angoisse

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin angustia, « étroitesse », en allemand Angst.


Distincte de la peur dans la mesure où, contrairement à celle-là, l'angoisse est auto-référentielle et porte sur des possibles propres qui portent un sujet vers sa négation ou vers sa mort, l'angoisse est une notion qui a pris toute sa force au sein des philosophies de l'existence. D'un simple sentiment, elle est devenue une catégorie proche de l'existential sartrien typique.

Métaphysique, Phénoménologie

Malaise physique et psychique résultant d'un danger réel ou imaginaire.

Cette notion, qui appartient d'abord à la psychologie et à la psychiatrie, désigne un sentiment d'oppression, de resserrement lié à une crainte devant laquelle le sujet se découvre impuissant, faisant percevoir à la fois l'urgence et l'impossibilité d'une action. Elle est reprise par les philosophies de l'existence pour désigner une inquiétude métaphysique propre à l'existence humaine jaillissant du néant et ouverte sur l'avenir.

Kierkegaard lui donne une ampleur à la fois métaphysique et religieuse. L'angoisse caractérise la réalité de la liberté comme ce possible qui est un rien. Distincte d'une faute ou d'un fardeau, elle est foncièrement une inquiétude sans objet. Si elle est d'abord ce rien effrayant d'une ignorance innocente, telle qu'elle se formule dans les questions d'enfants, elle procède ensuite de l'interdit qui éveille la possibilité de la liberté. Suite au péché, elle a un objet déterminé du fait de la position du bien et du mal et de la culpabilité de l'homme. Empruntant à Kierkegaard et à Heidegger, Sartre conçoit l'angoisse comme une détermination de la conscience de liberté qui fait que l'existence humaine est à la fois projective et référée à sa contingence. Elle est également proche de la nausée comme affect renvoyant à l'épaisseur et à la facticité de tout ce qui est comme étant de trop. Chez Heidegger elle reçoit une acception proprement ontologique. Il s'agit de la tonalité révélant l'être du Dasein comme souci. Parce qu'il n'est pas un sujet abstrait coupé du monde, le Dasein est toujours disposé selon une « tonalité » (Stimmung) qui l'ouvre au monde. Tonalité fondamentale, l'angoisse est un mode privilégié d'ouverture du Dasein. À la différence de la peur qui porte toujours sur un étant, l'angoisse, qui ne sait pas de quoi elle s'angoisse, dévoile l'être en faisant vaciller l'étant dans son ensemble. Dans l'angoisse le Dasein découvre qu'il n'en est rien de l'étant. Elle constitue ainsi un contre-mouvement par rapport à la déchéance, en reconduisant cet étant qui a à être qu'est le Dasein vers son être-au-monde et en le plaçant dans son être-libre pour l'existence authentique. Il y a le un solipsisme existential qui, à la différence du solipsisme du sujet cartésien coupé du monde, place le Dasein devant son monde et devant lui-même comme être-au-monde. Toutes les autres tonalités affectives sont des modifications inauthentiques de l'angoisse, seule tonalité authentique. Impliquant une totale autarcie par rapport à la préoccupation quotidienne, elle peut tout à fait coexister avec la sérénité la plus grande. Peut ainsi surgir une interrogation concernant l'être de l'étant, et l'angoisse peut être rapprochée de l'étonnement comme commencement de la philosophie.

Jean-Marie Vaysse

Dans l'anthropologie de la conscience anticipatrice sur laquelle se fonde sa philosophie de l'utopie, Ernst Bloch entend délivrer la conception psychanalytique et la conception existentialiste de l'angoisse de sa régressivité. Les affects peuvent être classifiés, selon leur rapport au temps (tout aussi décisif que chez Heidegger), en « affects possédant leur contenu » et en « affects de l'attente » (gefüllte Affekte, Erwartungsaffekte). Parmi les premiers on trouve l'envie, l'avidité ou la vénération ; parmi les seconds, qui sont proprement utopiques, l'angoisse, la « crainte » (Furcht), l'« espérance » (Hoffnung) et la foi.

Gérard Raulet

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Kierkegaard, S., Le concept d'angoisse, Gallimard, Paris, 1935.
  • 2 ↑ Sartre, J.P., L'être et le néant, Gallimard, Paris, 1943 ; La nausée, Gallimard, Paris, 1938.
  • 3 ↑ Heidegger, M., Sein und Zeit, (Être et temps), Tübingen, 1967, § 40. Was ist die Metaphysik ? (Qu'est-ce que la métaphysique ?), Frankfurt, 1976.
  • 4 ↑ Bloch, E., Das Prinzip Hoffnung (Le principe Espérance), Frankfurt, 1959, t. 1.

→ authentique, dasein, déchéance, disposition, être, existence, existential, mort, utopie

Psychanalyse

Fonction biologique essentielle et réaction à un danger manifestée par un état d'excitation et de tension ressenti comme déplaisir et dont on ne peut se rendre maître par une décharge, l'angoisse est ubiquiste ; elle se manifeste devant les dangers externes et psychiques.

Ce concept subit un remaniement chez Freud. D'abord seule envisagée, l'angoisse névrotique est accumulation de libido, sans élaboration ni décharge(1). Ce processus fruste se retrouve lors du refoulement, où la déliaison d'affect crée l'angoisse. La phobie l'exprime dans une formation de substitut, comme la peur du cheval chez Hans.

En 1925(2), Freud reconnaît l'angoisse comme fonction biologique générique. L'ontogenèse de ses formes d'expression procède de la déréliction du nourrisson, incapable de survie sans soins. Les dangers éprouvés du fait des excitations internes ou du monde extérieur, et l'angoisse corrélative sont alors liés au manque d'amour. Ce motif persiste. Il est le noyau des angoisses ultérieures plus élaborées, qu'elles soient « de réel », y compris l'angoisse de castration, ou névrotiques, liées aux pulsions.

Restent les angoisses psychotiques, incommensurables avec les précédentes et énigmatiques. Elles démontrent le mieux le caractère endogène de l'angoisse, et le travail de métabolisation de l'angoisse que l'éducation tente d'accomplir, même si les humains demeurent des animaux phobiques.

Mazarine Pingeot

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Über die Berechtigung, von der Neurasthenie einen bestimmten Symptomkomplex als « Angstneurose » abzutrennen (1894), G.W. I, Du bien-fondé à séparer de la neurasthénie un complexe déterminé, en tant que « névrose d'angoisse », OCP III, PUF, Paris, 1998, pp. 29-58.
  • 2 ↑ Freud, S., Hemmung, Symptom und Angst (1926), G.W. XIV, Inhibition, symptôme, angoisse, OCP XVII, PUF, Paris, pp. 203-286.

→ abréaction, affect, décharge, déréliction, dualisme, élaboration, liaison / déliaison, névrose, psychose et perversion, pulsion