espérance, espoir

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin spes, « espoir ».

Morale, Philosophie de la Religion

1. Désir d'un bien futur considéré comme possible (contraire de la crainte). – 2. Au sens chrétien, vertu théologale consistant dans l'attente confiante de la rédemption prise comme bien futur par excellence (on parlera alors d'espérance).

L'espoir est par excellence une affection de l'avenir, au double sens où dans l'espoir l'appréhension de l'avenir nous affecte, en même temps qu'il devient pour nous l'objet d'un attachement dynamique. Si saint Thomas(1) distingue nettement l'espoir du désir ou de l'avidité, qui sont des passions concupiscentes, c'est pour introduire dans la définition de l'espoir l'idée que l'obtention du bien espéré doit faire l'objet d'un effort difficile, ce qui l'apparente à une passion irascible. Cet effort se rattache au fait que l'espoir dans son sens théologal relève de l'attente confiante d'un bien qui n'est pas visible : l'effort réside précisément dans la confiance en un avènement imprévisible (« voir ce que l'on espère, ce n'est pas espérer [...] mais si nous espérons ce que nous ne voyons pas, nous l'attendons avec patience »(2)).

Mais cette approche chrétienne concerne un bien qui mobilise paradoxalement notre appréhension du futur par-delà toute temporalité. La sécularisation de cette vertu modifie profondément sa conception philosophique : dès lors qu'il n'est plus référé à un bien éternel, l'espoir redevient modalité d'un désir immanent (comme par exemple chez Descartes(3)), en même temps qu'il se pénètre de la conscience que le bien à venir est contingent et précaire. Tandis que la vertu théologale d'espérance exprimait la tension radicale de la vie chrétienne comme attente de la venue du royaume des cieux, l'espoir ainsi restitué à la contingence se comprend comme structuration affective de l'avenir, dans laquelle se révèle notre propre finitude(4). Ainsi l'espoir, dès lors qu'il vise l'avènement d'un bien dans le temps, se tient à égale distance de l'assurance (qui correspond à la probabilité maximale de l'événement souhaité) et du désespoir (qui correspond à sa probabilité minimale). L'effort difficile que décrivait Thomas devient alors le principe d'un passage du désir passif d'un bien possible à un travail actif en vue de sa réalisation concrète, par où l'espoir devient le programme d'une action sur ce qui est et ce qui doit advenir.

Laurent Gerbier

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Saint Thomas, Somme Théologique, Ia IIæ, q. 40, a. 1-2, Cerf, Paris, 1984.
  • 2 ↑ Saint Paul, Épître aux Romains, 8, 24-25, Nouveau Testament, tr. Osty & Trinquet, Seuil, Paris, 1978, p. 332.
  • 3 ↑ Descartes, R., Passions de l'âme, II, 57-58, édition Adam & Tannery, Vrin-CNRS, Paris, 1996, vol. XI, p. 374-375.
  • 4 ↑ Spinoza, B., Éthique, IV, 9-12 et 47, tr. Ch. Appuhn, GF, Paris, 1965, p. 228-231 et 265.

→ désir, espérance mathématique, foi, futur contingent, principe espérance




espérance mathématique

Morale

Somme des valeurs que peut prendre une variable aléatoire, pondérée par les probabilités (chaque valeur étant donc multipliée par la probabilité correspondante). En particulier, l'espérance mathématique, dite autrefois espérance morale, est la somme pondérée (par les probabilités) des avantages nets possibles d'une action ou d'un choix (l'indice numérique représentant le résultat d'une action ou d'un choix donnés étant alors la variable aléatoire dont on prend l'espérance mathématique). On parle dans ce cas d'espérance mathématique d'utilité, ou encore d'utilité espérée.

L'histoire du concept d'espérance mathématique se confond pratiquement avec celle de l'analyse des jeux de hasard ou de stratégie, laquelle recoupe aussi les débuts de l'analyse probabiliste. Conformément à une certaine acception de la notion d'« espérance » en général, il s'agit de se demander ce qu'un agent « peut espérer » de tel ou tel parti qu'il est libre de choisir dans un jeu ou une situation comportant un aléa, ou bien de la participation à un jeu (sous l'hypothèse du choix subséquent du meilleur parti). Les premières formulations claires de cette idée sont dues à Pascal (notamment dans les Pensées), ainsi qu'à Arnauld et Nicole dans la Logique de Port-Royal. D. Bernoulli a ensuite précisé cette idée générale de manière à tenir compte des caractéristiques des objectifs ou de la satisfaction d'un individu précis(1).

La définition de l'espérance mathématique d'utilité prétend fixer une certaine notion de l'avantage s'attachant aux actions. Importante en philosophie morale et dans d'autres domaines (elle a notamment permis l'élaboration de nombreux modèles économiques et politiques), elle peut être dérivée de systèmes axiomatiques. Elle est toutefois restrictive parce qu'elle suppose une prise en compte linéaire des probabilités, comme si la décision ou le jugement devait toujours reposer, face à l'incertain, sur une sorte de moyenne.

D'un point de vue descriptif ou explicatif, on a pu contester l'aptitude de la formule de l'utilité espérée à décrire de manière adéquate le comportement effectif des agents humains confrontés à des situations de risque admettant la définition de probabilités subjectives ou objectives. Mais la norme du choix selon l'espérance mathématique d'utilité maximale conserve une valeur normative qui peut justifier qu'on la retienne à titre de référence, sans doute au prix d'une réinterprétation des éléments à relier (avantages, coûts, jugements de probabilité...)(2). À cause de la volonté d'allier l'explication à la recherche des raisons du choix, il a paru difficile, en effet, de renoncer à cette notion.

Emmanuel Picavet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Bernoulli, D., « Specimen theoriae novae de mensura sortis », Commentarii Academiae scientiarum imperialis Petropolitanae, 1738, vol. V (pour 1730-31), pp. 175-192.
  • 2 ↑ Marschak, J., « Why “Should” Statisticians and Businessmen Maximize Moral Expectation ? », in Proceedings of the Second Berkeley Symposium on Mathematical Statistics and Probability, University of California Press, Californie, 1951.
    Savage, L. J., The Foundations of Statistics, 2e éd., New York, Dover, 1972, sec. 5. et 6.
    Harsanyi, J. C., « Nonlinear Social Welfare Functions : Do Welfare Economists Have a Special Exemption from Bayesian Rationality ? », Theory and Decision, 6 (1975), pp. 311-332, repris in J. C. Harsanyi, Essays on Ethics, Social Behavior and Scientific Explanation, D. Reidel, Dordrecht, 1976.

→ Allais (paradoxe d'), décision (théorie de la), espoir et espérance, préférence, probabilité, rationalité, utilité