dualisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin dualis, composé de deux.

Philosophie Générale

Doctrine qui a recours à deux principes hétérogènes.

On appelle dualiste une philosophie qui organise sa conceptualité propre autour de deux instances irréductibles l'une à l'autre. Mais sans doute ce qu'on appelle par la suite dualisme doit-il beaucoup à Platon, dont la doctrine s'articule autour de la partition entre monde sensible, le monde que nous connaissons par l'entremise de nos sens, et monde intelligible, ou monde des Idées, auquel nous n'avons accès que par le détour de la réflexion et l'application de l'esprit. Ainsi le dualisme platonicien oppose-t-il en fait la connaissance perceptive et la connaissance intellectuelle, en montrant que la seconde constitue le seul accès possible à la vérité : c'est en sortant de la caverne et de ses ombres portées que le prisonnier auparavant enchaîné (métaphoriquement, à son corps, source d'erreurs et d'illusions) aura la chance d'apercevoir la lumière du soleil ou du Bien, la plus grande des Idées.

Ce dualisme inaugural détermine en fait toute l'histoire de la philosophie, puisque le dualisme de l'âme et du corps, tel qu'il se voit prêté à Descartes, hérite de cette partition originelle : même si Descartes développe une physique élaborée, le corps demeure objet d'étude mais en aucun cas sujet de connaissance ; il reste tel que Platon l'avait défini : un embarras pour l'exercice de la pensée. Dès qu'il s'agit d'appliquer son attention et son esprit, il faut reprendre chez Descartes l'injonction du Phédon : philosopher, c'est s'exercer à mourir. Mourir à son corps pour faire advenir la lumière de la vérité, tel est le geste inaugural de toute l'histoire de la philosophie, que ce soit dans un mouvement de conversion du regard vers le monde intelligible (Platon) ou de suspension du jugement spontané par le doute (Descartes).

Mais cette volonté de vérité et de négation du corps et de la perception traduit aussi une volonté mortifère, ou castratrice, selon Nietzsche. Les prêtres et les philosophes ont ceci de commun qu'ils cherchent à « extirper » la vie de la pensée, à rejeter hors de son champ tout ce qui a trait au corps et à la perception dans son épaisseur vécue. La phénoménologie recherchera une issue au dualisme, sans toujours y parvenir, tant est tenace cette tradition qui structure aussi bien l'histoire de la pensée.

On peut dire, ainsi, que jusque dans la doctrine de Sartre, l'opposition de l'en-soi et du pour-soi (si elle ne recouvre évidemment pas celle de l'âme et du corps ou des idées et du sensible), constitue une nouvelle figure de ce dualisme qui permet sans doute d'engrener les rouages de la théorisation, même lorsqu'on veut le dépasser.

Clara da Silva-Charrak

Notes bibliographiques

  • Descartes, R., Méditations métaphysiques.
  • Nietzsche, F., Le Crépuscule des idoles.
  • Platon, Phédon, La République.

→ cartésianisme

Psychanalyse

La compréhension des formations et processus psychiques – en tant qu'ils sont l'expression d'un conflit sous-jacent opposant des forces antagonistes – impose l'hypothèse dynamique d'un dualisme pulsionnel (en allemand : Dualismus, « dualisme »).

Freud oppose d'abord « la faim et l'amour », les pulsions du moi (ou d'autoconservation), régies par le principe de réalité – mais mal identifiées – et les pulsions sexuelles (libido), soumises au principe de plaisir. L'étude des psychoses et du narcissisme, qui démontre que la libido peut investir le moi, entraîne un monisme pulsionnel libidinal – le conflit opposant libido du moi et libido d'objet. La mise au jour de la contrainte de répétition dans la cure et les névroses traumatiques, qui contredisent le principe de plaisir, imposent l'invention d'un nouvel espace théorique(1). L'opposition entre pulsion de vie (qui comprend désormais les pulsions sexuelles et d'autoconservation) et pulsion de mort – entre capacité d'évolution et éternel retour du même – devient le réfèrent ultime des pulsions. Il vaut désormais pour l'ensemble des faits biologiques.

L'évolution qui mène du premier dualisme (autoconservation / sexuel) au second (pulsion de vie / de mort) entraîne un chiasme. Dans la première topique, la sexualité peut être néfaste ou toxique, elle dérange et perturbe ; dans la seconde, elle est un principe vital, ductile et plastique, qui impose – permet – souplesse et évolution. Elle s'oppose alors aux forces du moi qui, par leur tendance à la sur-stabilisation des formes et des processus (meurtre), servent la pulsion de mort.

Le dualisme pulsionnel freudien ne saurait se confondre avec les dualismes religieux ou philosophiques, qui supposent une solution de continuité entre principes premiers et affirment une irréductible dichotomie : corps-âme, bien-mal, etc. La notion de pulsion reconstruit, au contraire, une continuité entre soma et psyché et suppose leur union. La pulsion s'ancre dans le corps, effectue le lien entre corporel et psychique, et rend intelligible les phénomènes psychosomatiques, tels que conversion et symptômes.

Christian Michel

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Freud, S., Jenseits des Lustprinzip (1920), G.W. XIII, Au-delà du principe de plaisir, in Essais de psychanalyse, Payot, Paris, pp. 41-115.

→ ça, Éros et Thanatos, principe, processus primaire et secondaire, pulsion, sexualité