depuis des années, pourraient combler bientôt l'écart subsistant. Enfin, l'énergie nucléaire va maintenant se développer à grande échelle ; seul le faible prix du fuel l'avait freinée ces dernières années, mais sa compétitivité est maintenant assurée, en Europe comme aux États-Unis.

Un nouveau style de rapports

Au niveau de la politique internationale, enfin, Téhéran et Tripoli annoncent une revanche : pour la première fois, ce sont les pays pauvres du tiers monde, fournisseurs de matières premières, qui dictent leurs conditions aux pays développés, et non l'inverse.

Une ère historique, où la domination coloniale avait ouvert la porte à l'exploitation économique, s'achève. Les prix du pétrole se négocient désormais entre puissances égales.

Par ailleurs, la structure triangulaire prédominante du marché pétrolier — des compagnies américaines approvisionnent en pétrole arabe les consommateurs européens — a révélé ses faiblesses. Tant que le système a fonctionné dans de bonnes conditions, les appels à la solidarité des Européens face aux grands américains ont pu sembler peu convaincants. Bien que ces grandes compagnies aient apparemment rétabli leur autorité à l'occasion des récents événements, on peut penser que la nécessité d'une politique européenne de l'énergie, aboutissant à un nouveau type de rapports entre États producteurs et États consommateurs, sera de mieux en mieux reconnue.

Pour mouvementées, voire dramatiques, qu'elles soient aux yeux de certains, les négociations entre la France et l'Algérie ne peuvent être correctement appréciées en dehors de ce contexte international. Parmi les décisions annoncées unilatéralement le 13 avril 1971 par Boumediene, après des mois de péripéties, certaines restent dans la ligne des accords de Téhéran et de Tripoli, notamment le prix auquel l'Algérie entend désormais céder son pétrole.

Nationalisation algérienne

D'autres, au contraire, vont beaucoup plus loin et conservent incontestablement à l'Algérie ce prestige de leader de la « lutte contre les séquelles du colonialisme » qu'elle a voulu se donner. Il en va ainsi, par exemple, de la reprise par la Société nationale algérienne Sonatrach de toutes les concessions de gaz naturel et de pétrole, et de la nationalisation, à 51 % ou a 100 % peu importe, des compagnies françaises exerçant en Algérie, comme il en avait été auparavant pour les autres compagnies étrangères. Aucun autre pays producteurs, du Moyen-Orient ou d'Afrique du Nord, n'avait cru devoir ou pouvoir aller si loin.